Dernier né dans une longue lignée de jeux dits « cyberpunk », Cloudpunk est le deuxième jeu du studio ION LANDS, déjà à l’origine de Phoning Home, un jeu d’exploration et de survie où les personnages principaux étaient des robots et une IA. Si les développeurs allemands ont laissé tomber les robots, ils ont été avantageusement remplacés par des androïdes pour livrer un récit cyberpunk, où Rania, notre héroïne, se retrouve à devoir s’adapter à sa nouvelle vie dans la ville, après avoir dû délaisser sa région d’origine.
Walki… Flying Simulator
Ah, Nivalis. Ville tentaculaire au trafic incessant, ne facilitant pas la vie de notre livreuse de colis suspects, Rania. Aidée par l’automata, sorte d’IA, de son véhicule, qui était auparavant son chien parce que c’est ça aussi le futur, et le skill variable du joueur, il s’agira pour notre protagoniste de mener à bien des livraisons de quartier en quartier, sans trop poser de questions sur là où on l’envoie. Ce qu’elle n’arrivera évidemment pas à s’empêcher de faire pour le bien de l’histoire. Pour cela, elle est dotée d’un HOVA, un véhicule volant qui lui permet de se déplacer dans l’entièreté de la ville, les concepteurs du jeu ayant eu le bon goût de ne pas mettre de murs invisibles. Même si le véhicule n’est pas des plus maniables, l’exploration reste agréable tant la ville est faite avec soin, tout en verticalité exploitable. Il y a des phases à pieds aussi, où la caméra a tendance à faire des siennes et à gâcher un peu le plaisir mais on pardonne, comme on ignore ces arbres ressemblant à un modèle Minecraft écrasé, tant tout le design respire le bon cyberpunk des années 80 que l’on attend. On a envie de s’y perdre aussi bien en véhicule qu’à pieds, de visiter chaque bâtiment malheureusement inaccessible, de s’arrêter pour boire un verre dans un bar mal famé et faire une rencontre louche, descendre un escalier sombre au fond d’une ruelle pour aller chez un chirurgien non diplômé se faire installer un implant bon marché pour être plus efficace dans son travail misérable. J’aurais pu tout pardonner à Cloudpunk, et vous allez voir que je lui en veux pour plein de choses, si seulement j’avais eu le droit à plus de liberté et d’actions sûrement clichées dans Nivalis, tant il semble dommage de gâcher cette méga-cité dans une histoire linéaire. Malheureusement pour moi, il semblerait que j’attendais un autre jeu et le titre que j’ai eu à la place n’a pas vraiment suffi à répondre à mes attentes.
Car une fois passé l’émerveillement devant les lumières chatoyantes de la nuit, les personnages se mettent à parler. Et parfois, doubler entièrement son jeu n’est pas la meilleure des idées. On sent que l’actrice qui double Rania essaie mais on n’y est clairement pas. Contrôle, votre contact à Cloudpunk, est bien mieux, mais je ne saurais dire s’il est vraiment bien ou s’il l’est juste en comparaison des autres. Par contre, Camus, le chien/véhicule IA, est une horreur qui m’a fait languir une option pour passer les dialogues tant je souffrais de l’entendre. C’est fort dommage puisqu’il est là pour rester sur les 7/8h que dure le titre. Le reste du casting n’est pas vraiment là pour rattraper l’ensemble, à part quelques rares bonnes surprises comme Huxley, cet androïde détective qui parle comme un narrateur de film noir. Parfois, je n’arrivais même pas à distinguer les êtres humains des androïdes, et il faut noter que les androïdes sont souvent caractérisés ici par le manque de vie de leur voix. Il faut dire qu’ils sont plutôt au niveau des dialogues qu’ils déroulent puisque si on n’est pas dans une histoire atrocement mal écrite, nous ne sommes pas ici face à un chef d’oeuvre non plus, tout juste quelque chose de divertissant et de passable, assez pour continuer jusqu’à la fin. Et puis, j’aurais même pu passer outre plus ou moins tout ça si on ne m’obligeait pas à rester sans rien faire à écouter des dialogues interminables en attendant de me donner mon prochain marqueur de livraison. Il n’y a aucun choix de dialogue à faire dans le jeu, ce qui est plutôt logique vu qu’on est quand même censé être en train de conduire la plupart du temps, mais le rythme auquel l’histoire se déroule n’est pas raccord avec le rythme de jeu. Un titre comme Oxenfree vous faisait parfois courir le risque de rater quelques répliques pour conserver une vitesse soutenue, en accord avec son gameplay. Une option préférable à celle de rester, pour le bien de l’histoire, sans le contrôle de mon véhicule pendant cinq minutes pendant que ça parlait dans tous les sens. Il est dur de ressentir une empathie quelconque pour ces personnages quand le titre vous prive du peu d’interaction que vous avez juste pour les écouter.
Le cyberpunk, le choix facile du jeu vidéo
Quand un jeu se dit « cyberpunk », il veut souvent parler du côté esthétique de la chose. Même si la différentiation entre le cyberpunk écrit et le cyberpunk visuel n’est jamais très explicite, il faut se rendre à l’évidence : les thématiques du cyberpunk des années 80, si elles ne sont pas un minimum actualisées, n’ont plus lieu d’être. Tout simplement parce que l’on vit déjà dans ce futur dystopique fait de grandes corporations plus puissantes que des gouvernements et sur qui notre vie quotidienne dépend, où les riches deviennent de plus en plus riches chaque jour et où on est tous reliés par un réseau mondial. Sans oublier que dans les œuvres classiques du genre, ce qu’ils considéraient comme le futur est déjà notre passé. Ce qui n’empêche malheureusement pas le jeu vidéo de se réapproprier ce genre, souvent à tort, probablement échaudé par les événements politiques qui ont marqué nos années 2010. On se contente de repousser la date et de se dire que c’est encore un futur qui ne s’est pas réalisé puisque l’on n’a toujours pas d’androïdes, d’implants et de voitures volantes. Douce illusion dans un monde où les « fake news » ont fait élire des présidents et où des journalistes ont comme seul métier de débusquer les dites fausses nouvelles, au prix d’insultes sur les réseaux sociaux. Alors quand Cloudpunk se ramène, avec ses jolis bâtiments, ses riches qui vivent dans des tours dominant le reste de la ville et son héroïne au grand coeur, je me demande bien ce qu’il cherche à me raconter de plus.
Parce que je sens que Cloudpunk cherche à me dire quelque chose. Le problème est que son propos est flouté à cause d’une héroïne parfaite, étrangère à Nivalis et dont les bons sentiments n’ont pas encore été terni par la cité. Sa caractéristique principale cependant, c’est son manque de réaction aux choses évidentes. Quand le jeu nous fait comprendre d’innombrables fois que Rania se fait exploiter par Cloudpunk qui prend une marge plus que conséquente sur ses courses, elle ne se permet aucun commentaire, même en privé. Ses seules paroles un peu contestataires sont les réponses aux questions naïves et incessantes de Camus, mais la plupart restent en surface. Comme la majorité des jeux vidéo qui veulent mettre en avant leur histoire, ION LANDS a oublié le côté interactif du média. Ce qui est dommage dans un jeu qui parle aussi bien de racisme, que de privilèges des riches, que d’exploitation des travailleurs précaires et où faire vivre au joueur des actions qui illustrent tout ça était plutôt simple avec comme base « une étrangère travaille pour un service de livraison semi-illégal que seuls les plus riches peuvent se payer ». Le fait que le titre se déroule sur une nuit n’aide pas non plus, il est toujours compliqué de suspendre son incrédulité au point de croire qu’une jeune femme précaire seule dans une méga-cité arrive à changer des gens du tout au tout juste avec son bon fond, voire même changer totalement le fonctionnement de Nivalis dans son ensemble. J’aurais aimé plus de nuance, surtout quand on se revendique du cyberpunk, contrairement à une histoire linéaire manichéenne où chaque maigre choix est limpide et où on me nourrit de caricatures.
Cloudpunk a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Étonnamment, si Nivalis n’avait pas été aussi réussie, j’aurais été moins déçue au final par Cloudpunk. Si l’exploration libre est possible après avoir fini l’histoire principale, rien ne pousse vraiment à continuer, à part la beauté de la ville et quelques quêtes secondaires. Je comprends bien qu’étant un jeu indépendant, tout ce que j’aurais aimé voir n’était pas forcément possible mais, si mon jeu narratif se veut cyberpunk et qu’il laisse sous-entendre quelques propos chargés politiquement, j’aimerais qu’il aille jusqu’au bout de ses idées au lieu de compter sur la morale des joueurs pour faire le reste du cheminement, choix dangereux quand on voit le profil de certains consommateurs. Au final, je me retrouve avec un jeu dans lequel je me contente de faire des allers-retours et où je suis une histoire passable mais oubliable. Cloudpunk est resté en surface et c’est dommage quand tant de possibilités s’ouvrait à lui.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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