Petit studio polonais fondé par quelques anciennes figures de Bloober Team (Layers of Fear, Observer), The Parasight nous avait intrigués à l’E3 2021 avec son annonce de Blacktail, FPS d’action et exploration baignant dans la mythologie slave et tout particulièrement autour du personnage de Baba Yaga. Un an et demi, une démo sur Steam et un accord avec Focus Entertainment plus tard, le verdict est malheureusement très mitigé.
Car Blacktail est un titre incroyablement ambitieux. Ambitions visuelles et artistiques, ambitions narratives, ambitions de gameplay : The Parasight a voulu mettre beaucoup de choses dans son premier titre, trop de choses pour son propre bien, pour la taille de son équipe et probablement son budget. En résulte une œuvre très frustrante, qui tente beaucoup, mais réussit assez peu. Un écueil particulièrement récurrent pour les productions indés et AA, qui choisissent trop souvent de tout garder et s'éparpillent, quand leurs moyens et la bonne tenue de leur titre auraient nécessité une expérience beaucoup plus ramassée.
Pas mal, non ? C'est polonais
Un échec d'autant plus dommage que la base de Blacktail est plutôt solide. Le titre nous met dans la peau de Yaga, jeune fille bannie de son village suite à une accusation de pratiques occultes et condamnée à vivre dans la forêt. Une vie de paria, chamboulée par la disparition de sa sœur Zora, et la présence de mystérieux esprits rôdant dans les bois. Si le scénario et ses péripéties (nous y reviendrons) ne brillent pas particulièrement, c'est loin d'être le cas de son univers et de la mythologie qui gravite autour. C'est même le plus gros atout dans la manche de Blacktail.
On le remarque très vite : le titre de The Parasight est superbe. Le folklore slave apporte une esthétique assez peu développée dans le jeu vidéo, et quand c'est le cas, la palette de couleurs a vite tendance à tourner autour de couleurs ternes et fades. Il suffit de se remémorer les (malheureusement) très moyens Black Book ou Yaga, le DLC Baba Yaga de Rise of the Tomb Raider ou encore le jeu de gestion à venir Gord : quand c'est slave, c'est terne. Blacktail détonne au sein de cette niche en se montrant extrêmement coloré et varié. Chaque acte du titre correspond à une saison et une zone différente, et permet d'explorer et expérimenter des atmosphères très tranchées, aux couleurs saturées et aux personnalités propres. C'est toujours réussi, souvent bien mis en scène, et il n'est pas rare de s'arrêter quelques instants lors de son exploration pour juste contempler le paysage. Une réussite esthétique qui profite également au level design : les points d'intérêts sont nombreux, marquent la rétine et permettent de facilement se repérer sur la carte et dans les différentes zones.
Le même soin est apporté au bestiaire et aux PNJ : si leur nombre est assez réduit - on croise toujours un peu les mêmes monstres et interlocuteurs - il faut tout de même saluer quelques designs bien trouvés et originaux. Blacktail ne nous épargne pas les squelettes et blobs quelconques, mais affiche tout de même une sympathique galerie de champignons, de lucioles, de cages organiques, de poissons doués de parole, d'araignées ayant pour abdomen un globe oculaire, de diablotins et autres réceptacles tout de dents et de gencives. L'ambiance générale alterne ainsi entre le macabre et le féerique, montrant assez bien les deux facettes des contes et légendes. Oui, les créatures merveilleuses, les jolies couleurs et le champignon rigolo, mais tout de même la peur, la mort, les esprits vengeurs et la nature humaine, tout aussi répugnante que les monstres et sorcières qui hantent les forêts.
La morale pour les nuls
Malheureusement, Blacktail affiche des ambitions aussi élevées pour le reste du jeu, sans jamais parvenir à les atteindre. Car Blacktail est un action-RPG à la première personne. Mais aussi un jeu de craft et d'exploration. Et un platformer 2D. Et un monde semi-ouvert. Et un jeu narratif avec un système de moralité. Parfois un peu un jeu d'énigmes. Et : c'est trop. C'est trop pour un studio de cette taille, qui n'a ainsi pas les ressources de pousser ses idées jusqu'au bout et se contente de nous en proposer des ébauches - souvent alléchantes, mais à l'exécution assez datée - avant de s'arrêter là.
Prenons la partie narrative. Blacktail a une histoire à raconter, à nous faire vivre, et déploie tout ce qu'il peut pour la mettre en scène. En plus d'interminables (mais très jolies) cinématiques, le titre déroule des tartines de dialogues au fil des quêtes annexes et principales, dont certains auront des conséquences sur le système de moralité et sa balance. Conformément au personnage de Baba Yaga - ou du moins, à certaines de ses versions -, le sens moral de l'héroïne de Blacktail peut fluctuer selon nos actions ou choix. Le souci, c'est que, comme tant d'autres systèmes du jeu, celui-ci se noie au milieu des autres, et ne ressurgit qu'une fois de temps en temps, avec une subtilité toute relative. Sauver les oiseaux : bien, tuer les oiseaux : pas bien ; nourrir le hérisson : bien ; empoisonner le hérisson : pas bien, etc. Et quand la conséquence n'est pas claire, ou que le jeu craint que ce ne soit pas clair, des commentaires viennent agrémenter le dialogue pour s'assurer que l'on a bien compris qu'aider le gentil M. Larve était GENTIL, et qu'aider la méchante reine des fourmis était MÉCHANT.
Un aveu d'échec assez flagrant, soit dans la clarté de leur système de moralité pourtant simpliste et donc limpide ; soit dans un manque de confiance dans son public, qui ne prendrait pas la peine de lire les dialogues de son jeu narratif. Ce qu'on pourrait comprendre : Blacktail est bien, bien trop bavard pour ce qu'il a à raconter. Son scénario, bien qu'attendu (on devine dès l'acte 1 où il veut en venir), tient tout à fait debout et aurait pu agréablement servir de prétexte à parcourir l'aventure. Mais chaque dialogue tire en longueur, chaque cinématique prend son temps pour détailler des péripéties dont on connaît à l'avance la teneur, chaque quête annexe multiplie les allers-retours durant lesquels Yaga et la voix dans sa tête discutent en permanence, et on finit par vite se lasser de ce jeu qui ne la boucle jamais alors qu'il montre si bien tout ce qu'il aurait à dire.
L'art de l'auto-sabotage
Blacktail semble ainsi ne jamais avoir confiance en lui, ou en son joueur. Le level design par exemple est d'excellente facture et il est difficile de complètement se perdre dans ce monde, mais il faut quand même noter la présence d'une carte, d'une boussole avec marqueur d'objectif ET d'un marquage au sol à suivre, au cas où vraiment, on soit perdu ?
Et c'est la même chose pour tous les autres systèmes qui s'écroulent tous, les uns après les autres. Les affrontements de boss ont quelques chouettes idées de design et de patterns, mais pèchent par une exécution souvent confuse, une action pas toujours lisible, mais surtout un game feel assez mou et flottant et une cruelle absence de feedback sur les dégâts subis et infligés. On ne sait pas toujours si nos flèches touchent, si elles ont un effet, qui nous frappe, de quel côté. Et toujours, cette impression d'aveu d'échec, avec un jeu qui semble avoir conscience que ses combats ne fonctionnent pas aussi bien qu'ils devraient, en mettant du soin absolument partout autour, en expliquant et réexpliquant tout, tout le temps, par des textes, ou par nos personnages qui prodiguent des conseils à voix haute.
De même pour ce système de craft et de collecte de ressources, plutôt malin, puisque le loot sert autant à fabriquer ses armes et potions qu'à sauvegarder ou à débloquer des compétences. Du loot intelligent et qui pourrait nous impliquer à consciencieusement récolter tout ce qu'on trouve - ça marche au moins au début - mais qui abandonne progressivement. Parfois, il faudra sauvegarder à l'aide de nos ressources, parfois, il y aura des checkpoints automatiques ; le poison ne se soigne jamais autrement qu'avec une potion, et s'il n'y a pas de quoi en crafter une dans les environs, c'est la mort assurée ; le point de non-retour de fin de jeu nous avertit qu'il faut bien finir ses quêtes et améliorations avant de le franchir, mais pas qu'il sera impossible de looter des fleurs de sauvegarde et que les ressources y seront rares. Un point de non-retour et un final à l'image de tout le reste du jeu : visuellement formidable, au combat mou, confus et clunky, inutilement verbeux et aux mécaniques inexploitées.
Blacktail a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PS5 et Xbox Series.
Pour chaque idée sympa ou originale dans Blacktail, il y a une exécution ringarde, bugguée, ennuyeuse ou peu poussée derrière qui nous fera déchanter. On finit par se désintéresser de l'exploration, du combat, de la plateforme, du scénario, à mesure que les systèmes montrent leurs limites les uns après les autres. Blacktail aurait pu être un action-RPG nerveux, un walking sim passionnant et magnifique, un jeu d'exploration et de craft riche : il a tenté d'être tout ça en même temps, et échoue ainsi sur tous les plans - à l'exception de l'esthétique. Un constat assez déprimant, mais pas entièrement négatif : si le prochain projet de The Parasight accepte d'être plus ramassé et de se concentrer sur moins de mécaniques, le studio a le potentiel de sortir un titre à la hauteur de ses ambitions.
Les + | Les - |
- C'est vraiment très joli | - Trop de systèmes, aucun qui ne marche vraiment |
- Univers original et rarement exploité dans le jeu vidéo | - Les combats sont mous et brouillons |
- Le rythme tire en longueur |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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