Dark Devotion n’inspire pas sur le papier une confiance énorme : du pixel-art, un gameplay à la Dark Souls en 2D comme tant d’autres, et des promesses de salade indigeste entre Rogue Like, Souls Like, Metroid Like, et débrouillez-vous pour trouver une identité claire là-dedans. Jusqu’au titre du jeu qui semble presque issu d’un générateur aléatoire de die and retry gothique. Autant dire que je ne partais pas convaincu. Mais il faut garder l’esprit ouvert.
En réalité tout part mal là-dedans : une toute petite équipe qui rend sa copie post kickstarter avec un an de retard, l’annonce d’une date de sortie en catimini, un gros patch day one pour corriger un bug critique sur la reconnaissance de manettes, des versions consoles décalées dans le temps, l’extraordinaire Dead Cells qui ravit les cœurs des joueurs avec un pitch similaire : les développeurs français de Hibernian Workshop voyaient leur affaire assez mal engagée. Et sans vous mentir, ma première demi-heure de jeu, assez pénible, me faisait craindre le pire, à savoir me retrouver avec un petit clone peu inspiré d’autres succès ayant eu le mérite de sortir avant lui. Mais j’ai rapidement été amené à réviser ma copie pleine d’aigreur et de sel : Dark Devotion, c’est vraiment très chouette.
Vous êtes mort etc.
Comme je le précisais plus haut, rien n’est aussi peu engageant que cette énième entrée dans un temple répugnant et gothique en pixel art où des personnages mutiques et spectraux vous envoient vers une mort certaine en vous invitant à lire le lore du jeu dans la description des achievements. Les premières minutes du jeu sont cryptiques et répétitives, vous conduisant assez rapidement vers une mort obligatoire et bien peu méritée qui vous transportera dans les entrailles d’un temple macabre qu’il vous conviendra d’explorer depuis un hub rempli de PNJ à moitié fous. Le déjà-vu est là et bien là.
Mais rapidement, après une mort injuste ou deux, la sauce prend. Il y a des idées dans Dark Devotion. Premièrement, celle d’une exploration à embranchements multiples, mais sans retour en arrière possible jusqu’à la prochaine mort. Un level design fixe et astucieux pousse le joueur à refaire les donjons encore et encore, à la manière d’un metroidvania, et à mesurer ainsi sa progression évidente de niveau en niveau. Le jeu tient d’ailleurs davantage du boss rush que du souls-like, l’exploration et l’interconnexion entre les différentes zones s’avérant rapidement assez simples. Mais ce côté « sans-retour » des runs qui vous sépareront de deux morts est un véritable challenge vous forçant à placer stratégiquement vos points de résurrection et à partir en guerre avec un arsenal adapté au secteur que vous voulez explorer de manière plus profonde.
Sans être révolutionnaire, l’univers de Dark Devotion s’avère également beaucoup plus intéressant que prévu : si les premières minutes tiennent objectivement du mauvais Souls avec ses éternels temples en ruines, squelettes hostiles et village des damnés, la variété des environnements surprend de plus en plus à mesure que vous vous enfoncez dans les entrailles du temple maudit : des zones plus colorées, d’autres cerclées de geysers, des endroits où la nature reprend ses droits, et ainsi de suite. On est bien loin d’un simple enchaînement de zones putrides remplies de chairs mortes, et il y a une vraie récompense esthétique à découvrir les nouvelles zones, la quinzaine de boss situés à des points centraux du donjon étant chacun à leur manière des bijoux d’esthétique macabre ou étrange.
Minimap, Maxiproblèmes
La progression dans Dark Devotion s’organise en fonction d’éléments débloqués au fur et à mesure de l’aventure. Une fois un boss battu, vous pourrez toujours invoquer son arme dans la forge dans le hub du jeu (bien que le déblocage des items soit parfois un peu mystérieux). Une fois telle quête de chasse accomplie, vous pourrez toujours sélectionner telle ou telle potion ou objet de soutien. Une fois une tablette runique activée, vous bénéficiez pour toujours du bonus d’endurance ou de vie lui étant lié. Pas de niveaux ici, mais des statistiques augmentées en fonction de votre taux de découverte du jeu. C’est original et assez organique.
De même, la prise en main assez naturelle des commandes (roulade, esquive, attaque, changement d’arme à la volée, magie) induit une progression très naturelle du joueur, la possibilité d’affronter les principaux boss un peu dans n’importe quel ordre vous permettant de ne jamais être vraiment bloqué. Dark Devotion offre au joueur une progression assez lente, mais jamais frustrante. La difficulté est là, mais aucun boss ne vous résistera longtemps si vous revenez le voir un peu plus tard, avec une armure plus solide, une arme plus tranchante et des pouvoirs plus adaptés.
Hélas, l’expérience est souvent parasitée par des problèmes d’interface et de précision dans le gameplay qui nécessitent un énorme temps d’adaptation, et qui rendent l’expérience parfois injuste. Les hitbox des personnages ne sont jamais claires, de même pour l’allonge des armes, parfois étrangement trop larges, parfois beaucoup trop courtes par rapport à ce qui est montré à l’écran : on ne comprend pas toujours pourquoi on touche, et encore moins pourquoi on est touché. De même, le système d’esquive a tendance à être plombé par l’inertie de l’héroïne, les attaques s’annulant parfois en plein milieu, et on a la sensation de tomber ou de se prendre un coup d’estoc non pas parce qu’on a fait quelque chose de travers, mais parce que la bouillie de pixels à l’écran ne répond pas comme on le souhaiterait. Dans un registre similaire, des maladresses entachent parfois les menus (les PNJ « utiles » sont par exemple trop éloignés les uns des autres dans le hub central), avec des erreurs parfois grossières. Par exemple : ne pas signaler les runes déjà activées sur la carte, et leur laisser leur icône de base contenant un point d’interrogation. Des détails que l’on oublie vite, de même que le côté lourd des esquives et des coups, mais qui rendent ce Dark Devotion un peu moins qu’excellent.
Roule et frappe et roule et frappe et boule de gomme
Au cœur de l’expérience, les combats de boss de Dark Devotion sont toujours beaux et surprenants, mais trop peu d’entre eux mettent vraiment à profit les capacités du joueur. La plupart des antagonistes majeurs fonctionnent sur le même schéma. Vous arrivez, vous vous prenez une raclée parce que vous ne connaissez pas le pattern du boss, vous comprenez à quel moment faire vos roulades, et là, vous réalisez que ce n’était même pas sa forme finale. La plupart des combats sont donc divisés entre une phase où l’adversaire est entravé et prévisible et une où il saute et vole et se téléporte comme un cabri mutant. C’est efficace, et souvent très esthétique, mais trop d’affrontements suivent cet exact pattern, donnant un petit sentiment de redite au bout d’une dizaine d’heures.
Davantage que d’autres modèles qui l’ont précédé ou dont il s’inspire, Dark Devotion propose de toute façon une boucle de gameplay qui se répète assez rapidement. Sans que ça soit un problème gravissime, on fait un peu tout le temps la même chose. Un peu trop de fois les mêmes ennemis, un peu trop de fois à déployer les mêmes stratégies, à revisiter les mêmes endroits : au bout d’une dizaine d’heures, la fatigue s’est doucement installée. Cependant, mon réflexe immédiat a été ensuite de me dire « wow, déjà dix heures ? Mais c’est qu’il est prenant, ce petit bonhomme ». Finalement, le principal ennemi de Dark Devotion, ce n’est pas le nombre de ses défauts, c’est le fait d’arriver un poil trop tard dans un univers très concurrentiel qui a multiplié les propositions similaires depuis deux ans. Mais franchement, ce titre et les quelques idées fortes qu’il met sur la table valent bien les 20 petits euros qu’il demande à l’achat. Ce n’est pas un GOTY, mais il a bon cœur. Et je dis ça alors que ce type qui arrache son propre bras en crachant des flammes vient encore une fois de me toucher magiquement dans son dos avec son pattern fumé. Alors vous pouvez me faire confiance.
Dark Devotion a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
Dark Devotion est un bon jeu, qui arrive un petit peu trop tard sur un marché saturé de propositions un peu plus fortes à la Dead Souls. Cependant, sa tentative de mélanger boss rush, die and retry, Zelda like, Rogue Legacy et Castlevania fonctionne beaucoup mieux que prévu. Plus qu’une mayonnaise indigeste, nous avons là une salade parfois un peu lourde, mais où chaque élément a été choisi avec soin. Avec quelques erreurs de game design en moins et un gameplay plus précis, on tiendrait là l’un des meilleurs Action-RPG de l’année.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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