Même si les indés ne bénéficient pas de la puissance de frappe marketing des AAA et sortent ainsi assez peu souvent de leurs cercles de réseaux sociaux et niches de joueurs·euses investi·e·s, les sorties virales autour d’une petite production ne sont plus si rares, et Internet s’enflamme désormais assez facilement autour d’un Vampire Survivor, d’un Undertale, d’un Slay the Spire. Ce qui est plus rare, en revanche, c’est que tous les potards de la hype soient déjà à ce niveau pour une démo. C’est pourtant ce qui s’est produit avec Balatro, dont la démo a été téléchargée plusieurs centaines de milliers de fois, pour un cumul de millions d’heures de jeu. Pour une démo.
La raison, vous la connaissez probablement déjà : Balatro, c’est du gros crack. Et plus de 100 000 personnes ont déjà pris et surconsommé la première dose gratuite, rejouable à l’infini et déjà bien fournie en termes de contenu. Si vous vous posez la question, j’y ai joué 8 heures le premier jour, malgré de menus inconvénients, tels que le sommeil, la vie sociale ou le travail. Cependant, j’aimerais ne pas réduire le titre de LocalThunk à son côté addictif : certes, Balatro siphonne toute trace de temps libre, mais je m’en voudrais de le mettre dans le même panier que d’autres titres qui brutalisent nos emplois du temps avec des techniques peu recommandables de gacha, de stratégies de rétention et autres game as a service. Balatro est pur, Balatro tient à la seule force de son concept redoutable.
Les yeux sont faits, rien ne voit plus
Avant d’entrer dans les détails, il faut reconnaître que le premier attrait de Balatro repose sur de purs et constants shoots de plaisir immédiat, provoqués par l’esthétique et le sound design absolument redoutables du titre. On y reviendra, mais toute la boucle de gameplay repose sur du déclenchement de synergies. Plus ça synergise, plus on fait de points et plus le jeu nous récompense, en score et en argent in game, mais surtout en déluges d’effets visuels et sonores. Les cartes bougent, les multiplicateurs s’accumulent, l’UI se transforme : tout l’écran et tous les sons réagissent en permanence à pleine balle et de manière exponentielle à mesure que les cartes sont jouées, et on transforme une action aussi bête que poser une double paire en pinacle de l’épique vidéoludique.
Je peux avoir l’air d’en faire trop, mais c’est, je pense, l’aspect de Balatro qui fait plonger le premier pied dans la drogue : les stimuli ne sont pas juste plaisants, ils sont incroyablement satisfaisants et hypnotiques. Passée la première partie, on en veut plus et on en veut plus immédiatement. D’autant que cette partie de tuto repose sur une seed spécialement conçue pour nous permettre d’aller assez loin dès la première run, et ainsi nous laisser la chance dès les premières minutes de bien goûter au plaisir interdit des scores faramineux. Pour celles et ceux qui auraient la même passion que moi pour ce type de roguelites chronophages, pensez La Chance du locataire, avec un équilibre hasard/stratégie un peu mieux dosé, et un degré de satisfaction sensorielle assez équivoque.
Cinquante nuances de crack
Sauf que, dans Balatro, on ne joue pas en boucle sur une machine à sous de casino, mais au poker. Et c’est vraiment juste ça. Pas de scénario, pas d’habillage narratif plus présent qu’une petite carte Joker qui commente nos échecs, pas de mode campagne, on enchaîne les mains de poker, inlassablement. BON D’ACCORD, ce n’est pas juste ça, c’est aussi, et surtout, de la construction de decks basés sur les synergies, de préférence des synergies en cascade. Le hasard a évidemment une place prépondérante dans Balatro, comme dans le poker, comme dans la majorité des roguelites et comme dans la majorité des jeux de deck building, mais tout l’enjeu va justement reposer sur le fait de s’affranchir de cette contrainte, et de construire des builds capables de résister à un maximum de tirages de cartes, de pouvoirs de boss, de limites de score. Le titre permet de jouer sur une grosse quantité de paramètres : nombre de cartes dans la main, de coups à jouer, de cartes à défausser, mais surtout des tonnes d’effets à appliquer dans tous les sens. Jokers, jetons, effets qui influencent les multiplicateurs et le comportement des cartes, possibilité de faire gagner des niveaux à ses combinaisons de cartes préférées et j’en passe beaucoup, car la quantité de contenu de Balatro est parfaitement délirante.
Et elle est bien là, la dernière et vraie strate d’addictivité. Une fois les premières parties gagnées, on pourrait penser qu’on a fait le tour du jeu : à moins de gros coups de malchance ou de choix stupides, on a toutes les clefs en main pour atteindre quasiment à chaque fois le boss final d’une run basique, et continuer quelques tours dans le endless mode, jusqu’à se faire éclater par un nombre de points à atteindre un peu trop élevé pour notre build. Et c’est ça, le vrai objectif de cet endless mode aux scores complètement absurdes à battre, de ces niveaux de difficulté de plus en plus vénères, de ces decks spéciaux farfelus : nous faire comprendre, d’une part que le véritable but du jeu est bien de le casser, et d’une autre qu’on pourra y arriver de bien des manières, qu’on nous incite à expérimenter.
L’extase d’avoir réussi à scorer du 10 000 points en une main devient ainsi assez dérisoire quand, à peine 30 minutes plus tard, on comprend qu’on peut éclater un boss en un coup avec un brelan d’une valeur de 53 000 et que, par la force des synergies, on peut multiplier encore cette valeur par deux, par trois, par dix. La courbe de progression en devient grisante au gré des expérimentations sur les effets de jokers, sur les défausses, sur les passages de tours, sur l’exploitation et la combinaison des règles : si l’interface est d’une clarté exemplaire et aide grandement à construire ses builds et choisir les mains à jouer, à haut niveau, on peut se retrouver à effectuer quelques calculs à la main pour optimiser au mieux sa stratégie et faire le meilleur choix entre deux cartes ou deux effets, ajoutant une délicieuse couche de meta game. Et c’est à ça qu’on reconnaît un roguelite qui tiendra sur la durée. Certes, de base, Balatro donne envie de poursuivre pour le simple plaisir de remplir des jauges d’objectifs, qui débloqueront modes de jeu, cartes et effets, ou seulement de voir encore et encore toutes ces belles synergies se déclencher. Mais c’est sa promesse de nous laisser le casser, de plus en plus fort, de manière de plus en plus créative, et que l’on devine à chaque nouveau joker, chaque nouveau jeton, qui le hisse au niveau des références du genre.
Balatro a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Switch, PlayStation 4 et 5 et Xbox One et Series.
Balatro est dangereux. Avec son habillage hautement satisfaisant et hypnotique, il vous accroche dès ses premières secondes. Avec son concept simplissime et ses premiers objectifs facilement atteignables, il vous tient quelques heures, avec la douce illusion d’en avoir maîtrisé les arcanes. Avec sa façon de vous inciter à repousser ses limites et à fracasser ses règles de manière toujours plus forte et plus spectaculaire, il vous gardera au minimum pour les mois à venir. Vous êtes prévenu·e·s, pour moi c’est trop tard.
Les + | Les - |
- Des effets visuels et un sound design très efficaces | - L'aléatoire peut rendre quelques débuts de parties fastidieux |
- Le concept est à la fois très profond et très simple à comprendre | - Certains pouvoirs de boss sont vraiment méchants |
- Le plaisir immense de repousser les limites et casser les scores |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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