A chaque fois qu’on se moque de la série Devil May Cry de Capcom ou qu’on l’oublie comme une vieille chose des débuts des jeux d’action en 3D, elle trouve le moyen de revenir par la porte, la fenêtre ou le grenier, toujours engoncée dans ses vêtements en cuir de 1998, ses coiffures et son sens du cool tout particulier, d’aucuns diraient « génialement ringard ». Et à chaque fois, c’est franchement pas mal. Sorti sans tambours ni trompettes, c’est au tour de Devil May Cry 5 de relever le gant.
Je n’ai pas une connaissance très poussée de la série Devil May Cry, si ce n’est un attachement nostalgique à l’acquisition de ma PlayStation 2 il y a une vingtaine d’années. Souvenons-nous qu’à l’époque, Devil May Cry premier du nom a déboulé sur les étals et a ringardisé d’un coup dix ans de jeux d’action : rythmé, beau, bigger than life avec son esthétique mi Hellsing mi Matrix, le jeu a fait une forte impression à toute une génération, moi compris, et ses protagonistes sont immédiatement devenus iconiques. L’influence sur l’esthétique et le gameplay des beat them all des deux décennies suivantes a été énorme, même si la franchise a petit à petit perdu de sa superbe, reléguée au rang des jeux de niche un peu confidentiels pour l’épisode 4 et le reboot simplement intitulé DmC sorti en 2013. Ce n’est pas un mystère : Capcom est peut-être l’éditeur japonais qui a le plus le vent dans le dos depuis quelques mois. Tous les trailers et les annonces diffusés autour de ce cinquième épisode étaient très encourageants, et le résultat dépasse encore tout ce à quoi on pouvait s’attendre.
Alors c’est Kylo Ren qui fait du surf, et il y a le Bus Magique aussi
Je pense que c’est assez clair pour les équipes de Capcom : on ne lance pas franchement Devil May Cry 5 avec le même horizon d’attente qu’en ouvrant Anna Karénine. Plutôt que d’essayer de faire quelque chose de très élaboré ou de très subtil qui aurait rapidement tourné au ridicule, les scénaristes du jeu ont choisi la voie raisonnable de l’accessibilité et du fun à tout crin. Accessible « aux habitués comme aux nouveaux venus » selon la célèbre formule, Devil May Cry 5 pose rapidement les enjeux des précédents épisodes dans une courte vidéo récapitulative, et balance son histoire en poussant les potards de la Fête Foraine Baroque au maximum du nawak.
Un beau jour, ce bon vieux Dante qui ressemble désormais à Jacques Dutronc qui aurait visité le surplus militaire d’une armée de vampires, accompagné par Nero, post-ado Emo au tragique visage de Laurent Wauquiez jeune, mais avec un bras robot, et le mystérieux V, ersatz de Kylo Ren qui surfe sur un nuage magique de petites bestioles, vont tous les trois se taper contre un méchant démon qui est apparu au cœur de la ville, dans une plante maléfique géante. Ils se font dessouder façon Mamie-joue-à-Darksouls, et du coup, bah c’est ballot, ça va être la Fin du Monde. Et Dante est porté disparu. Un mois plus tard, y’a des démons dans tous les sens et la plante maléfique géante est encore plus géante et encore plus maléfique. V et Nero, aidés par l’institutrice du Bus Magique qui a enfin accepté sa part de Coyote Girl sexy déglinguée, reviennent en ville pour sauver Dante et buter tous les démons qui passent dans des décors variés, plus ou moins en ruines, plus ou moins couverts de trucs dégoûtants.
Vous l’aurez compris, Devil May Cry 5 mise sur une ambiance résolument détente, rococo comme un clip de Nu Metal en 2002 mélangé à un humour absolument et résolument ironique et décomplexé. Le tout entrecoupé à chaque bout de scène cinématique par un ton poseur à l’extrême, où chaque réplique semble déclamée par les doubleurs comme dans un concours du meilleur bellâtre. Et ça a beau souvent friser le grotesque, ça fonctionne ! Il y a une telle inventivité dans les gags, dans les effets de surprise et dans le petit regard moqueur porté par Capcom aux boursouflures narratives de sa propre série qu’on se retrouve rapidement captivé et fasciné par ce splendide n’importe quoi. Par ailleurs, tout cela est superbement mis en scène et soutenu par un sens du cadrage, du timing et de la sonorisation qui donne l’impression d’un énorme mix entre un festival de rock-emo et un stand-up décadent tout en son et lumière. Oh, et cerise sur le gâteau : c’est un bon jeu vidéo.
Trois manières de jouer
Au début il y avait Devil May Cry, qui a réussi dans ses premiers épisodes sur PS2 à mélanger la coquetterie de son univers gothique farfelu et la classe d’un beat them all chorégraphique. Puis il y a eu la série Bayonetta de PlatinumGames, qui y a ajouté la maîtrise de la mise en scène et de l’humour ainsi qu’un gameplay calibré au cordeau. Devil May Cry 5 c’est un peu la réponse du berger à la bergère en attendant Bayonetta 3. Extrêmement beau et propulsé par le RE Engine qui a récemment fait des merveilles sur Resident Evil 2, le jeu n’est long que d’une quinzaine d’heures, mais une quinzaine d’heures au rythme soutenu, jamais répétitif, jamais ennuyeux, avec des environnements variés. On ne déplorera qu’un poil de sentiment de redite quand un flashback nous fait revivre le prologue sous un autre angle et échouer plusieurs fois contre le même antagoniste. Mais c’est justement cette idée de perspectives variées sur une même timeline qui donne tout son sel au jeu.
Car voilà l’astuce : Devil May Cry 5 vous fait incarner tour à tour ses trois héros, et rarement on aura eu l’impression de jouer à trois jeux différents en changeant simplement d’avatar. Si Nero a un style de combat assez classique basé sur une alternance de coups de flingues/bras robotique avec combos à débloquer, les deux autres proposent une expérience radicalement autre : Dante alterne entre coups de pieds et de poings et attaque à main armée, déclinable selon quatre styles qui ont des allonges et des rythmes différents et qui eux-mêmes se déclinent sous une forme « humaine » et une forme « démoniaque » plus puissante mais utilisable en temps limité. Pas simple de prime abord, mais très plaisant à prendre en main. V, quant à lui, est trop chétif pour se battre seul et c’est via des familiers (un corbeau, une panthère et un golem) qu’il vous faudra attaquer les ennemis, tout en restant assez proche pour les exorciser une fois affaiblis. En gros : des bastons de parking améliorées pour Nero, des katas d’arts martiaux pour Dante, la version emo-gothique de Pokémon pour V. Avec un peu de pratique, les trois s’avèrent d’une richesse et d’une complexité insoupçonnées. Le style de V, particulièrement, ne ressemble à rien qu’il m’ait été donné de voir dans un jeu vidéo de ce type et donne l’impression jouissive de contrôler un invocateur commandant aux forces de la nature.
Comme cela devient la norme dans les jeux qui ont une approche moderne de l’accessibilité au plus grand nombre, et pour éviter que l’expérience ne tourne à la pure démonstration de skill, Devil May Cry 5 propose un challenge très modulable en fonction de votre envie : outre un niveau de difficulté ajustable, le jeu offre également une mécanique de combos assistés, qui vous permettra de vous amuser à enchaîner les figures et à faire monter votre score de manière automatisée. A l’inverse, vous pouvez pousser les curseurs de la difficulté et tenter de finir les nombreux challenges facultatifs et autres salles secrètes qui mettront vos nerfs à rude épreuve : tout a été pensé pour que tout le monde s’y retrouve
On l’aurait aimé plus parfait encore
Devil May Cry 5 est si bien fichu qu’on tique d’autant plus quand ses rares défauts nous sautent à la figure. La gestion des checkpoints, par exemple, semble un peu aléatoire. Le déblocage des meilleures compétences qui ont parfois un coût absurde et qui pousse le joueur à farmer juste pour débloquer des combos qu’il ne pourra de toute façon utiliser qu’une ou deux fois à la fin du jeu. Ou encore les collisions et les sauts lors des (rares) phases de plate-forme, qui sont particulièrement mal gérés et imprécis.
On aurait également apprécié, même si ce n’est pas exactement le propos du jeu, que les trois personnages féminins qui accompagnent de près ou de loin les trois zozos soient davantage développés et un peu moins réduits au rôle d’accessoires (même si on aime beaucoup Nico et son bus de l’enfer). Dans le même registre, on aurait aimé un résumé écrit ou un codex un peu plus complet que la seule vidéo introductive : le scénario de Devil May Cry 5 empruntant autant à la série originelle qu’à son adaptation animée, on se retrouve parfois vaguement perdu dans les relations entre les différents protagonistes. Ceci dit, vous savez quoi ? Quand on se retrouve à pointer dans un jeu vidéo de ce type un codex incomplet ou le prix des taunts à débloquer, c’est vraiment qu’on cherche quelque chose à dire pour nuancer cette simple vérité : Devil May Cry 5 est disponible, courez l’acheter.
Devil May Cry 5 a été testé sur PS4 pro, via une clé fournie par l’éditeur
Fête foraine au kitsch flamboyant composée de trois attractions principales nommées Dante, V et Nero, Devil May Cry 5 est le meilleur Beat Them All sorti depuis un bon moment. Une fois de plus, on retrouve les équipes de Capcom en très grande forme sur un jeu d’action, loin des marécages dans lesquels l’éditeur semblait encore embourbé il y a trois ou quatre ans. Une difficulté modulable, un sens du rythme et de la mise en scène au top de sa forme : pour peu que vous ne soyez pas allergique au genre, vous devriez passer un bon moment sur ce titre, qui est aussi une excellente occasion de découvrir la franchise si vous étiez jusque là passé à côté.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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