Personne ne s’attendait franchement à retrouver les équipes de Nippon Ichii Software sur autre chose que des Tacticals RPG obscurs et nichés pour Otakus fans de blagues graveleuses et de systèmes de jeux à la complexité frôlant la folie. Pourtant, les plus fins connoysseurs de leur ludothèque ancienne s’en souviennent : NIS a un petit passé, voire un petit passif avec les jeux de rôle pour enfants. Le tout récent Destiny Connect : Tik Tok Travelers est de ceux-là, et mise sur la prudence en se mettant dans les traces de Grands Anciens nommés Persona, Grandia et surtout Chrono Trigger.
A vrai dire, le confort de lecture de cet article ne sera pas complet si je n’ôte pas l’immense éléphant situé entre vous et votre écran : Destiny Connect : Tik Tok Travelers emprunte tant d’éléments graphiques et conceptuels au légendaire Chrono Trigger de Squaresoft qu’on est à mi-chemin entre la nouvelle franchise et la fanfiction semi-assumée. Et pourtant, très vite, Destiny Connect laisse oublier ces décalques un peu grossiers pour livrer l’une des expériences de JRPG classique les plus pures et les plus efficaces de ces dernières années. Il me semble que la seule condition pour l’apprécier pleinement est que vous fassiez partie de cette proportion limitée de notre lectorat que constituent les anglophones de moins de treize ans. Car si Destiny Connect réussit quasiment tout ce qu’il entreprend, son absence de traduction française ne le destine hélas, sous nos latitudes, qu’aux nostalgiques soupirants de l’âge d’or du RPG au tour par tour.
Le bug de l’an 2000 n’aura pas lieu
Destiny Connect n’essaye pas un instant de cacher que même si l’on y voyage parfois dans le futur, il s’agit d’un jeu qui plante ses deux pieds dans le passé, étant le premier titre depuis longtemps à mettre au cœur de son intrigue le fameux passage à l’an 2000 qui avait fait trembler informaticiens et prophètes par peur d’un dérèglement des machines pour une sombre histoire de geek hippie dans les années 70 qui aurait fait n’importe quoi avec les horloges internes des appareils connectés. De bug de l’an 2000 il n’y eut finalement point, sauf dans la petite ville de Clocknee où se déroule Destiny Connect, anonyme cité occidentale surmontée d’une énorme horloge. Un scénario simplissime mais efficace : alors que pendant le jubilé de l’an 2000, le temps se fige et les machines se mettent à attaquer la population pétrifiée, une petite fille aventureuse et son copain peureux mais astucieux échappent à la catastrophe. Ils trouvent un robot intelligent et un savant fou capable de le convertir en machine temporelle, et hop, vogue la galère vers les années 70 où le problème semble avoir commencé, puis vers 2030 où la Fin du Monde approche. Si à partir de là, l’ensemble des rebondissements se voient depuis l’espace et donnent l’impression de goûter à une version ultra diluée de Chrono Trigger ou de Tokyo Mirage Session, j’ai été stupéfait du rythme quasi impeccable à laquelle est menée l’aventure de Destiny Connect. Le jeu ne fait qu’une vingtaine d’heures (et encore en s’acharnant un peu à dénicher les rares secrets du jeu), mais quelles vingt heures ! Rebondissements réguliers, dialogues bien sentis, sens de l’aventure omniprésent. Presque étonnant, vu l’économie de moyens très ostensible du jeu.
Car ici, point de train de la mine, de niveau sous-marin ou d’ascension d’un mur séparant le Monde en deux : trois versions de la même ville de Clocknee à différentes époques et en guise de donjons, différentes structures ou rues qui la composent. Une étonnante unité de lieu qui peut lasser vers la fin de l’aventure (particulièrement dans la partie future, assez monotone), mais qui permet une focalisation sur une histoire qui file toujours vers l’essentiel, en ne s’attardant jamais sur des fioritures qui ne mènent nulle part. Bien sûr, cela pourra sembler manquer un peu de subtilité, coincé entre les tribulations politiques de Fire Emblem : Three Houses et le futur passage au RPG de Yakuza 7. Mais Destiny Connect a l’élégance de viser plus bas, à l’étage de l’efficacité brute et sans déchets, livrant une histoire de voyage dans le temps hyper simple (empêcher le passé d’arriver puis sauver le futur). Son objectif : inclure un public habituellement boudé par l’écriture vidéoludique en cette fin de décennie, lui préférant les trentenaires poilus ou les jeunes actifs en mal de névroses : les enfants.
La cible oubliée
Depuis une bonne décennie, la cible enfantine a été un parent pauvre du jeu vidéo narratif, les jeux pour enfants se concentrant sur des applications pour smartphone à thématique arcade, sur des jeux à mécaniques hautement addictives à la Fortnite ainsi qu’à quelques licences phares qui subsistent tels des phares dans la nuit : Minecraft, LEGO… Et si peu d’autres choses que c’en est désespérant. Même les rééditions de platformers de la grande époque (Spyro, Crash Bandicoot) déploient un marketing largement plus orienté vers les quadras nostalgiques que vers leurs enfants. Aujourd’hui, même les jeux Pokémon ou les Mario 3D présentent un niveau de complexité qui rendent peu accessible l’expérience de jeu aux primo-arrivants du pad. Et encore, Nintendo fait figure de bon exemple, en poursuivant les Kirby, Yoshi et autres titres pensés pour les plus jeunes.
Si les raisons du phénomène ne manquent pas, en ce qui concerne le marché japonais, il s’agit d’une bête mécanique démographique dans un marché encore largement tourné vers l’intérieur : les enfants japonais, il n’y en a simplement plus assez pour que ça en vaille la peine, et la cible est délaissée par de nombreux éditeurs, à compter par Nippon Ichii, dont le ton est devenu de plus en plus adulte au fur et à mesure de leur histoire. Comparez les humours mignons et naïfs de La Pucelle Tactics et Rhapsody : a Musical Adventure au scato un peu gras mais efficace de Disgaea 5 pour vous en convaincre. Mais Destiny Connect a cette particularité d’avoir très manifestement été inclus dans la stratégie de Nippon Ichii de poursuivre sa mondialisation en multipliant les titres accessibles aux occidentaux, les traductions, les rééditions à prix modiques et les sorties sur Steam (pas toujours la plate-forme de prédilection des éditeurs japonais). Une politique revendiquée et portée haut et fort par Sohei Niikawa, le patron du studio. Il faut dire que la firme revient de loin, étant passée à quelques millimètres du Game Over il y a moins de dix ans. Comme tant d’autres studios restés sur le carreau lors de la décennie perdue des années 2000 du jeu vidéo nippon. Mais à l’instar de Sega, Capcom, Fromsoftware ou Square Enix, Nippon Ichii est revenu d’entre les moribonds en diversifiant et occidentalisant son public. Or, il se trouve que des enfants, en Occident, il s’en trouve encore en bonne quantité.
Avec son univers à la Earthbound (des enfants qui vivent des péripéties dans un décor familier et contemporain), ses thématiques chères au cinéma d’aventure, et son univers compréhensible par les plus jeunes, Destiny Connect étonne. Là où nombre de productions récentes font un forcing de forceur forcené vis à vis des années 80, la période où sont supposés avoir grandi les acheteurs de jeux actuels, le titre de NIS fait littéralement une enjambée temporelle au-dessus de cette période en mettant en scène des digital natives visitant tour à tour les années 70 et un futur dévasté. Souvent placé à hauteur d’enfant, la caméra s’intéresse davantage à eux qu’aux quelques adultes de l’intrigue, relégués à des NPC ou des sidekicks utilitaires. Et cela sans jamais verser dans la facilité de la niaiserie : les personnages se disputent, voient leurs relations mises en tension, et résonnent toujours comme le feraient des enfants, avec ce que cela implique d’immaturité, mais de regard neuf sur le monde.
Time Crime
Ce petit bijou qu’est Destiny Connect est farci jusqu’à la moelle des petites qualités qui font un jeu mémorable : un système de combat très inventif, largement basé sur la gestion des points de magie et les capacités défensives des personnages, une OST du tonnerre, un chara design inspiré et une direction artistique au rendu plastique très attachant : on se régale, et c’est sans doute encore plus chouette avec un enfant en train de découvrir ce monde à côté de soi : ne possédant aucune de ces créatures, je ne peux que le supposer en me souvenant de mon moi d’il y a vingt ans, qui aurait sans nul doute adoré le voyage.
Quelle tragédie, cependant, que ce tableau enchanteur soit plombé par des défauts horripilants qui trahissent non pas un manque de moyens, mais un véritable manque de savoir-faire qui plombe encore trop souvent l’industrie des petits jeux japonais en 3D. Au sempiternel problème d’ergonomie dégueulasse des menus (ne pas pouvoir équiper des objets directement depuis un magasin en 2019 ? sérieusement ?) s’ajoute une fréquence des combats qui, même si on peut en éviter une bonne partie, confine à l’absurde et des problèmes de caméra d’un autre temps qui en feront renoncer plus d’un. Une accumulation de petits détails impardonnables sur un jeu aussi réussi, quand certains d’entre eux auraient été extrêmement faciles à corriger avec un tout petit peu de bon sens.
Je ne donne qu’un exemple parmi d’autres pour vous montrer l’absurdité de ce gâchis relatif, mais le système de leveling des compétences des personnages utilise une mécanique parallèle aux points d’expérience. Les compétences progressent à l’aide d’objets que vous pouvez récupérer sur les monstres et les boss, et que vous avez intérêt à réinvestir immédiatement pour avoir des guerriers compétitifs. Ainsi, être niveau 50 ne vous servira à rien si vos pouvoirs n’ont pas été boostés. Eh bien pour accéder au menu desdites compétences, vous devez : aller dans un premier menu, puis dans un second menu, puis appuyer sur carré, puis sélectionner un personnage en particulier, puis dans un des cas, la classe donnée d’un personnage, puis sélectionner le type de consommable à utiliser, et seulement à ce moment vous pouvez booster votre compétence. Ce qui dans une ergonomie correcte devrait se faire en deux secondes vous en prendra trente. Même chose pour la transformation en combat de votre robot, qui peut alterner entre différentes formes : plutôt que d’attribuer une gâchette à la métamorphose, vous devez passer par deux menus, puis une longue animation de transformation. Et des frustrations mineures de ce goût, vous en aurez des dizaines tout au long de l’aventure, ce qui me fait déplorer qu’un jeu si joli, si agréable, si accueillant envers le grand public continue de se traîner ces lourdeurs et ces imprécisions chroniques. Si on ajoute à cela l’absence de localisation en français, on tient avec Destiny Connect une petite pépite, mais qui ne passionnera sans doute pas les adultes, tout en laissant une partie des enfants sur le carreau, ce qui laisse en bouche un léger goût de gâchis.
Destiny Connect : Tik Tok Travelers a été testé sur PS4 via une clé fournie par l’éditeur
Destiny Connect a toutes les chances de passer complètement inaperçu, alors qu’il s’agit à mon sens d’un jeu diablement important de cette fin d’année tant les 8-12 ans sont un marché délaissé du jeu narratif. Porte d’entrée très hospitalière ouverte sur le genre du JRPG classique, avec une ambiance familiale qui ne verse jamais dans le bêtifiant et des personnages simples mais bien écrits, le titre de Nippon Ichii Software arrive à transcender ses influences pour livrer l’un des meilleurs jeux de rôle pour enfants de la décennie, à rebours complet d’une tendance consistant à verser toujours plus dans la complexité des systèmes de jeu. En retenant qu’un bon jeu, c’est parfois être avant tout efficace et savoir à quel public on s’adresse, Destiny Connect est à sa manière une leçon de Game Design dont on peut hélas regretter l’absence de VF et les quelques foirages ergonomiques.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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