Avec Banishers: Ghosts of New Eden, Don't Nod retente l'aventure de l'action-RPG narratif et fait face à de vieux démons dont il a du mal à se défaire.
Les productions Don’t Nod semblent se répartir en deux grands ensembles. Le premier suit la trajectoire engagée par le studio français dès ses débuts en travaillant en partenariat avec des éditeurs variés, la plupart du temps sur des projets embrassant la dynamique intimiste portée par la licence Life is Strange (succès édité par Square Enix). Le second intervient à partir de 2018 avec l’entrée en bourse du studio et l’autoédition de ses titres, dont on entrevoit seulement depuis l’an dernier les premiers résultats avec les sorties de Harmony : The Fall of Reverie en juin (passé relativement inaperçu à en croire SteamDB) et Jusant en septembre (un succès au moins critique, qui n’a pas empêché son équipe d’être démantelée et ses membres réaffectés sur d’autres productions, une décision intervenant au moment où le dialogue social est mis à mal entre les équipes et la direction, comme cela a été soulevé par le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du jeu vidéo début février). 2024 sera encore une année importante pour le studio, avec les publications annoncées de Lost Records: Bloom & Rage, héritier maison de LiS, et de Banishers: Ghosts of New Eden.
Si les nouveaux projets de Don’t Nod paraissent faire montre d’une certaine envie d’expérimenter avec la narration, Banishers, édité par Focus Entertainment, semble plutôt sortir de la décennie passée, avec ce que cela suppose de sensations anachroniques, et ce malgré une attention toujours fortement accordée à l’écriture, l’ambiance et la cohérence de son univers.
Vertige de la mort
Arrivant d’Europe, Anthea et Red débarquent à New Eden, jeune bourgade de ce qui n’est pas encore les États-Unis, afin d’aider une vieille relation à se débarrasser d’un fantôme récalcitrant. Le procès de Salem a beau s’être déroulé peu de temps auparavant, celles et ceux qui vivent en contact avec le surnaturel ne sont pas totalement rejetés par la communauté, à l’image des bannisseurs. Anthea et Red en sont deux représentants, le second en apprentissage auprès de la première. Ils sont également un couple à la ville qui s’occupe de débusquer les fantômes ayant loupé le train pour l’au-delà, trop distraits par les affaires courantes qu’iels ont dû abandonner ou bien décidés à mener la vie dure aux proches qui leur survivent. Sauf que la jolie colonie de New Eden se révèle bien vite hantée par un on-ne-sait-qui ayant figé la ville et ses habitants en hiver en plein mois de juin et enterré l’ami des bannisseurs six pieds sous terre. Une manigance plus tard, et alors que le mal se révèle à eux, Anthea est tuée et Red jeté du haut d’une falaise. Le barbu écossais a à peine le temps de reprendre connaissance et d’être en deuil que sa compagne lui réapparait sous forme spectrale. Tous les deux décident de réduire l’influence néfaste de l’esprit frappeur sur la région et de trouver la raison de sa colère. Le sort d’Anthea lui est de toute façon lié, elle qui pourrait bien retrouver la vie si une bonne poignée d’essence vitale venait à être arrachée aux vivants du coin.
Derrière Banishers, on retrouve une partie des équipes aux manettes pour Vampyr (2018), et encore avant ça Remember Me (2013), notamment en la présence de Stéphane Beauverger à la direction des éléments narratifs et Philippe Moreau comme creative director. Après les vampires, c’est donc aux fantômes de passer à la moulinette Don’t Nod, toujours à la recherche d’un équilibre entre action et complexité de la narration, particulièrement en fonction des choix faits par les joueureuses. Peut-être cela vient-il de l’influence de l’éditeur sur le projet, mais on sent ici encore l’envie d’atteindre le point ténu dont a pu faire preuve Asobo avec A Plague Tale, une certaine école française tournée vers les influences cinématographiques. Vampyr avait moyennement convaincu de ce point de vue, en partie à cause d’un versant action peu inspiré.
C’est malheureusement peu ou prou les mêmes reproches qu’on fera à ce nouvel essai cherchant à convoquer le meilleur du savoir-faire narratif du studio français et une implication à coups d’épée qui a, on peut s’en douter, tendance à attirer plus aisément l’œil du grand public.
Casse-pieds, l’apprenti fantôme
La quête des deux bannisseurs se partage en deux activités entre lesquelles on fait des allers-retours. Dans chaque contrée visitée, on fait la rencontre de colons hantés, la plupart du temps ignorant la cause des malheurs qui leur tombent dessus. L’occasion pour Red d’enquêter et d’interagir directement avec nos interlocuteurs, quand Anthea, visible seulement à nos yeux, ne manque pas de commenter leurs dires. Les fantômes restant accrochés à l’existence terrestre par l’intermédiaire d’un objet, il s’agit de trouver celui-ci et d’invoquer l’esprit en peine pour éclaircir les raisons de sa présence en ce bas monde. D’enquête, ces phases n’ont que la forme, un écrin pour mieux servir les révélations et retournements de situation. On va d’un objet mis en évidence à l’autre afin que nos deux compères fassent d’eux-mêmes les liens logiques et puissent interroger qui il faut. L’une des particularités de Banishers veut qu’on profite de la présence de Red dans le plan concret et d’Anthea dans le plan spectral, ce qui nécessite de passer de l’un à l’autre pour évoluer dans les environnements, trouver des objets… Rien qui n’apporte beaucoup de piquant à ces séquences, et même à l’exploration plus généralement, si ce n’est un filtre automnal flashy.
D’interrogatoires en scènes de crime, c’est une succession de zones ouvertes que l'on arpente, la caméra vissée derrière l’épaule, au fil d’un level design relativement tortueux mais pas inattendu pour autant, avec ses arènes et ses trois mêmes objets à retrouver en boucle au bout de culs-de-sac. Les environnements profitent toutefois de graphismes relativement fins, et la nature sauvage désertée offre de beaux moments d’errance et quelques points de vue impressionnants. Pour mieux apprécier le sentiment d’exploration, on conseille de désactiver la boussole, qui sinon incite à n’avoir que le prochain objectif en vue — à ce sujet, on salue la souplesse d’options de personnalisation dont fait preuve le titre. Cette boussole n’est pourtant pas de trop lorsque certaines séquences s’étirent sans limites ni bon goût, rabâchant à la fois ce qu’on y entend et ce qu’on y fait, en somme des combats et du loot.
Assez basiques, les affrontements démontrent avoir autant d'énergie à revendre qu'un manque de profondeur hébétant. Les deux personnages principaux se manient avec la même raideur et n’ont de particularités que dans les coins, entre coups chargés utiles contre un ennemi en garde et avantage face à des entités possédées. On se frotte bien vite aux limites pressenties durant les premières heures, les nouveaux pouvoirs d’Anthea n’apportent de changements qu’à la marge et l’introduction empressée de nouveaux ennemis laisse rapidement place au défilé des trois mêmes péquins en os pourris. L’arbre de compétences participe de cette impression de vacuité par l’augmentation de jauges invisibles et l’ajout de coups ou de recharge d’arme automatiques. Bien entré dans les doigts, ce système peut permettre de se faire plaisir en enchaînant les manœuvres, mais pas au rythme imposé par l’aventure, un chien zombie après l’autre. Et le système d’améliorations d’équipement parachève ce dévouement au remplissage, seulement dédié qu’il est à nous faire utiliser toutes les merdouilles (trois sortes de champignons et deux bouts de cuir) ramassées à tout bout de champ. Une vraie tannée.
Linceul, l’autre pas
Alors que garder de Banishers une fois tout ça soupesé avec fatigue ? Eh bien pas tout le reste, mais quand même des choses, et en particulier des envies qui ont du mal à se concrétiser. C’est encore une fois du côté narratif que Don’t Nod tire son épingle du jeu. Sans aller jusqu’à dire qu’on a été renversé, il faut bien avouer que si l’on accepte la forme de l’enquête pour la dramaturgie qu’elle propose, les quêtes et personnages secondaires sont en général assez intrigants pour qu’on ait envie d’avoir le fin mot de leur histoire. Et cela certainement grâce à des dialogues particulièrement bien troussés, supportés par un doublage (anglophone tout du moins) fin, qui trouve son meilleur dans la nuance.
Banishers s’inscrit dans la lignée de certaines œuvres qui abordent le fantôme comme l’expression des sentiments humains matérialisés sous forme pure, comme on peut le retrouver dans Mushishi (1998, Yuki Urushibara, et son adaptation en anime), les séries de Mike Flanagan, The Haunting of Hill House (2018) en tête, L’Orphelinat (2007, J.A. Bayona) ou une bonne partie de la filmographie de Kiyoshi Kurosawa. Peu étonnant, dès lors, de constater que la plupart des querelles entre vivants et morts sont des variations d’histoires d’amour à l’issue tragique, et que toutes trouvent un écho dans la relation entre Anthea et Red, belle représentation d’un couple qui se fait confiance et se respecte. Certes, la structure très marquée de la narration, avec ses bornes claires, impose certains artifices d’écriture (le début parait bien trop rushé afin d’introduire les mécaniques de jeu), mais les échanges naturels entre eux deux sont plaisants à suivre. Au-delà, on pourrait reprocher au jeu de reposer sur le trope de la dead wife, mais il faut se demander jusqu’à quel point celui-ci est interrogé, vu comme la relation entre l’un et l’autre est au cœur de l’attention, plus que le destin de Red après le décès de sa compagne. Autour d’eux, le récit arrive à garder une dimension intime, à l’échelle de ce petit bout de terre parcouru, et se pose en objet narratif bien fini, appuyé par de beaux choix de mise en scène (le superbe rendu des fantômes, et leur ascension en particulier), à côté de champs-contrechamps automatisés assez impersonnels. Dommage que le côté très cadré (un lieu, une histoire commune à ses habitants) amène les situations globales à se répéter, gâchant l’attente et la surprise pour une trame en fin de compte bien à l’aise sur ses rails.
Banishers: Ghosts of New Eden a été testé sur PS5 via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Xbox Series et PC.
Ce n’est pas Banishers qui viendra hanter nos rêves fiévreux, et on en est les premiers désolés. Autour d’un récit à la trame attendue mais efficace, jouissant de dialogues écrits avec finesse et ne perdant pas de vue son caractère intime tout au long de l’aventure, s’articule un ensemble de systèmes insipides tirés du tout-venant de l’action RPG. Comment s’émouvoir de la torpeur de deux amants séparés par la mort lorsqu’on nous incite à ramasser la moindre babiole pour augmenter, le regard vide, le niveau de sa paire de gants en cuir de blaireau ? Si ce nouvel essai à cheval entre narration riche et mécaniques de jeux populaires (contenu plutôt conséquent inclus, mais à quoi bon ?) pourra potentiellement parler à celles et ceux prêts à se plier aux conventions imposées sans s’y appesantir, il faudra tout de même une dose de bonne volonté conséquente pour passer outre l’impression grandissante de remplissage qui prend le pas sur la belle et tragique histoire d’Anthea et Red.
Les + | Les - |
- Encore un beau travail d'ambiance | - Combats, arbre de compétences, loot : des systèmes de jeux insipides... |
- Plutôt joli, avec des chouettes points de vue | - ... qui noient les bonnes idées du titre |
- Des dialogues écrits et interprétés avec finesse | - Très peu d'évolution des mécaniques tout au long de la grosse vingtaine d'heures à faire pour en voir le bout |
- De vraies belles idées... | - ... qui restent lettre morte |
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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