La liste des jeux consistant à taper des mots très vite n'est, mine de rien, pas si étoffée. Cryptmaster, le petit dernier dans le genre, propose d'y ajouter une bonne dose d'énigmes et d'exploration d'un donjon rempli de périls. Au risque de s'éparpiller un peu dans ce qu'il cherche à faire.
Il faut d'abord que je vous confesse un truc, qui va remettre en perspective les réserves que je vais étaler tout au long de ce papier : Cryptmaster c'est un jeu que je trouve marrant. Pas hilarant, pas à se taper les cuisses, même pas vraiment "drôle". Mais de temps en temps, une blaguounette, un rat avec une chaussure sur la tête ou un commentaire déplacé du narrateur m'ont fait renifler et dire "ah ouais, marrant". Rien que ça, c'est déjà pas mal : l'humour en jeu vidéo, ça tape souvent à côté. Ici, ça va. À chaque fois que Cryptmaster m'a tapé dans les côtes en me faisant un clin d'œil, j'ai trouvé ça ok. Mon problème, c'est qu'entre deux blagues reliées par une fort jolie direction artistique et sonore, il s'agit aussi d'un jeu. Signée Paul Hart et Lee Williams, cette aventure ne manque pas de belles idées, à l'image des précédentes productions expérimentales du duo. Mais beaucoup, beaucoup trop de ces idées se butent à un puzzle design et à une architecture des niveaux souvent bancals.
Paroles, paroles
Quatre morts-vivants se réveillent au fond d'une crypte. Le Cryptmaster, sorte de MJ particulièrement facétieux, leur intime de remonter à la surface. Surface qui ne sera atteinte qu'après un long, très long périple dans un donjon peuplé de créatures étranges, de monstres et de sortilèges. Oui, on est bien dans ce qui ressemble fort à une parodie de jeu de rôle à l'ancienne. C'est complètement assumé.
Mais la particularité de Cryptmaster est sans doute le dénuement complet dans lequel il vous place au début de votre périple. Le système de jeu est extrêmement simple : vous avancez, et quand vous rencontrez un obstacle, il faut dire ce que vous voulez faire en le tapant au clavier. Sauf que dans les premières minutes de jeu, les coquilles vides qui vous servent d'avatar n'ont ni mémoire ni compétences. Ces zombies décérébrés ne savent, en gros, que gémir et donner des coups de base : "hit" pour le soldat, "jab" pour le voleur ou encore "zap" pour la sorcière. Vous n'allez pas aller bien loin comme ça.
Excepté qu'en lieu et place de niveaux à passer, Cryptmaster vous propose plutôt une sorte de leveling par le biais de mots à trous à compléter. À chaque fois que vous réussissez quelque chose, vous allez gagner une lettre, qui va venir remplir une "barre de mot" sous le portrait de chaque personnage. Si vous devinez ce qu'est le mot en question, vous gagnez un souvenir, une compétence ou une attaque spéciale. En gros : vous levelez à coup de mots croisés.
Dis-le si tu veux te battre !
La plupart du temps, Cryptmaster arrive à intégrer son jeu de devinettes lexicales sans trop de difficulté au flux de l'aventure. Beaucoup de petits trucs sont faits pour vous faire "gagner des lettres" assez facilement pour peu que vous ayez la patience de fouiller un peu en dehors des sentiers battus. La quête principale propose même pas mal de variations qui s'éloignent des simples instructions de combat à taper aussi vite que possible, vous proposant par exemple de deviner les rimes d'un poème. Ou encore de dénicher des mots-clés pour convaincre des personnages qui vous bloquent une porte. Le système s'avère beaucoup plus varié que je ne m'y attendais lors de mes premières minutes de jeu.
Autre point fort du dispositif : ses options d'accessibilité nombreuses rendent Cryptmaster jouable même si, par exemple, vous ne tapez pas très vite ou pas très bien. Les combats sont en temps réel. Mais ils peuvent être transformés en jeu au tour par tour, ce qui donne un flow très différent, mais enlève toute pression liée au fait de devoir se souvenir de commandes et de les taper à toute berzingue.
De fait, une fois qu'on a pigé le truc, Cryptmaster n'est pas bien difficile, préférant se concentrer sur une histoire plutôt rigolote (malgré des blagues parfois faciles) et sur sa pléthore d'énigmes généralement basées sur des devinettes. Hélas, j'aurais aimé trouver ces dernières aussi intéressantes que le reste. Mais force est de constater que la plupart du temps, ces dernières sont plus ou moins des variations de blagues à la papa et de jeux de mots un peu faciles. Les indices donnés ne sont pas toujours bien intégrés au système, et m'ont régulièrement poussé à bruteforcer des solutions en essayant des trucs au hasard jusqu'à ce que ça passe.
Ouvrir porte, deviner dad joke
Et c'est en réalité un peu la limite de ce Cryptmaster : son idée centrale est excellente et son exécution technique est admirable. La manière dont le narrateur réagit quand vous tapez n'importe quoi, ou que vous faites une erreur de bonne foi dans une énigme, épate pendant une bonne partie de l'aventure. Du moins jusqu'à ce qu'on commence à en voir les ficelles qui finissent par devenir un peu trop évidentes. Mais cette idée se heurte à une quête principale articulée de manière assez frustrante, autour d'une quantité d'allers-retours épuisante.
La structure de chaque chapitre se répète ainsi ad nauseam pendant des heures : vous déboulez dans un nouvel endroit, mettons un village. On vous apprend qu'une porte y est fermée. Le roi des crabes ou un type du genre a la clé. Vous allez voir le roi en question au fond de son donjon. Il vous dit qu'il a besoin d'un talisman. Qui est à mi-chemin entre son palais et le village. Vous retournez le voir après avoir fait l'aller-retour : il vous file une potion, servant à activer un machin au sud du village, qui vous permettra de parler au maire, qui vous enverra chercher une clé, etc., etc.
Malgré un système de téléportation assez malin qui vous épargne quand même quelques voyages bien pénibles, Cryptmaster s'abîme ainsi dans un océan de quêtes FedEx assez laborieuses. Ces dernières vont vous conduire à refaire encore et encore les mêmes combats dans les mêmes couloirs et à avoir l'impression fréquente de tourner en rond. Pire, il arrive de devoir "farmer des lettres" parce que l'on se retrouve face à un ennemi nécessitant une compétence que l'on n'a pas encore devinée. C'est peu fréquent, mais c'est à chaque fois une belle perte de temps dans une aventure dont le rythme devient régulièrement assez haché.
Crpytmaster a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Avec son ton goguenard, son narrateur capable de décoder ce qu'on essaye de lui raconter et sa jolie DA, Cryptmaster prouve que le jeu vidéo sait encore innover en 2024. C'est original, c'est souvent brillant, ça va parfois plus loin et de manière plus audacieuse qu'on pourrait l'anticiper. Mais c'est aussi un jeu qui aurait, sans doute, gagné à être un peu plus directif et un peu moins centré sur une errance occasionnellement très désagréable. De plus, signalons que vu le dispositif déployé, il n'est proposé qu'en anglais (et en espagnol) et nécessite un vocabulaire assez pointu et occasionnellement assez technique. Autant de petits grains de sable dans une mécanique bien huilée qui réserveront l'aventure à une portion de joueur⋅euse⋅s.
Les + | Les - |
- Le concept est amusant | - Le level design force au backtracking constant |
- Très jolie direction artistique et sonore | - Beaucoup d'énigmes pas très intéressantes |
- L'humour fonctionne plutôt bien | - L'absence de VF force à avoir un gros vocabulaire en anglais |
- Gros effort sur l'accessibilité | - Les combats ne sont pas très intéressants une fois qu'on a pigé le truc |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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