Lors de l’annonce d’Astral Chain, on était en droit d’être enthousiastes : un monde futuriste mystérieux, un jeu Switch, ce qui rajoute automatiquement dix points à la hype, et un gameplay novateur grâce au concept des Légions, le tout par un studio qui nous a offert le meilleur comme le pire.
PlatinumGames est un studio un peu difficile à cerner. Génies du gameplay, ils ont particulièrement brillé sur les différents Bayonetta qui ont été des succès critiques indéniables. Puis NieR Automata, où le scénario de Yoko Taro a été mélangé à un gameplay acceptable mais loin d’être transcendant. Sans oublier le désastre Scalebound, jeu dont le concept a été présenté pour la première fois en 2006, avant de débuter son développement effectif en 2013, pour enfin être annulé en 2017 par Microsoft. Fort heureusement pour nous, Astral Chain penche plus du côté Bayonetta de la force.
Un enchaînement de clichés
Commençons directement par les points qui fâchent : le scénario d’Astral Chain n’a rien d’exceptionnel ni même de remarquable. On est ici sur une histoire très classique, avec des méchants, des gentils, des jumeaux promis à un destin extraordinaire mais tout de même assez différent pour créer des tensions et un plot twist visible dès les premières images du jeu, mais qui est tout de même présenté comme un énorme retournement de situation. Au début, vous aurez le choix entre jouer un homme ou une femme (j’ai choisi la femme, ce qui sera reflété dans la suite de la critique), et l’autre jumeau/jumelle deviendra donc un personnage du jeu, qui aura le droit à un doublage comme tout le monde contrairement à votre protagoniste. Un personnage assez agaçant au passage, pour qui il est dur d’éprouver de la sympathie tant ses réactions sont toujours incroyablement exagérées. Cela dit, il en est de même pour le personnage jouable, mais dans le sens inverse : le problème, c’est son manque de réaction. Comme dit précédemment, celui-ci n’est donc pas doublé et en se basant uniquement sur ses hochements de tête et les quelques choix de dialogue, autant dire que ses capacités incroyables ne sont pas au niveau social.
Les autres personnes qui peuplent le monde sont des archétypes : le patron mystérieux dont le bien-être de ses agents ne semble pas être la priorité, la médecin douce et calme, la secrétaire/mascotte/fille avec des seins qui bougent dans tous les sens, l’homme qui a perdu son mentor et qui se met la pression pour être à sa hauteur, la femme forte mais qui au fond, s’inquiète pour les autres, tout le casting caricatural s’est donné rendez-vous dans le titre de Platinum Games et, si ce n’est pas dramatique car on ne joue de toute façon pas à Astral Chain pour l’histoire, on sort de là en ne gardant aucun souvenir marquant ou personnage préféré. Il en est de même pour les méchants de l’histoire, dont on ne connaît ni les véritables motivations, ni trop l’origine car ni eux ni le monde dans lequel on évolue ne semblent avoir de background bien défini. Tout au plus on nous parle d’un Plan Astral dans lequel vous pouvez évoluer grâce à vos Légions, des Chimères rendues dociles grâce à la chaîne astrale, d’où le titre du jeu, qu’il s’agit d’empêcher d’engloutir votre monde.
Il y a tout de même des points surprenants dans les thèmes du jeu. Déjà, l’obsession pour la propreté. Sans trop spoiler, vous vous retrouvez vite comme la seule personne capable de sauver le monde de la menace du Plan Astral. Et pourtant, cela ne vous autorise pas à ne pas respecter les règles de société et à ne pas continuer votre travail de proximité de policière : traverser au feu vert, aider les passants avec leurs gros et petits problèmes, de la fillette disparue dans le Plan Astral à la glace à ramener à un petit garçon pour le réconforter, mais surtout, ramasser des canettes vides dans la rue et les jeter. Tout cela vous donnera des points supplémentaires dans votre job et, par exemple, détruire des objets dans la rue vous en fera perdre. Le jeu nous gratifie même d’un chapitre entier sur le nettoyage et la remise en place d’un monde qui est constamment perturbé par des incursions venues d’un autre plan dimensionnel. On pourrait faire nos occidentaux typiques et relier ça aux stéréotypes sur les japonais mais je pense que ça découle plus d’une volonté de garder les choses « comme elles sont » alors même que la fin du monde menace. Histoire de garder l’ordre dans tous les sens du terme.
Ça expliquerait aussi le point central de l’autorité dans Astral Chain, qui confine au ridicule parfois. Comme expliqué au-dessus, votre personnage n’est pas doublé. Fainéantise, volonté délibérée, je ne saurais vous dire mais ce choix produit en tout cas des moments étranges, où votre personnage ne semble être qu’une marionnette soumise aux choix des gens qui l’entourent. Ses interactions avec les autres semblent réduites à des hochements de tête pour confirmer qu’elle fera bien ce que la personne présente lui suggère de faire. Si l’on pourrait simplement penser qu’elle n’est qu’une policière bien disciplinée qui cherche juste à faire son job correctement, le titre finit par nous faire douter à un moment. Là où elle s’est appliquée à respecter les ordres à la lettre, notre jumelle décide soudainement d’écouter quelqu’un d’autre qui lui conseille de faire une enquête sans passer par les canaux officiels. Et quand elle est découverte et punie pour ça, elle fait tout pour se rattraper alors même que les révélations découlant de cette incursion ne sont pas du plus bel effet pour son patron. Et pourtant, aucune conséquence, aucune prise de conscience jusqu’à ce que d’autres soient menacés et lui disent explicitement où se trouve le camp du bien actuellement. Je ne pense pas que l’histoire soit importante au point de pouvoir tirer des conclusions sur cet agissement étrange, mais on finit de penser d’Astral Chain qu’il est un jeu manichéen et régressif dans sa façon d’avancer d’un pas et de reculer de deux constamment.
Enchaîner les coups
Mais ne nous mentons pas, au fond, peu importe tout ça, nous sommes là pour le gameplay. Et c’est assurément le point le plus fort du titre. Votre personnage possède donc plusieurs Légions, sortes de robots venant d’une autre dimension, soumis à sa volonté et littéralement enchaînés à elle par une chaîne astrale. Il s’agira pendant les combats de contrôler l’humaine et sa créature en même temps, à réussir à faire des actions qui mèneront à des combos dévastateurs, tout ça de la façon la plus classe possible. Si on hésite un peu au début et s’emmêle entre les différentes touches de la manette, le pli se prend vite grâce à des contrôles simples et très intelligemment choisis, et on finit par virevolter gaiement entre chaque ennemi, alternant attaques simples et capacités spéciales de la Légion, sachant exactement quoi faire à quel moment avec quelle Légion pour lancer un combo et finir avec la note de « S+ » sur chaque combat. Ça faisait longtemps que je n’avais pas connu un gameplay aussi satisfaisant, au point où même en ayant fini le jeu, j’ai envie d’y retourner juste pour continuer à taper joyeusement des méchants. Il me faut cependant souligner que la caméra a tendance à vivre un peu sa vie, mais si vous pensez à verrouiller les ennemis, elle ne devrait pas trop vous pénaliser. A noter que je vous conseille également de jouer en docké, ceux avec des yeux un peu sensibles comme les miens auront du mal à supporter les effets lumineux en mode portable.
Il y a même un petit côté RPG, avec des arbres de talent pour chaque Légion. Si vous jouez de façon moyenne comme moi, vous n’aurez pas assez d’ADN pour monter au maximum chacun des arbres, il vous faudra donc choisir quelles Légions vous favorisez en combat. Fort heureusement, les talents sont plutôt simples à choisir et s’en occuper ne casse pas trop le rythme du jeu. Pour votre personnage, il suffira d’aller voir des gens au commissariat pour acheter des améliorations d’arme ou de votre objet qui contrôle votre Légion. Rien de fou donc, juste assez pour vous donner un sentiment de progression. Il n’y a pas d’équipement, tout ce que vous modifiez est juste esthétique et je dois avouer avoir ressenti une certaine satisfaction à jouer à un jeu où je pouvais obtenir de nouveaux costumes en jouant plutôt qu’en payant, ce qui en dit tristement long sur l’état actuel des jeux vidéo AAA.
Mais ce que je tiens à souligner, à applaudir, ce qui me donne envie de prendre les développeurs dans les bras, c’est que ce jeu est accessible pour tous les niveaux de skill. Il y a trois modes de difficulté : un mode facile sans notes à la fin des combats, histoire de profiter du monde et de s’amuser sans être un expert, un mode normal avec des notes de D à S+ qui correspond enfin à la définition de « normal » et un mode plus difficile pour les meilleurs joueurs d’entre nous. Je ne suis pas une experte de ce genre de jeux. J’ai toujours aimé le principe mais avec ma mémoire et mon attention de poisson rouge, les différents combos de touches m’ont toujours rebutée. Ici, rien de tout ça, le fait d’avoir la Légion avec nous rend tout plus aisé, plus fluide, plus plaisant. Peut-être que les experts seront frustrés du manque de challenge, je n’ai pas testé le mode le plus difficile mais je n’ai pas rencontré de problèmes majeurs en normal. Mais je trouve ça rafraîchissant qu’un style de jeu qui a tendance à être dans la catégorie « git gud » s’ouvre un peu plus, d’autant plus quand c’est grâce à une idée de gameplay novatrice. On peut rejoindre à cette idée la notion de « vision créative du développeur », érigée en barrière face aux demandes d’accessibilité, comme si le jeu vidéo était avant tout fait pour les gens qui le font, pas pour ceux qui y jouent. Astral Chain se détache de cette idée et c’est ce qui le rend si plaisant à jouer. Oui les créateurs avaient assurément un plan précis de ce qu’ils voulaient faire mais une fois en jeu, à part lors du dernier chapitre, ce n’est jamais imposé au joueur. Les phases d’enquête sont accessoires tant elles sont courtes et quand le jeu vous demande d’être discret, vous avez la possibilité de passer outre cette injonction et de foncer dans le tas. Quand un chapitre se concentre sur des mini-jeux que j’ai trouvé sincèrement agaçants, pareil, il est prévu dans les dialogues de pouvoir les passer et continuer sur autre chose. Je respecte la vision du studio mais je respecte d’autant plus qu’ils comprennent qu’elle ne rejoint pas forcément ma définition du fun et qu’ils ne m’obligent pas à recommencer en boucle des passages frustrants. Ce petit détail fait passer Astral Chain du statut de très bon jeu à jeu exceptionnel à mes yeux.
Astral Chain a été testé sur Switch, via une clé fournie par l’éditeur.
Malgré son scénario au ras-des-pâquerettes, Astral Chain a réussi à me captiver grâce à son gameplay. Y retourner a toujours été un plaisir, même si le jeu a tendance à se répéter dans les différents chapitres. Mais le fait de ne pas obliger le joueur à faire ce qu’il ne veut pas permet d’éviter l’ennui et fait d’Astral Chain un très bon défouloir quand vous voulez poser votre cerveau et juste taper du méchant sans réfléchir aux conséquences. Et puis, on peut sauver et nourrir des chats errants et ça suffit pour voler mon cœur.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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