Très sobrement intitulé Beholder 3, car après tout dans cet univers rien n’invite à la gaudriole et au superflu, le troisième volet de cette exploration sombre d’un monde dystopique, inspiré à la fois par Aldous Huxley, Georges Orwell et Ray Bradbury, effectue un solide retour aux bases tout en essayant de faire progresser l’univers, mais reste néanmoins très classique et un peu convenu.
Pour cet épisode, l’éditeur de la franchise Alawar Premium a remplacé le studio Warm Lamp Games et confié le développement de Beholder 3 à Painbucket Games (Through the Darkest of Times). Malgré ce changement, celles et ceux qui ont déjà joué aux titres précédents ne devraient pas être dépaysés et les novices pourront aisément prendre le train en route grâce aux tutoriels intégrés. Au programme cette fois-ci, des graphismes plus propres et détaillés, des personnages plus variés, mais aussi hélas quelques bugs mineurs et les défauts habituels de la série.
Surveillance partout, justice nulle part
J’étais enthousiasmée à l’idée de lancer Beholder 3, et ce malgré un contexte social et international pas très exaltant. Les jeux Beholder font partie de ces jeux dont une partie des défauts semblent participer au gameplay, tant ils en renforcent l’aspect pesant et sombre. Côté graphismes, on retrouve les silhouettes noires tantôt inquiétantes tantôt pathétiques, leurs yeux blancs brillants comme des néons, et l’architecture massive et sans âme d’une dystopie totalitaire déjà présentes dans les deux volets précédents. Côté histoire, c’est un retour aux bases. Là où le 2 tentait de renouveler en sortant de l’immeuble pour explorer la vie d’un ministère, cette suite nous remet dans la peau d’un gardien d’immeuble. Exit la cave lugubre, mais à part ça, la sensation de déjà-vu est assez présente.
Certaines tâches changent, il sera fâcheux, par exemple, que Frank oublie de vider la poubelle et de remettre de l’huile dans la chaudière, mais le fond du jeu reste le même. Espionner les locataires de votre immeuble, les dénoncer ou pas, les faire chanter ou pas, les aider ou pas, tout en gérant les demandes d’un certain Ernst Müller qui semble tenir votre futur dans ses mains. Car Frank a de l’ambition, plus précisément l’ambition de retrouver son niveau de vie de haut fonctionnaire dont il a été démis lorsque des fichiers compromettants ont été retrouvés dans son ordinateur. Forcé de choisir entre les mines et l’espionnage pour le compte du gouvernement, Frank a choisi la seconde option, traînant sa famille habituée à un joli pavillon dans un immeuble sinistre de banlieue.
Comme Carl, Hector et Evan avant lui, Frank est une page blanche. On ne sait rien de son caractère ni de ses envies : c’est votre reflet et celui de vos décisions au fur et à mesure du jeu, car même son ambition semble plutôt être celle de sa femme que la sienne. Heureusement tout de même, Beholder 3 ne se contente pas d’être une copie améliorée du premier épisode. L’histoire amène Frank à travailler à la fois dans son immeuble et dans le ministère dont il devra gravir les échelons et, autant être honnête, il n’existe pas de façon éthique de s’en sortir dans le monde de Beholder.
(Be)Hold my beer
Ce volet reprend, sans trop de surprise, tous les défauts habituels de la série : les dialogues qui sont uniquement disponibles pour les quêtes, les personnages qui ne semblent jamais évoluer, la lenteur des déplacements, le côté fastidieux des allers-retours incessants et l’impression générale de manœuvrer un tank. Mais c’est paradoxalement ce qui fait l’intérêt du jeu, car si tout était facile et plaisant, le propos perdrait de son poids. Le gameplay parfois statique et maladroit renforce l’absurdité et la lourdeur de l’univers et il réussit peut-être là où échouent de nombreux films et jeux sur la résistance et la guerre. Il ne glamourise pas la dictature, la guerre ou la résistance.
Bien sûr qu’il est admirable que des gens résistent ou prennent les armes si nécessaire, mais la réalité du quotidien de ces gens n’est ni fun ni spectaculaire, elle est lente, terrifiante et fatigante. Par là, Beholder se rapproche de This War of Mine qui, en racontant le quotidien des civils pendant la guerre, permettait de ne pas la glorifier, et de Papers, Please, car si le jeu peut être vu comme divertissant, je doute qu’il ait donné envie à qui que ce soit de devenir, même une minute, douanier d’un régime totalitaire. Ces références vidéoludiques ne sont d’ailleurs pas un hasard, car elles ont servi d’inspiration lors de la création du premier épisode. Malheureusement, les déplacements du personnage ainsi que le déclenchement de certaines quêtes ou leur prise en compte souffrent encore de quelques bugs mineurs qui alourdissent inutilement le jeu et rendent la progression fastidieuse par moment.
Le réactionnaire, le réformiste et le résistant
Le fond de Beholder a toujours été politique, mais les épisodes précédents se concentraient davantage sur les histoires personnelles et le fonctionnement administratif de l’univers. Dans ce troisième épisode, il s’agit davantage de se positionner face au progrès et de comprendre les motivations politiques des personnages pour savoir de quel côté se ranger le moment venu. Et ce n’est pas toujours facile, car si les réactionnaires ne veulent rien changer, les réformistes ont des motivations qui touchent souvent moins à la liberté du peuple qu’à des motivations libérales et capitalistes. Quant à la résistance, ils ont l’air aussi perdus que vous. En phase avec l’air du temps, Beholder 3 aborde également des aspects moins explorés jusque-là, l’anticonformisme, l’homosexualité, l’impact sur la santé mentale de mener des vies alternatives dans ce type de système, la contraception, les traitements médicaux, etc.
Les femmes également ont des personnalités plus intéressantes que dans les épisodes précédents, où elles étaient souvent cantonnées à des rôles de victimes ou d’intrigantes. Mention spéciale à la relation assez touchante qui se développe entre Frank et sa fille Kim. Ces nouvelles perspectives renouvellent donc suffisamment l’univers pour donner envie d’y retourner. L’attention apportée aux détails des environnements accroche souvent l’œil, notamment ces immenses publicités dans le métro qui changent en fonction des réformes implémentées dans le jeu. Même le fait que Frank soit seul dans le métro, ce qui en soit est un peu étrange, renforce l’aspect étouffant et cloisonnant de cette société. Le ministère offre également une autre galerie de personnages, gentils, arrivistes ou paranoïaques et pour lesquels il est parfois un peu difficile d’éprouver de l’empathie, mais qui proposent des points de vue plus politiques et variés et de nouveaux dilemmes moraux.
Un bémol cependant, les personnages très archétypaux, parfois à la limite de la caricature, peignent un univers très sombre où toute tentative de rédemption et d’amélioration des choses semble cantonnée au niveau individuel. Selon la fin que l’on débloque, le futur semble souvent voué à ne jamais réellement s’améliorer, même si parfois les choses changent, et on finit par se demander quel est l’intérêt de continuer à jouer si jamais rien ne s’améliore.
Beholder 3 a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Beholder 3 a tous les ingrédients de base pour constituer une solide suite à la saga qu’il ne renouvelle certes pas vraiment et dont il reprend tous les défauts, mais peut offrir aux amateurs de la licence leur dose d’espionnage et de coups bas, tout en proposant aux novices une bonne porte d’entrée.
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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