En 2016, Oscar Brittain a décidé de plaquer ses études d’architecture en Australie pour lancer un jeu de course en pixel art sur Kickstarter ce qui, à première vue, semble être une improbable succession de très mauvaises décisions. Deux ans plus tard, Desert Child sort sur toutes les plates-formes, avec presque pas de retard sur le planning.
L’image d’un jeune branleur avachi en train de fumer sa clope, adossé à sa moto volante, sur fond de hip-hop lo-fi, prêt à se lancer dans des courses effrénées pour se payer des nouilles : c’était la note d’intention qui a conduit le public à financer le projet à hauteur d’environ 15 000$ et Akupara Games à sortir ce projet issu du cerveau d’une armée composée d’un seul étudiant avec pas mal de temps libre. Mais Oscar Brittain promettait également un peu plus que cela : avec son côté light-RPG, l’influence revendiquée de Cowboy Bebop, son gameplay arcade ultra nerveux et sa résolution à se poser en sérieux candidat à la bande-son de l’année, Desert Child faisait beaucoup de promesses. Et si elles ne sont pas toutes très bien tenues, on tient là l’une des petites perles méconnues de cette fin d’année.
L’herbe est plus verte sur Mars
Le protagoniste de Desert Child n’a pas de nom. C’est un peu tout le monde, et un peu personne. On ne saura jamais exactement si c’est un chômeur ou un glandeur, mais ce qui est certain, c’est qu’il vit dans un monde sacrément fichu : la Lune a explosé, la Terre est un désert ennuyeux de poussière rouge, et il y a un peu partout les stigmates d’une catastrophe quelconque qui semble avoir impliqué des robots aliens. Pour tuer le temps et tenter de se payer un billet pour Mars où la vie serait plus cool, notre héros enchaîne les courses d’Hoverbike, mange des ramens, répare sa bécane, tape la discussion avec les autres losers du coin, et recommence le cycle.
Bien vite, à l’issue de ce qui va se poser comme un tutoriel assez sommaire (le jeu raconte bien des choses par ses décors et son ambiance mais n’est pas très bavard), le pilote se retrouve sur Mars, fauché comme les blés, à se traîner dans la métropole de la Nouvelle Olympe, peuplée mais assez tranquille, passant le temps entre les restaurants du coin, les bars, le marché aux fèves et les promenades sur le port. Et comme il faut bien gagner sa vie, continuer les courses de motos volantes. Seulement voilà, le prochain billet qui nous emmènera encore plus loin dans l’aventure, il est beaucoup, beaucoup plus cher. Et pour arriver à customiser sa moto pour pouvoir prétendre à de meilleures récompenses, il va falloir trouver un peu d’argent. Et c’est là que les ennuis commencent.
Desert Child propose une structure bien plus raide que ne le laisse supposer son ambiance ultra relax : vous faites des courses pour gagner de l’argent, et après celles-ci, vous réparez et améliorez votre bécane, et vous recommencez. Oscar Brittain n’étant pas complètement fou, il a pensé à faire varier les plaisirs de son jeu. Plus vous explorez la ville (à pied et assez lentement, pour respecter l’ambiance chill des lieux), et plus vous trouvez d’alternatives possibles à la simple course compétitive d’autant plus mal payée que personne -au début- ne parierait un kopeck sur vous : livraison de pizza, extermination de kangourous pour le compte d’un agriculteur énervé, braquage de banque, course truquée mais mieux payée si vous acceptez de vous coucher, simulation d’accident… A condition que vous mettiez un peu votre morale dans votre poche, tout est possible pour avoir une vie meilleure, ou juste pour dépenser de l’argent pour manger encore plus de ramens, bricoler votre bécane, ou… augmenter votre collection de vinyles de hip-hop instrumental, cosy jusqu’au bout de la cosytude à cosyville.
Extrêmement beau et terriblement mou
Par moment, Desert Child est si beau et sa musique si sympa qu’on en oublierait presque, entre deux sessions de course poursuite en chevauchant la moto-de-Kaneda-dans-Akira à la poursuite de Fry-de-Futurama, à quel point le jeu est mou et répétitif. Les limites offertes par le titre d’Oscar Brittain sautent aux yeux en moins de deux heures : si la ville est superbe, et si chaque petit bout de décor vous raconte des histoires palpitantes pour peu que vous ayez un peu d’imagination, il n’en reste pas moins que le jeu ne vous propose au final qu’une quinzaine d’écrans, quelques boutiques, et une dizaine d’activités différentes à faire, lesquelles se résument souvent à des variantes plus ou moins compréhensibles d’une course de moto en 1 contre 1.
Au bout de moins de deux heures, vous aurez fait le tour de ce que la Nouvelle Olympe peut vous proposer, et vous serez condamné à refaire encore et encore les mêmes courses, à manger encore et encore les mêmes ramens en écoutant les mêmes disques, à passer dans la même banque faire les mêmes dépôts, et à acheter des pièces de moto dans le même garage. Le tout dans l’espoir qu’une fois 10 000$ en poche, vous puissiez enfin en voir un peu plus de cet univers dans lequel vous végétez depuis déjà un peu trop longtemps pour ne pas commencer un peu à voir la peinture et les ficelles des décors. Seule sa bande-son composée de la crème de la crème du genre (Girlfriend Material, Mega Ran, Yokito Pilot…) ne lasse jamais.
Seulement, la limite de Desert Child, c’est l’immense déception au moment de participer au fameux Grand Prix que vous visez depuis le début. Alors qu’on sent que c’est narrativement à ce moment que le jeu devrait vous envoyer la sauce et faire véritablement débuter son univers qui convoque tour à tour Redline, Speed Racer ou Samurai Champloo, vous obtenez… le générique de fin. Une conclusion en queue de poisson, indigne des promesses des premières heures du jeu, et qui laisse l’impression bizarre qu’un pan entier du jeu a été coupé au montage, le wiki officiel du jeu et d’anciennes interviews de Brittain évoquant d’ailleurs un troisième hub, Europa. Difficile de savoir si cette fin brutale est intentionnelle, ou si l’auteur avait véritablement l’intention de délivrer quelque chose de plus grandiose en terme de finish. Mais en l’état, Desert Child laisse une impression d’inachevé en bouche.
Un jeu hélas dépourvu d’équilibrage
Si Desert Child avait eu, au moins, quelques semaines de plus pour que son auteur puisse travailler sur l’équilibrage des courses de moto, peut-être que tout cela aurait été bien moins frustrant. Hélas, l’autre grosse limite de ce titre est son incapacité à proposer une courbe de difficulté cohérente. Les courses et les missions annexes se remportent quasiment automatiquement, et plus vous progressez dans l’intrigue, et plus le challenge est absent du titre. La faute à une IA assez faible, qui semble n’avoir aucune envie de gagner les courses ni de vous nuire, et à un système trop permissif dans les missions annexes qui vous permet de vous comporter comme le pire des voyous sans que la police ne lève le petit doigt.
Autre problème : la gestion de l’argent, extrêmement pénible au début, vous fait très bien ressentir ce dilemme du travailleur pauvre qui doit choisir entre manger et réparer son outil de travail. Mais dès l’arrivée sur Mars, l’accès à une banque vous offrant de plus en plus d’intérêts au fur et à mesure de vos dépôts vous transformera en quelques heures en Crésus spatial capable de se payer absolument tout ce que le jeu peut offrir. Même une défaite lors du Grand Prix vous apportera de telles primes que vous n’aurez aucun mal à vous payer un nouveau droit d’entrée.
A l’image de son héros qui traîne sur les quais en se demandant quoi faire, le joueur est rapidement pris dans un étau d’ennui, entre des courses trop faciles et un système économique qui ne semble pas avoir été réfléchi. Et l’acquisition des bonus et autres éléments de votre tuning est elle-même assez vaine, au fond : les adversaires rencontrés sont si incompétents et peu agressifs que vous pouvez littéralement rouler sur le jeu avec votre poubelle de base. Restera donc uniquement le souvenir d’une direction artistique assez bluffante, et d’un ennui heureusement rythmé par l’une des meilleures bandes-son de l’année. Avec cette dernière petite pique faite au joueur : si vous pouvez augmenter le nombre de morceaux disponibles dans le jeu en les achetant au disquaire du coin, ce n’est pas vous qui décidez quand ils seront joués. Et allez comprendre pourquoi : Desert Child n’est même pas un très bon DJ.
Desert Child a été testé sur Switch via une clé fournie par l’éditeur
Loin de remplir ses promesses au-delà de sa direction artistique superbe qui digère 20 ans de SF pour en faire un délicieux petit bonbon, Desert Child déçoit surtout en ce qu’il ne parvient à aucun moment à présenter de la variété ou un quelconque challenge. Pire : le jeu donne l’impression d’avoir été livré à moitié fini, avec un gameplay mal calibré, une IA aux fraises et des objectifs trop simples et trop peu variés. On recommandera tout de même d’y investir les 10 euros nécessaires à la contemplation éphémère de cette planète Mars futuriste et terraformée et à l’écoute des musiques très réussies. Dommage, car Desert Child aurait pu être plus que cela.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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