J’ai peu de choses à dire sur Elex, si ce n’est qu’il s’agit d’un type de jeu devenu somme toute assez inhabituel : bourré d’ambition et présenté plusieurs fois en grande pompe par son éditeur THQ Nordic, il s’avère être une inexplicable catastrophe une fois en main. Détailler la litanie interminable de ce qui cloche dans ce jeu serait sans doute vain. Alors, si vous le voulez bien, on va parler d’autre chose.
Nous sommes de fin gourmets, c’est parfois notre drame
A l’époque où Elex a été annoncé, je n’écrivais pas encore vraiment sur les Jeux Vidéo. Je me contentais de les accumuler sur Steam lors des soldes et, croyez-le ou non, d’y jouer, souvent six mois ou un an plus tard. L’habitude de payer pour ses jeux, mais de payer pas cher, biaise un peu l’esprit, et fait apparaître cette catégorie mentale très particulière dans l’échelle du jugement : « c’est nul, mais je l’ai payé cinq euros ». Y jouer cinq heures, s’agacer, le désinstaller, l’oublier.
Il y a un peu plus d’un an, j’ai posé ma candidature pour écrire sur un site (un autre que celui-ci), et j’ai découvert le concept un peu différent de « recevoir un jeu gratuitement, mais être obligé d’écrire dessus ». Je ne sais pas vraiment quel effet cela produit sur les autres pisse-copies du game, mais dans mon débat entre moi et moi-même, c’est clair et net : ça m’a rendu beaucoup plus exigeant. Il y a des jeux dont je chante à haute voix les louanges mais dont j’ai écrit et réécrit les défauts agaçants. Parce que je veux que vous sachiez que ce que je dis, ce n’est que moi qui le dis, avec toute la subjectivité dont je suis naturellement enveloppé.
Mais j’ai aussi découvert que, mine de rien, nous vivons dans une époque où les joueurs sont bien trop gâtés de jeux extraordinaires, ce qui finit par rendre capricieux et insupportable. Dans une même année sortent Prey, Resident Evil 7, Persona 5, Nier:Automata, Zelda Breath of the Wild, Danganronpa V3, nous rendant presque jusqu’à l’écoeurement insensible aux jeux les moins réussis, nonobstant leurs qualités. Il y a dix ans, Final Fantasy XV ou Mass Effect Andromeda nous auraient, malgré leur nez cassé et leurs maladroits ravalements de façades, probablement enchantés. Mais bien manger pour si peu cher nous a, en quelque sorte, affiné le palais.
Et puis de temps en temps nous arrive un Elex, qui aurait de tout temps été considéré comme une catastrophe.
Cadillac et Dinosaures
Rien n’était impossible. Elex aurait pu être autre chose. Pour tout vous dire, sur The Pixel Post, nous avons un tableau où nous demandons à notre rédacteur en chef de nous attribuer tel ou tel jeu et, pour Elex, j’y croyais vraiment. Parce que ce que l’on nous promettait, après tout, c’était une sorte de Skyrim avec des dinosaures et des rayons laser. Malgré Piranha Bytes aux manettes, et leur approche du gameplay réussissant le pari d’être à la fois approximative et terriblement germanique, j’y croyais.
Dix pénibles heures plus tard, à essayer de trimbaler un playmobil antipathique dans une intrigue tirée du pire clone de Perry Rhodan des années 80, dans un monde entièrement rempli de bodybuilders barbus et bruns, à me faire zigouiller par tous les rats et les poulets qui passent, je rends les armes. Il n’y a rien dans Elex qui ne soit pas une catastrophe, et aucun point catastrophique ne trouve l’excuse d’une production double A ou d’un budget modeste : il n’y avait rien à sauver là-dedans, et surtout pas une écriture ahurissante de bêtise et de vacuité.
Il est peu probable qu’Elex ne finisse pas par livrer un fascinant post-mortem. Difficile de croire que cette bouillie ocre, cette absence totale d’équilibrage et cette interface aient pu être la volonté initiale du projet. Clairement, Elex a eu un problème de rapport entre le but et les moyens. La carte est immense, le jeu semble extrêmement long à boucler, les quêtes foisonnent, et je n’aurais pas la malhonnêteté de prétendre que j’ai vu plus que 5% du produit d’ensemble. Un immense édifice sur de toutes petites fondations qui s’écroulent dès que la manette est en main.
Alors, que faire d’Elex ?
Les plantages de ce niveau sont devenus assez rares. Des jeux ressemblant à Elex, il en sort en vérité plusieurs chaque mois. Dans les centaines de titres versés chaque semaine sur Steam, combien de MMO approximatifs bricolés à la va-vite par des studios russes anonymes, combien de TPS en early access qui en resteront à jamais à une version 0.2 ? Ce qui étonne, c’est qu’Elex est un (relativement) gros projet, créé par un studio assez expérimenté et porté par un éditeur plutôt conséquent (en l’occurence THQ Nordic). Elex sort en boîte, à plus de 50€, accompagné des habituels Lauch Trailers et autres campagnes de com bullshit destinées à le faire passer pour un mix audacieux entre Turok et GTA. Un jeu qui se prédestinait à être comparé à d’autres C-RPG de son temps, pas à un clone coréen anonyme d’ARK.
Jusqu’au design douteux de sa jaquette, le projet intrigue. C’est un incident dans un marché finalement pas si mal huilé que ça : les gros jeux sortent en boîte au prix fort avec un niveau de finition au moins acceptable et des exigences techniques sans commune mesure avec ce qu’il se faisait il y a dix ans. Les moyens sortent en dématérialisé, et rencontrent (ou pas) leur niche et dans leur cohorte se trouvent quelques pépites qu’on retiendra au moment des bilans de fin d’année. Les petits, qualitatifs ou non, la « galaxie indé », sont des milliers chaque année à se partager les miettes en espérant devenir l’Undertale ou le Stardew Valley de l’année et quitter la nasse telle la peluche emmenée par la pince truquée d’un forain malicieux.
Dans un contexte de surproduction évidente, cependant, un objet comme Elex est devenu assez rare. Il est probable que c’est à peu près à cela que Mass Effect Andromeda aurait véritablement ressemblé si personne n’avait appuyé sur la pédale de frein au beau-milieu du projet en décidant d’essayer de sauver ce qui pouvait l’être. Le jeu de Piranha Bytes a dérivé jusqu’à la sortie, et se pose en rare exemple moderne d’inexplicable navet.
Qu’espère THQ Nordic en maintenant un tel projet en l’état et en le lançant dans l’actualité saturée de l’automne ? Récupérer une partie de ses billes, certes, mais on peut prédire à Elex une carrière commerciale assez courte et assez maigre. Séduire les amateurs de C-RPG à l’ancienne et à l’allemande, les mêmes qui avaient apprécié les Gothic et autre Risen du même studio voilà quelques années ? Mais ces derniers ont mieux à se mettre sous la dent. Ce n’est pas le seul jeu raté de l’année, mais c’est un des seuls dont je ne m’explique ni d’où il vient, ni véritablement où il voulait aller.
Dans une industrie qui exerce un contrôle quasi forcené sur sa communication et qui a tendance à passer au broyeur en cours de route les projets dont le développement s’enlise, il est devenu assez peu fréquent qu’on nous présente quelque produit de cette trempe, indéfendable presque en tout point et même pas susceptible d’attirer la sympathie chez une quelconque niche de joueurs : Elex est un objet nanardeux non identifié.
Profondément bas du front, rigide, laid et dépourvu de toute forme d’équilibrage, Elex est très loin de ce qu’on peut attende d’un RPG de cette ambition en 2017. La promesse d’un monde ouvert fun et décadent mélangeant dinosaures et pistolasers fait place à une bouillie de quêtes fedex fades entrecoupées de combats à la difficulté absurde dans un univers marronnasse et générique. Piranha Bytes semble vouloir reproduire exactement le même jeu depuis vingt ans, tout en gonflant petit à petit des ambitions inaccessibles. Le fait qu’un éditeur, certes spécialisé dans les produits milieu de gamme comme THQ Nordic, ait pu financer jusqu’au bout un projet si farfelu et qui semblait déjà sur de mauvais rails il y a plusieurs années interroge cependant. A qui se destine Elex ? Pourquoi une sortie dans une période aussi chargée en titres autrement moins abîmés ? Pourquoi ne pas avoir recentré le projet quand il était encore temps ? On sera peut-être amenés à reparler d’Elex un jour, probablement pour en faire la dissection. Ce sera hélas ce que le jeu aura à proposer de plus intéressant.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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