Contrairement aux jeux signés FromSoftware et à l’essentiel de leurs clones 3D comme 2D, le Code Vein de Bandai Namco se démarque par un refus continu de l’hermétisme et un scénario explicitant son propos au détriment de l’habituel travail sur le design environnemental. Et c’est sans doute la meilleure idée du Souls-Like de Bandai Namco, et peut-être sa seule planche de salut.
Dans une grille de bingo recensant les clichés sur les « Jeux Comme Dark Souls » figurerait en très bonne place le quasi mutisme de son intrigue ainsi que la fameuse « narration environnementale », une notion apparue pour le meilleur (Sekiro) comme pour le pire (Fallout 4), et désignant la manière dont certains jeux racontent leur histoire plutôt par les descriptions d’objets dans les menus et la nature des décors que par des dialogues d’exposition explicite. En résulte un certain « ton » souvent imité et rarement maîtrisé qui consiste à surtout laisser le joueur se débrouiller avec du charabia cryptique et des allusions très vagues qu’il aura souvent du mal à assembler dans son esprit trop occupé à éviter à son personnage de mourir en boucle. Mais si les premières minutes de Code Vein laissent à penser qu’on va se retrouver sur ces rails bien connus à base de personnage silencieux et mystérieux et d’univers ineffable, le ton change dès la fin du tutoriel. À défaut d’être un jeu solide, Code Vein est un récit épique, un shonen vampirique vitaminé et plein de rebondissements qui porte fièrement l’étendard de sa narration extrêmement kitsch, mais très efficace en réinvention en roue libre du Mythe du Vampire.
Influences Aléatoires
Code Vein, à ce qu’il semble, est donc une histoire de Vampires. Des créatures immortelles en quête de sang, c’est cependant quasiment tout ce que retient l’univers du jeu de ce mythe venu du fond des âges, tant le reste semble un mélange absolument aléatoire entre Desert Punk, Ken le Survivant, Berserk ou encore Jayce et les Conquérants de la Lumière et ses monstroplantes.
Dans un monde futuriste et détruit, réduit à quelques ruines fumantes, des créatures immortelles, les Revenants, ont mené une lutte désespérée contre les Déchus et leur Reine, lutte par ailleurs gagnée bien avant le début du jeu. Au prix d’un monde où les derniers humains servent de stock de sang aux Revenants, eux-mêmes seul rempart contre les hordes de monstres qui continuent à hanter les ruines. Blablabla, on va vous la faire courte : vous aurez bien entendu compris que la Reine n’est pas vraiment morte, et que le fait que le protagoniste silencieux et amnésique que vous incarnez soit le seul personnage à pouvoir utiliser la compétence de manipulation de la mémoire des autres à part la Reine est sans doute un indice que etc etc. On ne vous la fait pas, à vous : si vous avez déjà joué à un RPG des années 2000 ou assisté à un atelier d’écriture avec des adolescents, vous voyez très bien où vous mettez les pieds.
Ce qui étonne, c’est que son histoire un peu abracadabrantesque, Code Vein la raconte à rebours complet de ce que Dark Souls, The Surge, Ashen et autres Dark Devotion ont proposé ces dernières années. Exit les voix ténébreuses, les propos lunaires, les paysages abandonnés depuis des lustres dont seuls les squelettes fossilisés racontent l’Histoire passée : ici, ça rit, ça crie, ça blablate, ça se tape dans le dos et ça raconte sa vie à tout va. Le jeu est incroyablement bavard, ne serait-ce que parce que le joueur est en permanence accompagné d’un sidekick qui a sans arrêt quelque chose à dire sur ce qu’il se passe à l’écran. Dans le hub central, tout le monde vous raconte sa vie, la reconstruction de la mémoire des compagnons étant d’ailleurs un enjeu scénaristique majeur. Et il ne se passe pas dix minutes sans qu’un marchand ou un donneur de quête de passage vous raconte que pendant la guerre, ici, telle unité a battu tel traitre et que la dernière fois que quelqu’un est passé, il a trouvé un passage secret qui donne sur une salle dans laquelle un autre donneur de quête vous racontera ses années collèges : j’exagère à peine. Et vous savez quoi ? Malgré l’emphase et les boursouflures scénaristiques de l’ensemble, j’ai trouvé ça diablement reposant.
Shonen_Crétin.exe
En Histoire de l’Art, on a souvent qualifié l’art « officiel » du XIXè d’Art Pompier, une expression assez péjorative désignant plus largement l’Art Académique, un courant attaché à la tradition, au monumental, aux sujets historiques figés dans le temps, et à une symbolique souvent assez grossière et facilement identifiable par des demi-mondains avec un vague vernis de culture. Si les œuvres de Hans Makart, Thomas Couture ou Eugène de Blaas ne déméritaient pas et connurent un certain succès à leur époque, le fait est que vous n’avez sans doute jamais entendu parler de ceux qui furent le mainstream de leur temps. Et pour cause, un si parfait alignement avec les besoins et les envies des spectateurs du Salon de 1863 était un garde-fou évident contre toute tentative d’innovation. Les artistes académiques ont même souvent été moqués pour constituer l’arrière-garde de la création, avec des a priori créatifs (hiérarchie des genres, représentation datée et figée du Monde…) si forts qu’ils créaient des œuvres immédiatement ringardes destinées à ne constituer que l’Art Officiel de régimes autoritaires peu enclins à favoriser les poètes symbolistes, les peintres socialistes, les romanciers engagés ou les femmes : bref, tout ce qui est susceptible de créer de la pagaille dans une bonne société libérale, patriarcale et bourgeoise.
Mon propos n’est pas de dire que Code Vein serait de ceux-là, tant il est évident que ce jeu assez vilain n’est heureusement l’Art Officiel de rien. Mais il est cependant encroûté dans un académisme formel comme on en trouve quasiment plus que dans les modes solo des FPS américains décérébrés : couloirs et arènes, toujours ponctués de cutscenes, intrigue basée sur l’amnésie et des mystères qui n’auraient pas cours si les personnages prenaient deux minutes pour échanger leurs informations, level design sans queue ni tête qui ne raconte pas grand-chose, et surtout narration extrêmement explicite et performative, qui semble avoir peur à tout instant que vous ayez raté le moindre bout de l’intrigue, et vous la répète encore et encore d’autant de perspectives différentes que possible.
Ce qui m’a fait passer un si bon moment au milieu de ce fatras, c’est que cette manière de faire s’inscrit à rebours à peu près complet de tout ce qui fait le genre et la grammaire des Souls. Avec ses personnages typés shônen, ses décors criards, ses personnages héroïques à deux doigts de crier le nom de leurs attaques et ses retournements scénaristiques qui feraient passer ceux de la fin de Metal Gear Solid 2 pour du Tolstoï, Code Vein se rattache à une manière de dire le jeu vidéo qui semble non pas morte et enterrée, mais cantonnée aux RPG Japonais de Compile Heart ou Gust, et qui a connu son âge d’or voilà vingt ans. Les rares représentants grand public de cette grammaire narrative aujourd’hui sont à chercher du côté de Final Fantasy XV ou Xenoblade Chronicles 2, et ce n’est pas très glorieux. Plus la manière de raconter les Souls-like s’affirme, plus elle a tendance à s’éloigner de ce modèle daté de l’époque PS1. Le récent Sekiro trouve un compromis entre le mutisme d’un Demon Souls et les dialogues ciselés d’un film de sabre à la Kurosawa, et c’est sans doute une forme d’accomplissement. En renouant avec les récits adolescents bruyants et stupides, Code Vein tente quelque chose d’au moins aussi osé, et le résultat, pour peu qu’on soit prêt à laisser son cerveau couler par ses oreilles, est tout sauf déplaisant.
Et sinon, c’est un bon jeu Code Vein ?
Hem. Question compliquée, tant il est évident que le projet n’a bénéficié ni du même budget ni de la même maîtrise d’œuvre que Sekiro ou Bloodborne. D’une manière générale, le titre est assez plaisant, la mécanique de binôme étant assez amusante sur le terrain, vous forçant à penser votre stratégie de combat autant en fonction des monstres que de votre sidekick. Le gameplay et les pouvoirs utilisables sont modulables en fonction de votre groupe sanguin, que vous pouvez changer à mesure que l’histoire se déploie, une bonne idée pour vous faire passer par les différentes armes et les différentes stratégies nécessaires à battre les différents boss du jeu.
Hélas, Code Vein, c’est aussi une certaine mollesse dans les déplacements des personnages, des mécaniques d’esquive et de contre qui fonctionnent assez mal, un bestiaire qui peine à se renouveler, des boss qui marquent à peine… Et c’est sans compter le travers de l’essentiel des RPG japonais modernes à quelques exceptions près : un empilement de systèmes et de sous-systèmes opaques, des menus alambiqués et peu pratiques, du craft maladroit, des monnaies parallèles et d’une absence invraisemblable d’ergonomie générale.
Code Vein pourra rapidement lasser les moins persévérants, tant on y meurt pour rien, par rigidité des commandes ou par manque de clarté du gameplay davantage que par manque de skill. Cela serait se priver d’un titre que je trouve pour ma part assez sympathique, mais qui sort vraiment cinq ou six ans trop tard pour qu’on lui pardonne un gameplay et des graphismes qu’on aurait eu du mal à accepter sur PS Vita.
Récompenser par l’outrance
Les jeux vidéo ont pour nombre d’entre eux une dynamique basée sur des boucles de récompense. Vous franchissez une zone, un boss, un palier de population, un score, ou une variable quelconque, et on vous donne une récompense qui vous incite à continuer jusqu’à la prochaine. Dans les Souls, cette récompense est presque extradiégétique, et tient dans l’immense sentiment d’accomplissement intérieur après avoir franchi un mur de difficulté. Et la narration purement contextuelle de ces jeux vous livre aussi un bout de décor supplémentaire, un raccourci quelconque ou un artefact antique qui vous livre une des pièces du puzzle cryptique de l’intrigue. Code Vein, là encore, refuse cette tendance pour basculer dans un classicisme presque déroutant : votre récompense pour avoir franchi un obstacle dans le jeu de Bandai Namco, c’est quasiment systématiquement un trio de personnages qui parlent et gesticulent pendant 20 minutes pour faire avancer le schmilblick.
Il n’y a pas si longtemps, cette manière de procéder était encore la norme pour tous les RPG japonais : on battait un gros boss, on était récompensé par une cinématique en 3D spectaculaire, de celles qui s’étalaient en papier glacé dans les pages preview des magazines. Vous livrer un moment de contemplation pour poser la manette était en soi un cadeau du jeu au joueur. Et les développeurs de Code Vein n’en ont sans doute pas conscience, mais les Action RPG modernes ne récompensent quasiment jamais le joueur de cette manière, tant il semble évident que le genre s’y prête assez mal. Mais pour ceux qui ont connu Grandia, Xenogears ou encore Vagrant Story, cela a un côté très satisfaisant, un peu le même que de remettre les pieds dans la maison de campagne de sa grand-mère après un long moment passé dans les lumières de la ville.
Le résultat peut dérouter, tant l’ensemble est outrancier et baroque, et tant le manque de moyens donne un résultat parfois à la limite du ridicule. Code Vein a été un jeu accouché dans la douleur après plusieurs reports, et ça se sent, y compris dans ses aspects purement narratifs. Certains personnages ont été bâclés, d’autres visiblement ajoutés et retirés du cut final de manière assez hasardeuse, d’autres sont purement et simplement des plagiats auxquels on a oublié de mettre une fausse moustache (un PNJ de mécanicienne automobile sexy, mais où ai-je déjà vu ça récemment ?). Que dire aussi de ce niveau central au jeu de la Cathédrale de Sang, sorte d’Annor Londo complètement dégénéré et qui marque une pause de presque 3H quasiment muette (et mortellement ennuyeuse) dans la narration du jeu. Mais à mon sens, ce côté bancal est presque au service d’un jeu qui semble tout droit avoir été pensé pour une époque où les Souls n’existaient même pas encore. Il s’en dégage une certaine liberté de ton oscillant entre idées géniales et copies ratées d’autres jeux, mais à part l’interface et la mécanique de résurrection qui sont une copie carbone des Souls, Code Vein me semble être l’une des tentatives les plus rafraîchissantes d’apporter du neuf au moulin des copycats du catalogue FromSoftware.
Code Vein a été testé sur PS4 via une clé fournie par l’éditeur.
Les systèmes narratifs de Code Vein sont profondément immatures. Baroque, braillard, surjouant la carte de la pose et du spectaculaire, le Souls Like de Bandai Namco prend le parti sans doute involontaire de jouer le pire et le meilleur du théâtre du Grand-Guignol pour récompenser le joueur d’avoir triomphé par des cutscenes à mi-chemin entre le flamboyant et le grotesque. Issu d’une époque révolue où un pan de scénario était avant tout un cookie lancé au joueur persévérant pour le pousser à avancer, Code Vein propose ainsi une mécanique gentiment désuète, mais absolument décomplexée qu’aucun des clones de Dark Souls n’a jamais tenté. S’il peut ouvrir la voie à d’autres manières de raconter les actions RPG à la japonaise, il aura pleinement rempli sa mission.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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