Quelque part entre Zelda et Persona, le charmant jeu d'exploration, d'aventure et de tourisme Dungeons of Hinterberg vous propose des vacances dans les Alpes, revisitées à la sauce fantasy.
Si j'ai mentionné deux célèbres franchises de RPG en intro, c'est bien parce que la première production du studio autrichien Microbird Games est particulièrement transparente à ce sujet. De Zelda, Dungeons of Hinterberg reprend les pouvoirs environnementaux, l'escalade, le bestiaire et un certain sens de la mise en scène. À Persona, il emprunte la nécessité de manager son temps, et de tisser des liens sociaux au fil de son aventure. Et en dehors de ça, eh bien… Pas grand-chose de neuf à se mettre sous la dent. Pourtant, l'aventure fonctionne à merveille, en partie grâce à la bonne surprise d'un monde à explorer à taille humaine, et d'un univers à la fois malin et attachant. Il y a quelques couleuvres scénaristiques à avaler, certes, mais pas assez pour gâcher la fête.
Alpin Compris
Vous êtes Luisa. Luisa est une Viennoise urbaine, branchée, optimiste, et déjà en burn-out alors que sa vie professionnelle frénétique dans un cabinet d'avocats vient de commencer. Luisa a besoin de vacances. J'imagine que les auteurs de ce jeu savent que taper aussi près du cœur de cible d'un jeu indépendant de ce type n'est pas encore considéré comme de la triche. Ce côté cliché de la millenial surbookée vivant en colocation et incapable de trouver un sens à sa vie et qui fuit à la montagne pour trouver un sens à son existence pourrait être extrêmement irritant. Il ne l'est pas, parce que Dungeons of Hinterberg assume que c'est précisément ce qu'il essaye de vous raconter.
Car Luisa, elle ne se contente pas d'aller faire de la randonnée et des selfies au grand air dans la nature après une méditation de trois heures pour goûter la vraie vie simple de la campagne : elle passe son été à Hinterberg. Une région des Alpes où, en toute simplicité, des donjons remplis de créatures folkloriques dangereuses sont apparus il y a quelques années, déclenchant un immense boom du tourisme de l'aventure de fantasy. Le pognon trouve toujours son chemin : la petite bourgade alpine s'est donc transformée en Disneyland sauce Diablo, avec son petit village muséifié, ses pensions pour aventuriers amateurs, ses carnets de tampons à faire valider à chaque étape de sa quête initiatique, et son marketing façon "Ici, vous allez devenir votre véritable vous". C'est abject de cynisme autant que charmant quand on se promène dans les rues paisibles et bondées de touristes du village Potemkine dans la douceur du soir.
Cependant, voici qu'à peine établi le fait que non, ne vous inquiétez pas, ces kobolds que vous trucidez en masse sont tout juste des êtres sensibles, un mystérieux tremblement de terre vient mettre un peu de zbeul au paradis. Le plan de développement du syndicat d'initiative s'en retrouve tout ébaubi, et la sécurité des randonneurs n'est plus aussi bien assurée qu'avant. Ce n'est pas très grave, puisque rien de tout cela n'empêchera Luisa de continuer à faire tamponner son carnet de voyage, d'explorer des grottes mystérieuses et de nouer des relations sociales avec d'autres touristes avant le dodo.
Tourisme de masse d'armes
De manière assez intelligente, Dungeons of Hinterberg vous pose donc le paradoxe de vivre une folle aventure dans un lieu terriblement artificiel. Hinterberg est devenue une industrie touristique cynique (derrière laquelle on trouve un mastermind qui se voit depuis l'espace, mais passons) dans laquelle, à la manière de n'importe quel parc à thème, il faut bien admettre que l'on s'amuse énormément.
Parce que notre chère Luisa n'est rien d'autre que le véhicule du fun ressenti à explorer des donjons sacrément bien fichus, variés et se permettant même le luxe de quelques très belles trouvailles visuelles. On virevolte, on fait du skate sur des planétoïdes, on fouille des coffres cachés accessibles grâce à des pouvoirs magiques récoltés en chemin, on dépote des boss qui font la taille de l'écran. C'est globalement super amusant (si on oublie quelques problèmes de caméra et de précision dans les commandes), en particulier grâce à la grande variété des 25 donjons proposés. Les combats manquent un peu de renouvellement et de peps, mais la qualité des puzzles et du level design compense allègrement ces petites anicroches.
Microbird a réussi à parfaitement calibrer son expérience pour à la fois nous faire ressentir une impression d'un monde vaste et varié à explorer, sans impression de répétitivité, et à l'encapsuler dans une sorte de Center Parks volontairement très agaçant. Une sorte de voyage de luxe pour la petite bourgeoisie dans laquelle on n'est jamais parfaitement à l'aise de faire ce que l'on fait. C'est peut-être la petite (la seule, même) réserve que j'aurai sur le jeu : ce qu'il veut nous dire sur la vacuité de ce genre d'expérience n'est au fond pas si clair ni si audacieux que cela.
Sur une ligne de crête
Dungeons of Hinterberg n'est jamais ni très subtil ni très fin quand il cherche à dispenser son message, et ce n'est pas en soi un problème. La petite forge artisanale est opprimée par le méchant supermarché. La mairesse de la ville cache de sombres secrets sous la nappe de l'autel de l'économie. La combattante chanteuse de k-pop super intimidante est en fait pleine de fêlures. Et ce type taciturne et agressif, au fond, n'aurait-il pas un cœur d'or ? Je n'exagère pas beaucoup, mais encore une fois, je ne pense pas que la naïveté ou la bienveillance soient fondamentalement un problème. Il s'agit d'un jeu qui passe son temps à marteler qu'il vaut mieux être gentil et généreux que buté et cupide : c'est un message auquel je souscris pleinement.
Cependant, Dungeons of Hinterberg, à cause de personnages et de rebondissements qui manquent vraiment beaucoup de nuance et de profondeur, finit, je crois, par s'empêtrer dans une contradiction. D'un côté, nous avons un discours vous martelant les méfaits du tourisme de masse et du capitalisme. De l'autre, un scénario qui vous hurle à cor et à cri que ces méfaits peuvent être "réparés" si on enlève les mauvaises personnes et qu'on en gomme les pires travers. Une pétition pour sauver un commerce en danger, les manigances d'un politicien déjouées, un retour à la véritable forme d'exploration des donjons telle que pratiquée au XVe siècle, et hop, par le pouvoir de l'honnêteté et de l'amitié, tout serait arrangé.
À mon sens, il s'agit d'un jeu qui n'aurait pas perdu grand-chose à assumer un peu plus de radicalité, tant son sujet central me semble assez peu propice à essayer de "concilier tous les points de vue". Car au fond, si une bonne partie des personnages rencontrés à Hinterberg cherchent à sauver le village et sa région, c'est avant tout pour se féliciter d'avoir greenwashé un truc qui demeure fondamentalement une exploitation d'un cadre naturel.
Sur ce point précis, je suis sans doute un peu dur avec ce titre, que j'ai par ailleurs beaucoup aimé. Mais pour tout vous dire, mon vrai travail (quand je ne suis pas en train d'écrire pour The Pixel Post) touche en partie aux très exactes mêmes problématiques soulevées par le jeu, puisque je suis chargé de relations publiques pour une association liée à l'écologie de montagne, dans une zone touristique. Pas les mêmes montagnes et un peu moins de kobolds et de krampus dans mon cas, certes. Mais des problématiques similaires et des questions d'aménagement du territoire très comparables à ce que Dungeons of Hinterberg expose. Et les réponses apportées au bout de vingt heures de jeu me semblent, au fond, aussi artificielles que le parc d'attractions fantasy que nous venons d'arpenter.
Dungeons of Hinterberg a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Ses problèmes de naïveté d'écriture parfois un peu irritants mis de côté, Dungeons of Hinterberg est une sacrément bonne surprise vidéoludique. Les niveaux sont variés et amusants, la mise en scène réserve de sacrées belles surprises, et le gameplay parvient à se renouveler quasiment continuellement jusqu'à la fin du jeu. Microbird Games a trouvé le mix parfait entre Zelda, Genshin Impact et Persona dans un jeu solo parfaitement calibré et optimisé aux petits oignons. Si vous êtes prêts à passer outre un scénario dont le fil directeur est à peu près aussi balourd qu'un vieil épisode de Scooby-Doo malgré de bonnes intentions manifestes, jetez-vous dessus.
Les + | Les - |
- On s'amuse énormément | - Le scénario s'empêtre un peu dans ce qu'il veut raconter |
- Le cadre urban fantasy plutôt novateur | - Les combats ne sont pas passionnants |
- Un level design vraiment impeccable | - Quelques approximations dans la physique du jeu |
- Quelques personnages attachants | |
- Le sound design très réussi |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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