Premier jeu du studio australien Insert Disk 22, Born Punk fait le pari d’un jeu d’aventure point and click très classique dans la forme, mais mettant le paquet sur son univers, avec ses quatre personnages plongés dans une ville européenne plutôt réaliste et déprimante.
Il y a, depuis quelques années, tellement de jeux cyberpunk qui déboulent sur le marché du jeu vidéo que la catégorie « un jeu cyberpunk avec un chat » est un sous-genre à part entière. Pas facile de se démarquer dans cet océan visiblement sans fin d’aventures à néons violets où des cyber-justiciers luttent contre des techno-corporations plus ou moins cyniques et sinistres. Born Punk, à première vue, ne paye pas de mine : des point and click dans le style, on en a déjà eu assez pour en faire des listes thématiques. Et de prime abord, Born Punk n’a pas grand-chose pour sortir du lot, si ce n’est l’argument marketing vous promettant d’incarner un matou à un moment de l’aventure. Mais si le titre s’extirpe assez mal de la mêlée par son gameplay frustrant et mollasson, il faut lui reconnaître que niveau scénar, le studio rend une copie assez admirable.
Les héros de la Baltique
Bornholm : une île artificielle sur la mer Baltique, quelque part au beau milieu du XXIIe siècle. À coup de géo-ingénierie, le capitalisme débridé a plus ou moins triomphé du changement climatique en causant une nouvelle ère glaciaire. Fun. L’Europe est plongée dans une météo froide et pluvieuse, tandis que le triomphe du technosolutionnisme a permis à tout le monde de se payer des prothèses cybernétiques relativement pourries et injectant directement de la publicité dans votre cerveau. Comme si le programme n’était pas assez réjouissant, Born Punk fait le postulat qu’une partie des pays de l’Est et du Nord de l’Europe est plus ou moins devenue un espace colonial pour l’armée russe (toute ressemblance, etc.) et que l’Ouest a plus ou moins abandonné la résistance locale à son sort, particulièrement la Finlande martyre.
Bornholm, cependant, est loin de tout ça : la ville est le siège d’un immense ascenseur spatial qui assure la prospérité des entreprises locales et attire des millions de damnés de la Terre qui s’entassent dans des quartiers pas très salubres à la périphérie. On y découvre rapidement les trois personnages principaux et demi de Born Punk : Eevi la hackeuse mercenaire paumée et alcoolique revenue vivre à l’étage du bar de son père à la suite d’une série d’embrouilles, Mariposa, la tourmentée directrice démissionnaire de la plus grosse entreprise du coin et… Grandmaster Flashdrive, alias Flash, un androïde toxicomane se prenant pour un génie du rap des années 80, ce qui est localement considéré comme de la musique classique, et occasionnellement en proie entre deux « booyashaka » ringards à d’étranges monologues graves et théâtraux. Si j’ai parlé de trois personnages et demi, c’est aussi que l’adorable petit chat d’Eevi, Faxina, est amené à jouer un rôle dans toute cette affaire.
Une affaire qui commence d’ailleurs assez mal pour nos trois cyber-potes : Eevi, Mariposa et Flash se retrouvent simultanément aux prises avec des voix d’intelligences artificielles leur intimant d’effectuer un certain nombre de tâches sous peine de « grave danger pour l’Humanité ». Trois salles, trois ambiances : Eevi, habituée de la chose technologique, sera contactée directement par ses implants. Mariposa, elle, perdra totalement son autonomie corporelle et verra l’IA parasite la piloter en laissant son esprit enfermé à l’arrière. Quant à Flash, sa « possession » prend la forme d’un microphone parlant sur un site de téléchargement illégal de rap vintage, on ne se refait pas. Bien entendu, les destins de nos trois personnages vont finir par converger et le curieux attelage va devoir lever le voile sur la série d’événements en cours. Si on ne s’écarte jamais vraiment des canons du genre, on ne peut qu’apprécier la qualité de l’écriture de Born Punk notamment permise par le caractère bien pensé et bien équilibré des trois personnages. Les dialogues sonnent juste, le doublage est au poil, et les situations sont variées, pour peu qu’on ait un petit goût pour le loufoque.
La mécanique du rire
C’est peut-être la grande surprise de Born Punk : ne véritablement moderniser ni le fond ni la forme de la formule des jeux d’aventure des années 80 façon Lucas Arts. Particulièrement en ce qui concerne le registre narratif. Alors que la plupart des situations présentées par le jeu sont assez déprimantes (toxicomanie, violences policières, alcoolisme ou encore dépression sont au programme), le traitement oscille constamment entre sérieux et bouffonnerie.
On retrouve ainsi ce plaisir un peu désuet des personnages en train de s’irriter quand on essaye de combiner deux objets n’importe comment, les commentaires ironiques quand on fait un clic droit sur un objet du quotidien ou simplement les vannes et les jeux de mots qui fusent dans les options de dialogue. Cela donne parfois à Born Punk un tout petit problème de ton, tant il est devenu rare que les jeux d’aventure se permettent ce genre de double discours mi-tragique, mi-comique qui ralentit parfois l’action au profit d’une petite blagounette bien placée. Heureusement, l’humour de Born Punk a tendance à faire mouche, particulièrement dans les chapitres consacrés à Flash, l’élément comique du trio. On retrouve néanmoins ce petit goût pour la plaisanterie de manière un poil trop constante tout au long du jeu, ce qui casse souvent le sentiment d’urgence et de tragique.
En revanche, on appréciera beaucoup le fait que si le jeu a un déroulé extrêmement classique, découpé en tableaux qui sont autant de séries de petites énigmes à résoudre en combinant des bidules, il y a souvent plusieurs méthodes pour résoudre un même problème. Une possibilité qui reste rare dans un jeu aussi classique. La plupart du temps, cela se traduira par des choix dans les dialogues pouvant vous permettre de modifier le déroulé d’un événement ou par exemple par la capacité de décoder un mot de passe OU de carrément forcer la serrure du coffre. C’est néanmoins aussi la seule limite de ce jeu franchement réussi par ailleurs : malgré cette souplesse dans l’exécution, Born Punk reste parfois frustrant et plombé par une interface un peu gauche.
Un léger manque de Cyperbpolish
Cette gaucherie se voit notamment dans le menu de sélection des différents objets à combiner, plutôt moche et ne permettant pas d’afficher d’un coup tous les items récoltés. De plus, cette interface se ferme quand une combinaison d’objets est fausse, forçant à la rouvrir, puis à naviguer à nouveau sur les flèches de sélection, etc.
Cela se traduit aussi par un assez inélégant codex se débloquant au fur et à mesure de l’aventure et renfermant des éléments parfois très précis et importants sur l’intrigue, les lieux, les personnages et ainsi de suite. Excellente idée sur le papier, d’autant plus que ce codex est fort bien écrit ! Seulement, l’activation de son interface (sous forme de vision façon casque de VR) prend systématiquement plusieurs secondes et propose une navigation lente et peu ergonomique, ainsi qu’une police d’écriture pixelisée pas spécialement agréable sur grand écran. On finit par renoncer à le lire en détail tant sa présentation est peu satisfaisante.
Il faut enfin pointer un petit défaut plus grave de Born Punk : si son niveau de difficulté est globalement assez bas (je suis rarement resté coincé plus de dix minutes sur un puzzle), plusieurs de ses énigmes centrales manquent totalement d’accessibilité. Et ce, en étant basées sur les couleurs ou les sons qui peuvent ne pas être correctement perçus par tout le monde. Un exemple : à un moment donné, Flash doit activer cinq platines dans un certain ordre pour créer une mélodie en suivant des instructions assez vagues (« je voudrais entendre un instrument exotique »). Problème : il n’est pas possible d’obtenir d’un clic gauche la description du son de chaque platine, le puzzle devant se résoudre intégralement à l’oreille. Une séquence totalement infaisable pour une personne malentendante ou devant jouer sans le son pour une raison x ou y, donc. Et cette situation se reproduit à plusieurs reprises dans le jeu : dommage, au moment où la plupart des titres, y compris indés, ont assimilé le fait de penser à l’accessibilité dans la dynamique des énigmes de leurs jeux.
Born Punk a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Pas de flatteries inutiles : malgré son écriture excellente, son pixel art détaillé, ses comédiens de doublages très investis et son univers fouillé, Born Punk est « juste » un bon jeu. C’est un peu frustrant à dire, puisque le titre d’Insert Disk 22 passe à deux doigts d’être une des toutes meilleures propositions de point and click depuis un bon moment. On imputera ses quelques vilains défauts d’interface et ses puzzles pas toujours bien pensés à la jeunesse d’un studio dont, cependant, nous avons très hâte de voir les prochains travaux !
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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