Mon histoire avec Below a commencé, comme nombre de mes histoires, par une obsession absolue. Durant son développement de presque 6 ans, le titre de Capybara Games a souvent changé de direction, mais toujours en promettant une ambiance mystérieuse, une direction artistique fascinante et une bande-son signée Jim Guthrie, mon gars sûr. Malheureusement, à sa sortie en décembre 2018, les critiques m’ont fait l’effet d’une douche froide, décrivant un titre certes passionnant et bourré de qualités, mais également au game design un peu cassé et à la difficulté bien, bien trop punitive. Je m’en étais ainsi tenu à distance, préférant entretenir mes ulcères sur d’autres titres également hardcores, mais plus justes, regardant ces artworks obsédants de loin et me consolant avec la bande-son. Et je n’étais pas le seul, puisque les gens de Capy (Games, pas Cec) ont profité de la sortie sur PS4 de Below pour y ajouter – plus à la demande générale que de leur propre gré – le mode Exploration, destiné à simplifier le jeu, attirer les joueurs et joueuses laissé·es de côté et se rabibocher avec toute une frange de personnes mécontentées par leur expérience douloureuse.
La séquence d’intro – en plus de nous rappeler l’affection toute particulière du studio pour les scènes très contemplatives – plonge immédiatement dans l’ambiance et fait déjà office de note d’intention : alors que le – très très – long travelling se déroule, zoomant progressivement sur le bateau de notre aventurier, se rapprochant lui-même des côtes d’une île à travers les bancs de brume, on comprend que Below sera particulièrement lent, muet et cryptique. Les premières minutes manette en main, montrant l’arrivée sur la plage et le début d’exploration des lieux, toujours sans la moindre parole ou début d’explication, signent cette note des développeurs. Dans Below, vous serez seul·e, ne pourrez compter sur personne pour vous indiquer la marche à suivre, vous serez livré·e à vous-même.
Des récits pour des lanternes
Alors on se lance timidement dans l’aventure. En vadrouillant un peu, on trouve rapidement quelques objets : torches, légumes, bouts de bois ; on comprend rapidement qu’il est possible de crafter tout un tas de bricoles : potions, pansements, flèches… On comprend également que de ce côté-là non plus, Below ne nous dira rien, et que les recettes et plans ne nous serons jamais donnés, qu’il va falloir expérimenter et retenir ses trouvailles. En crapahutant hors de la plage, on trouve finalement la seule chose qui importera réellement dans ce jeu : la lanterne. Ainsi équipés, on peut se lancer enfin – et toujours sans un mot – dans la descente au cœur de l’île. Car c’est bien la seule indication que nous donnera Capybara Games : Below.
L’arrivée lente et silencieuse en voilier de l’intro n’était qu’une préparation à la majorité des séquences clés du titre, de la première escalade de la falaise à la traversée d’innombrables escaliers, ponts, ruines, ascenseurs et caves inondées. Below comporte bien de nombreux combats – et nous y reviendrons – mais la partie la plus marquante pour moi s’est trouvée être la découverte et l’exploration des différents étages et biomes de l’île. La direction artistique y est naturellement pour beaucoup, les environnements sont tous magnifiques et imposants, mais ils n’auraient probablement pas autant d’effet sans les autres composantes majeures du titre : sa musique et sa mise en scène, qui contrebalancent cet appel à l’aventure et l’exploration par une ambiance particulièrement oppressante. Alors que ces décors appellent à la contemplation et à la découverte – nous offrant ainsi de nombreuses séquences de répit pour seulement admirer et parcourir ces immenses structures vides – la plupart des effets déployés par Below sont là pour nous rappeler qu’on n’est pas ici pour niaiser.
Outre cette BO lorgnant sérieusement vers le drone et l’ambiant sordide, la véritable bonne idée de Capy Games réside dans sa caméra. Très éloignée du personnage, celle-ci permet à la fois de montrer un maximum de décors majestueux, rendant les séquences contemplatives particulièrement intenses et spectaculaires, tout en créant un sentiment constant d’oppression et de vulnérabilité. Avec cette caméra particulièrement lointaine de notre explorateur, celui-ci est en effet complétement écrasé par chacun des plans du jeu et constamment remis à sa place : celle d’un être insignifiant et fragile, prêt à perdre la vie à la rencontre du moindre piège ou du moindre monstre. Ce qui est plutôt vrai. Malgré une telle distance d’affichage, il ne sera pas pour autant la peine de compter sur celle-ci pour voir les menaces approcher : hormis dans les zones sans ennemis et propices à l’appréciation du paysage, les niveaux sont constamment recouverts d’une épaisse brume ou d’une obscurité quasi-totale, et vous ne pourrez que deviner de loin la présence d’un ennemi, sans vraiment savoir s’il s’agit d’une bestiole de base, ou d’un adversaire un peu plus costaud. Du moins jusqu’à ce qu’il arrive à portée de torche ou de lanterne.
Et si la partie découverte, exploration et tentative de compréhension du lore et des mystères – qui ne passera que par vos propres théories et analyses, n’espérez pas non plus la moindre explication de ce côté-là – est franchement excitante, je me suis également retrouvé avec le palpitant en folie un paquet de fois en affrontant les saloperies qui se terrent dans les ténèbres de l’île. Le système de combat de Below n’est pas particulièrement poussé ou intéressant – et encore moins original -, et se comprend très facilement, puisqu’il se résume à l’attaque à l’arc ou à l’épée, au contre au bouclier, et à l’esquive. Ce qui n’empêche pas les rencontres d’être franchement tendues – déjà car la fragilité annoncée par la caméra est parfaitement avérée -, mais surtout car les monstres se trouvent être surprenamment intelligents et réalistes dans leurs réactions. Les créatures les plus modestes n’hésiteront pas à fuir quand elles se retrouveront en sous-nombre, à nous attirer vers la meute ou un ennemi plus costaud, et à favoriser l’esquive, la parade et l’encerclement à une approche plus frontale. Seuls les opposants les plus costauds oseront foncer dans le tas, à raison.
Capy, c’est fini
Et j’ai bien fini par mourir. Ce devait être sur la fin du deuxième étage je crois ; après avoir très imprudemment posé les pieds sur un piège hérissé de pics, j’ai continué à avancer malgré les saignements – car oui, je jouais en mode Exploration, en Survie, ce piège aurait été létal – et me suis mangé un monstre de cristal rouge un peu trop costaud sur la face. Game Over. Corne de brume. Bateau. Plage. Pardon ? Hé oui.
Je me retrouvais ainsi au point de départ, avec un aventurier différent. Et sans ma lanterne. Il me peine de dire ça, mais l’échec de Below résidait – et réside toujours avec ce mode Exploration, seulement dans une mesure moindre – dans cet aspect. Le titre de Capybara Games voit s’entrechoquer deux très bonnes idées de game design, malheureusement assez peu compatibles et se précipite dans un océan de frustration en persistant à les faire cohabiter. La première, c’est cette expédition très contemplative, laissant échapper des glapissements réguliers à la découverte de chaque nouvel environnement, poussant – et forçant – à traverser lentement ces zones pour en apprécier toute la solennité et le mystère qui s’en dégagent. La seconde se comprend au premier décès, et se subit à tous les trépas qui suivront.
Below est un jeu d’exploration et d’aventure, mais Below est surtout un roguelite. À l’instar de Rogue Legacy, la mort d’un personnage est définitive, et la partie suivante se fera avec un nouvel explorateur, qui pourra cependant utiliser les raccourcis déverrouillés par le précédent, profiter des portes ouvertes et mécanismes enclenchés, mais surtout aura pour tâche de retrouver et porter un peu plus loin la fameuse lanterne. Car c’est bien elle, l’héroïne de Below. La mise en scène l’avait bien dit, l’aventurier n’est rien, tout perdu et minuscule qu’il est à l’écran, contrairement à la lanterne, émettant une lumière facilement trois fois plus grande que notre personnage, et occupant ainsi bien plus d’espace. Le décès du porteur achève de le remettre à sa place : il n’est qu’un sac de viande sacrifiable et interchangeable avec n’importe quel autre, il n’a ni identité, ni personnalité, et l’on ne découvre son genre et sa voix qu’au moment où s’échappe son dernier râle. Peu importe qui atteindra le cœur de l’île, cette personne n’est que de la chair à canon. Ce qui compte, c’est que la lanterne y arrive.
Et si l’emplacement du cadavre du précédent aventurier affiché sur la carte ou le besoin quasi vital de s’éclairer ne suffisaient pas à faire comprendre qu’il fallait impérativement la récupérer, cette foutue lanterne, un grand nombre de portes ne s’ouvriront qu’une fois son rayon concentré dessus. Vous n’irez ainsi pas bien loin sans elle. Cet aspect doit rapidement être compris, car parmi les stratégies à mettre en place, la plus importante reste celle du lieu de la mort. Comprendre que votre personnage ne survivra pas très longtemps pousse à explorer avec parcimonie, de façon à rendre le plus aisé possible la récupération de la lanterne pour l’aventurier suivant, sous peine de stagner bien trop longtemps au même étage. Et elle est bien là, la limite de Below, car en recommençant les mêmes zones, en les retraversant jusqu’à ne plus en pouvoir, partie après partie, pour looter suffisamment d’équipement et espérer survivre à la récupération de la lanterne et à la progression d’un ou deux feux de camps, toute la superbe et le mystère des lieux s’effondre, pour laisser place à la lassitude et la frustration de devoir retraverser encore ces mêmes endroits, alors que l’on voudrait découvrir la suite. La mécanique de roguelite et de passage de la lanterne finit par complétement pourrir l’émerveillement produit par l’exploration, tandis que le rythme lent et l’incitation à la contemplation rendent le roguelite exaspérant et profondément répétitif. Il y avait là de quoi faire deux très bons jeux, mais Capy Games se sont obstinés à tout faire rentrer dans un seul.
Cette contradiction entre les deux aspects majeurs du titre est tout de même un peu atténuée par le mode Exploration, qui décidément n’est pas sorti pour rien. En virant cet insupportable système de faim et de soif, en ne détruisant pas définitivement les feux de camp, en diminuant l’impact des pièges et des blessures infligées à l’aventurier, bref, en diminuant de façon conséquente le caractère punitif du jeu d’origine – désormais renommé mode Survie -, Below redresse un poil la barre, en rendant les morts moins fréquentes et l’exploration moins pénible, quand elle n’est pas grisante. Reste que le jeu demeure très difficile, même en mode exploration – et que plus jamais je ne souhaite lancer le mode Survie, tant il me parait absurde. Loin de moi de relancer une fois de plus le débat sur la difficulté et l’accessibilité du jeu vidéo, j’ai cependant eu l’intime conviction en jouant à Below que cette facilitation du titre n’était pas une trahison de son concept, mais un geste salvateur pour un jeu qui n’était prêt qu’à tomber dans un oubli malheureusement un peu mérité. Certes, le parti pris de Below et son propos imposent et justifient une difficulté punitive et des mécaniques impitoyables, mais couplées à cette volonté de lenteur et de contemplation, elles ne donnent qu’un titre frustrant, avec constamment le cul entre deux chaises.
Below a été testé sur PS4 via une clé fournie par l’éditeur.
Below est un jeu fascinant et mystérieux, offrant à tous les étages le frisson de la découverte et de l’aventure, transcendé par une esthétique particulièrement puissante et évocatrice, une bande-son de génie et une mise en scène aussi minimaliste qu’efficace. Certaines séquences font désormais partie de mes plus grands moments d’exaltation vidéoludique et je donnerais beaucoup pour pouvoir revivre certaines d’entre elles pour la première fois. Ce qui n’empêche pas Below d’être un jeu fondamentalement cassé, tant ses deux mécaniques maîtresses sont incompatibles et s’empoisonnent l’une et l’autre et que le mode Exploration ne réussit qu’à atténuer, le défaut majeur du titre se trouvant dans son concept même. On sent toutes les années de développement, d’hésitations, de revirements et de tâtonnement dans ce jeu. Capybara Games a accouché d’un titre parfaitement bancal, frôlant le génie et l’inoubliable dans ses moments les plus forts, avant de retourner se vautrer dans la difficulté injuste et les mécaniques absurdes, malgré ce patch qui le rend certes plus fréquentable, mais toujours un peu trop punitif et frustrant.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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