CROWDED. FOLLOWED., majuscules et points compris, c'est une très courte, mais intense expérience se résumant à devoir fuir une entité épouvantable à la recherche d'une mallette mystérieuse.
Apparue il y a quelques années à présent, l'esthétique Haunted PS1, aka "l'esthétique 3D moche" commence à bien faire ses preuves. Des expériences comme Rental, Signalis, Crow Country ou encore El Paso, Elsewhere sont la preuve que le style des gros polygones baveux se prête extrêmement bien aux ambiances horrifiques. Un mélange de commandes volontairement rugueuses, de visages inexpressifs, de la force d'évocation de polygones bizarres : bien employé, ce courant graphique et ludique fait des merveilles. Il peut aussi s'avérer assez inutile et ne constituer qu'un simple gimmick, certes, mais je n'en finis pas de voir passer des propositions très intéressantes avec cette philosophie de game design. Et c'est une nouvelle fois avec plaisir que j'ai passé un moment joyeusement éprouvant avec le CROWDED. FOLLOWED. du micro studio Night Dial de Shane Ferry. Je m'y attendais un peu, puisque ce dernier avait publié il y a quelques mois une démo extrêmement bien reçue autour de ce concept.
Emplâtré par la foule
Il s'agit donc d'une expérience particulièrement brève que ce CROWDED. FOLLOWED., étant donné que vous verrez sans doute le générique de fin en un peu moins d'une heure (cinq minutes si vous êtes un petit rigolo qui ne respecte pas les consignes données dans la scène d'intro). Et c'est selon moi plutôt à porter au crédit du titre, puisqu'à peu près chaque minute de ce truc fonctionne à merveille, sans relâche ni baisse de rythme.
On y incarne un SDF anonyme et asthmatique, dans une ville fébrile, en pleine émeute, sur fond de paupérisme généralisé. Un homme à l'agonie nous file une valise d'aspect douteux et, façon It Follows (le cul en moins), on se retrouve traqué par quelque chose. Seul espoir de survie : prendre le dernier ferry vers le large, ou trouver un autre gogo pour porter la mallette. Au début, c'est simple. Asthmatique ou pas, vous n'aurez pas de difficulté particulière à vous éloigner de la créature. Mais cette dernière a un atout : pouvoir incarner n'importe qui dans une foule. Quelle malchance qu'entre vous et le bateau il y ait un métro bondé, une émeute nassée et une boîte dans laquelle on est serré comme des sardines entre l'huile et les aromates.
Plus la foule est dense, et plus le danger est présent. Et plus se déplacer est pénible pour un héros qui a la capacité pulmonaire d'une grand-mère qui s'enquille les paquets de goldos dès le petit-déjeuner. C'est à peu près tout : le jeu ne contient rien d'autre que des niveaux remplis de figures anonymes, dans une ambiance moite, et qu'un monstre en train de s'approcher lentement de vous, à chaque seconde, quoi que vous fassiez.
Un monsieur me suit dans la rue
Ce qui m'a particulièrement parlé dans CROWDED. FOLLOWED. ce n'est pas tant son minimalisme, qui l'empêche certes de s'éparpiller, mais bien son sens de la mise en scène absolument charmant. Moins d'une dizaine de "scènes" à traverser, c'est certes assez peu, mais chacune d'entre elles propose plusieurs idées vraiment géniales qui viennent illustrer le gameplay de mille petites manières différentes.
Dans le métro, ce sont des flux d'entrants et de sortants dans des couloirs étriqués, vous empêchant de progresser alors que vous entendez le sifflement du monstre derrière vous. Dans la boîte de nuit (au son d'un improbable concert de Chipzel), c'est un enchevêtrement d'escaliers, de toilettes saturées de monde et de salles de repos dangereusement isolées qui créeront des pièges mortels. Sur la plage dépeuplée au beau milieu de la nuit, rare moment de répit, c'est la rencontre extrêmement déprimante avec un autre SDF qui vous ramène à la réalité. Jusqu'aux toutes dernières secondes du jeu, l'intensité ne baisse pas d'un iota et maintient cette effroyable peur de vous retourner pour savoir quelle distance vous sépare de la créature.
Et même si cette option disparaît dans les niveaux de difficulté les plus élevés qui ne vous laissent que le sens de la vue, le challenge de base du jeu est soutenu par un système sonore particulièrement éprouvant. Plus le monstre se rapproche, et plus votre personnage commence à entendre de très désagréables bourdonnements et autres sifflements angoissants, signalant qu'il serait peut-être temps de reprendre la course, tant pis pour votre barre d'endurance. Un management du stress particulièrement vicieux, qui, là aussi, vous pousse continuellement à la tentation de vous retourner pour voir arriver la catastrophe. Au risque de perdre une ou deux précieuses secondes.
Déprime de risque
Je ne sais même pas si c'était une intention de Shane Ferry en développant CROWDED. FOLLOWED., mais son jeu me restera aussi en tête pour le discours parfaitement déprimant, mais assez juste, qu'il déploie pendant ses quelques dizaines de minutes. À bien des égards, il ne s'agit pas tant d'une aventure dans laquelle une créature invincible vous traque que de l'exposé cruel d'une société à deux minutes de s'écrouler complètement.
Vous incarnez un malade laissé pour mort faute de soins. La foule anonyme des transports est hagarde et en sueur. L'émeute gronde et se rapproche, et certaines rues sont déjà en feu. Et le seul îlot de normalité apparente est incarné par un night-club survolté, dont le vigile vous indique avoir solidement verrouillé les portes, pour laisser les rues se couvrir de sang sans perturber une fête destinée à saturer les sens des clubbeurs. Ces derniers finiront d'ailleurs exfiltrés de manière chaotique par un cordon de police, alors que la situation dégénère avec les manifestants. Et nous, qu'est-on dans ce marasme ?
Les dernières minutes nous proposent de répondre à cette question, en fuyant nos responsabilités d'une manière plus ou moins cruelle selon qu'on est tenté de céder à une forme de nihilisme particulièrement brutale. Non, vraiment, je ne sais pas si CROWDED. FOLLOWED. est un jeu qui nous crie volontairement que tout est foutu pour nous faire prendre conscience de quelque chose, ou si c'est juste le zeigeist qui veut ça. Mais peu importe, le résultat est glaçant. Déprimant, oui, mais absolument saisissant.
CROWDED. FOLLOWED. a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Vous aurez compris que CROWDED. FOLLOWED. est un jeu aussi brillant que profondément macabre. Le genre qui donne envie d'aller faire un gros câlin au développeur en lui demandant si tout va bien, dans le doute. Mais c'est aussi une petite leçon de game design qui parvient à rester simple tout en variant profondément l'expérience à chaque tableau. L'illustration parfaite de l'adage "I want shorter games with worse graphics made by people who are paid more to work less and I’m not kidding", qui prouve, s'il en était encore besoin, qu'un jeu d'une heure vendu une poignée d'euros peut vous marquer durablement.
Les + | Les - |
- Court mais particulièrement intense | - Quelques bugs de collision par-ci par là |
- Exploite très bien son concept de monstre caché dans la foule | |
- Le commentaire social du jeu est perturbant, mais marquant | |
- Un magnifique concert de Chipzel |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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