C’est le 16 juin dernier que les développeurs d’Overhype Studios mettaient, par une version 1.1, un point final et définitif à leur Battle Brothers, après une année d’Early Access et une sortie officielle sur le Steam en mars dernier. De l’aveu même de l’équipe, le chemin a été dur, voire amer, et des sacrifices ont été nécessaires pour arriver à avoir un titre jouable. Et pourtant, quel jeu ! Le “turned based tactical RPG” allemand produit une synthèse du meilleur de la tactique de ces dernières années et parvient presque par hasard à y injecter, ô surprise, une dimension sensible.
C’est dans un monde imaginaire évoquant rapidement l’Europe Centrale médiévale que nous plonge Battle Brothers. A la tête des restes d’une compagnie de mercenaires fraîchement décimée par une embuscade, vous allez devoir traîner les restes de vos camarades jusqu’au prochain village, et constater que, blessé ou non, vous avez besoin de manger et de dormir, et qu’on ne vous fera pas grâce de la nuitée. Alors ni une ni deux, vous recrutez quelques paysans du coin, vous les armez de bâtons, et vous signez le premier contrat qui passe pour aller escorter une caravane crasseuse ou faire la bagarre avec les voyous qui rançonnent les locaux dans les champs du coin. La récompense vous permettra de vous acheter encore un peu de nourriture, une armure moins miteuse, et de errer jusqu’au hameau suivant : bienvenue dans Battle Brothers.
Ce n’est pas du plagiat si c’est bien fait
Ce qui frappe après quelques heures de Battle Brothers, c’est le poids des emprunts qui le composent. La carte du monde reprend jusqu’à la moindre idée de Mount and Blade. Le concept de groupe à gérer ? Expeditions : Conquistador tout craché. Les batailles ? Du Heroes of Might and Magic où les créatures auraient été remplacées par des figurines de mercenaires wisigoths. Battle Brothers imite tant qu’il épuise presque, et pourtant, il vaut le coup qu’on s’y accroche.
Battle Brothers imite beaucoup, certes. Mais, et c’est assez rare pour être signalé : il imite bien. Les mécaniques piochées ça et là s’imbriquent parfaitement les unes dans les autres, et rendent hommage aux deux centres névralgiques du gameplay : la gestion de l’économie, et la gestion des combats. Rarement un jeu n’aura combiné autant de paramètres pour y livrer quelque chose d’aussi clair, d’aussi instinctivement compréhensible. Sans presque aucune forme de tutoriel, Battle Brothers fait avaler au joueur des dizaines de tableaux et de paramètres sans exiger de lui d’avoir six cerveaux et quatre échéanciers pour s’y retrouver.
Compagnon : n.m “celui avec qui l’on partage le pain”
Au cœur du moteur économique du jeu, trahissant une certaine réalité historique : le fait qu’entretenir une bande de soudards, ça coûte cher, et ça paye mal, surtout quand on a ni réputation ni attaches. Chaque jour, vos soldats exigent une solde (plus élevée s’ils ont plus d’expérience), consomment des provisions (qui ont le mauvais goût de se périmer faute de frigidaire), utilisent des outils pour réparer leurs armures, piquent des trucs dans la trousse à pharmacie pour réparer leurs bobos, et remplissent leur carquois de flèches. Ces cinq ressources sont le moteur essentiel d’une boucle infernale qui vous pousse à aller de l’avant, tout en essayant entre deux missions de mettre un peu de sous de côté pour acheter tout un tas de trucs qui vous éloignent du stéréotype du “débile en slip avec un bâton” : armes, armures, chiens de garde, pièges… Et nouvelles recrues, bien sûr. Le tout est un bijou d’équilibrage, assurant une progression lente mais réelle où chaque achat doit être pesé avec le plus grand soin. La variété des missions proposées ainsi qu’un système d’objectifs choisis par le joueur achèvent de renforcer la dynamique en place.
Cette mécanique est à mettre en parallèle avec celle des engagements sur le terrain qui, s’ils brillent par leur laideur, se démarquent aussi par les subtilités inattendues qu’ils proposent. Gestion de la hauteur, des diverses parties du corps, de la fatigue, du moral, des blessures, du poids, du brouillard de guerre… Une multitude de paramètres qu’on appréhende petit à petit. La concurrence en propose rarement autant. Mais c’est peut-être un des rares points où je serai un peu mitigé sur Battle Brothers : le côté somme toute très aride et un peu lent des combats (surtout quand on commence à se retrouver à douze contre douze) pourra rebuter. On est pas là pour rigoler. Mais, heureusement, on n’est pas non plus là SEULEMENT pour s’épuiser dans une vie de galérien des routes. Si Battle Brothers fait mouche, c’est surtout parce que c’est un formidable simulateur de camaraderie.
Quand soudain : des feels.
Peut-être est-ce les événements relativement bien ficelés d’une campagne qui sait être scriptée juste quand il faut, avec une gestion assez surprenante du endgame ? Peut-être est-ce la possibilité de renommer et de personnaliser vos affreux ? Ou encore la satisfaction de constater que Gudulf l’Affreux s’est remis de son nez cassé ou que Arnoufle Mange-Morts a un coup de blues en repensant à la mort de son copain, une semaine plus tôt ? Peut-être parce que de bataille en bataille on doit acquérir une véritable dynamique de groupe ou encore, plus vilement, que chaque membre de votre troupe est un investissement en temps et en argent ? Toujours est-il que ça passe.
Après dix ou quinze heures de jeu, j’avais appris à reconnaître d’un coup d’oeil chacun de mes frères, j’étais capable de me souvenir du moindre de leur fait d’arme et j’avais en tête un historique clair de la plupart des armes et armures qu’ils avaient porté. Mon nom était connu comme le loup blanc dans la plupart des villages boueux que je traversais (grâce à mon comportement exemplaire, sachant qu’on peut également choisir de jouer des salopards de première). Je m’apprêtais à enfin travailler pour des nobles, qui auraient sans doute des contrats autrement plus juteux à me proposer que les caravaniers de passage. Et j’ai réalisé que je les aimais. Pour la première fois depuis X-Com 2, ces compagnons n’étaient pas de simples bonhommes virtuels : ils étaient un groupe dont j’aimais chaque individualité. Même Un_Paysan (ne critiquez pas mes goûts en matière d’onomastique), cet abruti qui passe sa vie à déprimer et à se casser des trucs mais que j’ai gardé dans la compagnie parce qu’un beau jour, il a tué trois loups-garous à lui tout seul pour protéger un archer en difficulté.
Dans Battle Brothers, la perte d’un camarade est irréversible. Il n’y a pas d’astuce de résurrection, et la mort peut surgir vite : un coup mal placé, une blessure mal soignée, un combat déséquilibré, et c’est fini. Si, comme les vrais, vous décidez de jouer en “Iron Man” (sans sauvegarde à part la sauvegarde automatique), c’est pire. Au bout d’une cinquantaine de combats, il n’y aura plus avec vous que des nouveaux inexpérimentés et des vétérans endeuillés par mille pertes, le moral en berne. Et le regret de n’avoir pas été un meilleur chef de bande.
Vous voulez que je vous dise ? Dans les années 90, j’étais ce genre d’enfant qui collectionnait les figurines et les bibelots pour leur donner des noms, les faire se bagarrer entre eux, leur imaginer des aventures et les aimer d’amour. Et en 2017, sans surprise, je suis toujours cet enfant, merci Battle Brothers.
Des emprunts un peu lourds et une direction artistique un peu cracra ne doivent pas vous empêcher de vous essayer à la pépite qu’est Battle Brothers. Par un équilibrage bien pensé, une campagne longue et dynamique et l’attachement émotionnel que le jeu arrive à créer envers et contre tout vis à vis de ces petites figurines de barbares mal dégrossis, Battle Brothers surprend sans cesse. Pas exempt de défauts qui peuvent parfois ternir l’expérience (l’accouchement semble s’être déroulé dans la douleur), le titre d’Overhype se démarque néanmoins par une grande générosité, et un souci du détail qui parlera aux plus fins tacticiens comme aux amateurs de belles histoires.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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