Douze ans après un premier épisode qui avait bien fonctionné sans faire l'unanimité, Dragon's Dogma est de retour avec un second épisode livrant une proposition de RPG en monde ouvert extrêmement clivante. Au-delà, même, d'une politique de DLC douteuse, on parle ici d'une philosophie de game design profondément étrange, et pas toujours très heureuse ni très harmonieuse.
Dragon's Dogma 2 a lancé, me semble-t-il, depuis sa sortie, deux questionnements assez intéressants dans sa communauté de joueurs. D'une part, il y a sa politique de microtransactions. Particulièrement opportuniste (je cherchais un terme poli), cette dernière est assez typique des entourloupes habituelles de Capcom. Ici, il n'est pas tant question de "pay to win" que de vous refourguer, relativement cher, des objets qu'il demeure possible d'acquérir au cours du jeu et qui augmentent largement le confort de votre aventure. Davantage de points pour recruter des alliés, du meilleur matériel de camping, des téléporteurs. Bref, de quoi vous faire gagner du temps et économiser des séances de grind. Très élégant de faire payer la place en première classe à un jeu vendu entre 65 et 80 € selon les plateformes, non ? Mais passons : on peut parcourir l'intégralité de cette épopée sans jamais s'approcher une fois de la boutique, laquelle n'est pas si invasive (on est loin du côté putassier d'un menu de Forza Horizon). En revanche, le second point est plus intéressant et a livré quelques débats stupides sur le thème "est-il légitime de critiquer une œuvre d'art sur ses aspects techniques ?". Spoiler : oui, on peut, parce que si le Seigneur des Anneaux avait été filmé avec une shaky cam et des acteurs amateurs par Bruno Dumont, vous l'auriez probablement beaucoup moins aimé. Il vaut mieux le savoir avant d'y mettre les pieds, le cœur de l'expérience Dragon's Dogma 2 est avant tout un bac à sable qui serait partiellement composé de sables mouvants : non seulement l'aventure va vous laisser une gigantesque liberté d'action, mais en plus, elle va le faire en vous laissant galérer et lutter encore et encore pour avancer. C'est audacieux, parfois réussi, mais il me semble que sous toute cette "démarche artistique", il faut aussi reconnaitre que parfois, ce jeu est tout cassé.
Trouver la faille
S'il y a quelque chose que je ne pourrais jamais enlever à Dragon's Dogma 2, c'est ses réussites en matière de combat et de géographie. Pour le premier point, c'est simple : le jeu propose un excellent système d'affrontement en temps réel. C'est simple, mais efficace, les différentes classes donnent des impressions de gameplay très différentes, et le fait que les mêlées se déroulent toujours avec des tonnes de PNJ donnent une impression de joyeux chaos salutaire. Plus le jeu avance et plus l'on sent notre avatar ainsi que les "pions" (des PNJ invocables) qui l'accompagnent progresser et gagner en puissance. Mention spéciale aux affrontements contre les boss, assez dantesques et tirant pleinement parti de la topologie. Il n'y a pas de meilleure sensation que de dézinguer une colonne de gobelins en les embusquant depuis des hauteurs escarpées.
Et justement, c'est cette topologie qui me semble être un point particulièrement mémorable de l'aventure. Dragon's Dogma 2 se déroule dans un espace relativement petit composé de quelques villes, de quelques grottes et de pas mal de cambrousse mêlant côtes et montagnes. Mais Capcom est parvenu à rendre cet espace géographiquement et thématiquement cohérent. Le réseau de routes y parait logiquement implanté, les raccourcis (souvent des grottes, cet endroit est un gruyère) sont nombreux, les villes et les villages affichent souvent une disposition organique bienvenue. On a toujours l'impression d'être et d'aller quelque part et, mine de rien, peu de jeux réussissent cette prouesse. Assez rapidement, je me suis surpris à ne plus regarder la mini-map que quand je me dirigeais vers des contrées inconnues. Le reste était, somme toute, assez mémorable pour que je me souvienne de mon chemin.
Tout juste pourrait-on reprocher à ces deux dimensions (la bagarre et la randonnée) de se heurter à la peur du vide des développeurs. Il y a dans ce jeu tellement de combats au mètre carré, tellement de PNJ courant dans tous les sens et tellement de distractions qu'il est impossible de faire 100 mètres sans être interrompu. Ici, c'est une escouade de sauriens sauvages qui m'attaque, au tournant suivant mes pions se barrent pour aller ramasser du loot, trente secondes plus tard un voyageur m'aborde sans mon consentement pour rejoindre mon équipe : laissez-moi respirer, bon sang. Pour un titre qui mise autant sur son côté "vraisemblable", c'est dommage. Cela donne l'impression qu'il s'agit d'un univers où il est littéralement impossible de faire 10 mètres sans tomber dans un coupe-gorge avec un taux de mortalité par habitant avoisinant celui des tranchées de la Meuse en 1916.
Ça use les souliers
Il y a deux idées principales de game design qui tentent d'animer cet espace, et votre quête personnelle au milieu de tout ça (une sombre histoire d'usurpateur choisi par un dragon, mais ne vous attendez pas à quelque chose de très structuré). La première, c'est de vous donner des objectifs de quêtes volontairement flous et vagues de type "je veux que vous alliez suivre untel, qui vit dans un village dans le sud", et de vous laisser vous débrouiller avec ça et un marqueur imprécis sur la carte. Parfois ça marche et ça vous donne l'impression d'avoir enquêté de manière très organique sur plusieurs problèmes imbriqués les uns dans les autres. Parfois, au contraire, on tombe dans les pires travers des quêtes sous-écrites et sous-mises en scènes à la Bethesda, ce qui n'est pas vraiment un compliment sous ma plume.
Un exemple vers le début du jeu : on m'a demandé d'aller libérer discrètement un type d'un cachot, dans une zone où, logiquement, la plupart des soldats devraient me dézinguer à vue. En chemin, je découvre une tenue de soldat. Je me suis donc déguisé en troupier et j'ai été jusqu'au cachot. J'ai pu, sans encombre, ouvrir la serrure du prisonnier, qui m'a demandé de lui trouver une planque. Je vous livre ça en accéléré, mais : une fois la planque trouvée, je reviens, cette fois-ci habillé dans ma tenue normale. Sans aucune réaction des gardes adverses. Qui me regardent ouvrir la cellule du prisonnier sans broncher. Puis l'escorter dehors. Sauf que le prisonnier en question me dit qu'il faut "s'enfuir", me forçant à passer par l'arrière de la prison, dont je peux forcer là encore les portes sous l'œil visiblement endormi des sentinelles. Des exemples comme ça, dans lesquels les PNJ multiplient les comportements indifférents ou incohérents (ou les deux), il m'en est arrivé des dizaines. À force de créer des situations en apparence ouvertes et en réalité terriblement scriptées, Dragon's Dogma 2 ne nous laisse jamais vraiment nous immerger dans son univers.
Le second point que vous ne manquerez très rapidement pas de remarquer, c'est qu'il s'agit d'un des très rares jeux en monde ouvert ne proposant (quasiment) pas de fast travel. Chaque fois que vous sortez le nez dehors pour aller quelque part, il faudra donc anticiper l'aller comme le retour : stocker des provisions, des potions de soin, des points d'étape, et de longues, très longues séquences de marche dans la pampa. Et une fois de plus, c'est à double tranchant : le sentiment d'exploration et d'appropriation de la carte est nettement plus fort et plus intense que dans la plupart des jeux du genre. Mais il faut aussi bien admettre que souvent, on s'ennuie sec.
Un titre comme Death Stranding parvenait à rendre la randonnée généralement très intéressante en nous forçant à considérer le poids, la pente, le contournement de dangers ou l'alternance des modes de transport. Mais les voyages de Dragon's Dogma 2 semblent être juste… de longues marches sanglantes durant lesquelles vous arpentez encore et encore des routes tortueuses au long desquelles vous voulez tuer tout le monde et où tout le monde veut vous tuer. Seule variante à ces balades macabres dans lesquelles vous dégommez à peu près tout ce qui passe comme un essaim de sauterelles en quête de loot : les moments où vous croisez un monstre rare, et où vous devez (rapidement) décider de l'affronter ou de vous barrer en quatrième vitesse. Le reste manque cruellement de tension dramatique.
Draco Few
Ces phases ne sont pas toujours ennuyeuses, et s'inscrivent dans une philosophie de design que je pense tournée de manière sincère vers l'idée de progresser plus lentement que d'habitude. D'éprouver l'aventure à un niveau quasiment personnel et, passez-moi l'expression, d'en chier un peu. C'est clivant, mais bon, au moins, ça change.
J'aurais cependant aimé que tout ceci ne soit pas bousculé en permanence par tout un tas d'idées bizarres. Comme si rendre un jeu éprouvant ou impliquant se résumait à entraver la progression par un ensemble de moyens assez peu harmonisés entre eux. Un pion qui tombe malade et qui peut softlocker votre partie en tuant tout le monde ? Bien, mais alors pourquoi dans les rues désormais vides et mortes les soldats continuent de patrouiller en vous donnant du bonjour, et qui continue d'alimenter les braseros au bord des boutiques ? Des attaques de bandits aléatoires dans un village paumé ? Ok, mais pourquoi ce vagabond continue-t-il de me parler tranquillement pendant que des malandrins me lézardent le dos à coup de hache ?
En voulant créer une expérience très immersive, Dragon's Dogma 2 empile ainsi les systèmes et les sous-systèmes, et truffe sa map d'événements semi-aléatoires survenant au petit bonheur la chance, parfois de manière absurde. Le prix à payer de cette manière de concevoir l'aventure est que, à rebours d'un récent FFVII Rebirth allant parfois trop loin dans le sens inverse, il est ici quasiment impossible de vous faire vivre quelque chose de très scénarisé. Cette épopée n'est ni très incarnée, ni très mise en scène, ni riche en moments extrêmement forts (sinon de manière allusive ou exceptionnelle). J'en suis ressorti avec l'impression d'avoir été plongé dans une machine à voyager dans le temps, à la découverte d'une version vaguement toilettée d'un Skyrim qui aurait au moins bénéficié d'un bon système de combat. Vous me direz, c'est toujours mieux que Starfield.
Dragon's Dogma 2 a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 5 et sur les consoles Xbox.
Si Dragon's Dogma 2 regorge de moments mémorables, ils sont rarement liés à ce qu'il raconte ou à son univers terriblement générique. On se souviendra davantage d'embuscades amusantes, de gameplay émergeant consistant (souvent) à faire tomber des boss depuis des falaises ou de quelques moments de grâce à la fin de certaines quêtes. Il me semble plus difficile cependant de passer outre son modèle économique opportuniste, ses performances techniques aléatoires et sa structure souhaitant à la fois être contemplative et saturée d'activités et d'interactions. Je pense que Dragon's Dogma 2 restera dans les mémoires comme un titre assez ambitieux, moins cryptique que ce que nombre de mauvais sites de soluces essayent de vous faire croire. Mais il s'agit aussi d'une œuvre courbée sous le poids de tout ce qu'elle essaye maladroitement de faire fonctionner ensemble.
Les + | Les - |
- Un vrai sentiment de découverte et d'exploration | - Les microtransactions pour augmenter le confort de jeu, c'est nul |
- Le système de combat est très inventif | - Multiples incohérences générées par les événements aléatoires |
- Certaines quêtes sortent clairement du lot | - Le comportement des PNJ est désincarné et souvent absurde |
- L'exploitation intelligente de la topographie (hauteurs, couverts, chutes...) | - Très gros problèmes de performances sur PC |
- Surpasse largement le premier épisode |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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