Développé par une petite équipe de quatre personnes, Arco est une revisite des classiques du Weird West, mêlant stratégie et jeu de rôle. La formule est minimaliste, mais d'une efficacité incroyable, au service d'une écriture surprenante.
J'ai toujours pensé que les westerns classiques gagnent énormément en intérêt quand on les compare à leur propre marge. À côté de l'épopée de l'Ouest américain racontée par Hollywood depuis les débuts du cinéma, et plus tard par ses contreparties italiennes via le western spaghetti, il a toujours existé des contrastes : la science-fiction (Cowboy Bebop), le fantastique (Pale Rider), l'Union soviétique (Le Soleil blanc du désert), ou encore le post-apo (Fallout) ont toujours joué avec les codes du récit de cowboy pour le faire évoluer ou le tourner en dérision. C'est aussi le cas du jeu vidéo, qui a récemment réinvesti le genre avec Hard West, Blood West, Weird West et Evil West, dont je vous promets que ce sont quatre jeux différents. Vérifiez si vous ne me croyez pas. Dans ce contexte, Arco partait dans mon cœur avec pas mal d'atouts. Déjà, il a un titre qui se démarque de l'usine de clones cités ci-dessus. Ensuite, il aborde lui aussi le genre par une lorgnette que j'aime bien, avec des influences venues d'Amérique latine, une perspective anticoloniale, et une grosse touche de fantasy. Enfin, il s'agit d'un jeu de stratégie à la fois nerveux et malin. Et malgré quelques longueurs, il transforme parfaitement l'essai. Je n'ai pas vu passer mes quinze heures dessus.
Opération sauver Arco
Placé sous le signe d'une économie maximale de blabla, Arco pose ses enjeux avec une efficacité qui fait plaisir, chaque personnage étant brossé avec une épure et une pertinence rares. L'intrigue nous place successivement dans les bottes poussiéreuses de quatre personnages en quête de gloire ou de vengeance. Iels sont issu·e·s de peuples différents, mais font face à un même problème : la Compagnie Rouge. Ces affreux jojos sont une bande de mercenaires issus du peuple des "Nouveaux Venus", des pseudo-Européens débarqués sur le continent pour en piller les villages et les richesses. Tous les Nouveaux Venus ne sont peut-être pas des salauds, mais leur bras armé, lui, est composé de la pire racaille de l'Ouest.
Le jeu se structure ainsi en arcs scénaristiques faisant petit à petit converger ces personnages séparés vers leur but commun, chaque chapitre adoptant un ton assez différent : aux décors inspirés de la Basse Californie mexicaine succèdent une épopée dans une jungle hantée, puis un redoutable trek dans un désert hostile. Une intrigue rythmée, haletante, étonnamment subtile malgré le très peu de paroles employées à la raconter : Arco fait partie de ces rares jeux du genre qui font un effort d'écriture et d'immersion assez important pour être noté. Je suis venu pour la stratégie en gros pixels, je suis resté pour l'ambiance captivante.
J'ai particulièrement apprécié la manière dont l'univers s'étend par petites touches, dont les informations sur les peuples, monstres et mythologies sont dispensées via des détails ou au détour d'une quête annexe. Ces dernières, parfois assez bien ficelées et offrant des choix assez radicaux à effectuer qui nous sont renvoyés en pleine face quelques chapitres plus tard, n'ont pas à rougir de ce que font certains gros RPG.
Casse-pieds, le p'tit fantôme
Dans Arco, il faut d'ailleurs remarquer que les choix moraux effectués par les personnages ne s'incarnent pas tant dans un système de jauges ou de statistiques, mais dans un entrelacement avec la mythologie du jeu. En effet, plus que de moralité, c'est de culpabilité qu'il est question ici : plus un personnage va se sentir accablé par le poids de ses décisions, et plus il va se retrouver hanté, assez littéralement.
L'essentiel du gameplay d'Arco passe par des combats au tour par tour remarquables où il est en principe assez aisé de planifier ses stratégies d'attaque. Or, plus la culpabilité augmente et plus le champ de bataille sera rempli de spectres et de manifestations surnaturelles issues du bestiaire local, ces derniers n'étant évidemment pas soumis aux impératifs d'attendre leur tour de jeu. En gros, plus vous traînez de honte et de regrets dans vos bagages, et plus le tour par tour se transforme en temps réel où il convient d'esquiver des fantômes qui vous foncent dessus en continu. Le tout en devant tout de même penser à terrasser vos adversaires humains.
Cette matérialisation très concrète du moral bas d'un personnage, qui pousse à commettre des erreurs et à se planter dans les stratégies d'attaque, elle devient rapidement un des points forts d'Arco. Il faut à la fois lutter pour rendre ses personnages plus forts en développant des compétences pertinentes, et trouver des moyens de garder sa dose de culpabilité sous contrôle en faisant les bons choix. Quitte à passer à côté d'une quête dont on doute des implications exactes. Sous peine de risquer de finir par commander à une troupe de guignols multipliant les roulades et les esquives de créatures invisibles au lieu de se battre pour leur survie.
Unlucky Luke
Les notions de vengeance, de culpabilité et de responsabilité sont au cœur du propos d'Arco. Le fait d'avoir réussi à équilibrer l'aventure en ajoutant à des combats assez scriptés une dimension de difficulté liée aux comportements du joueur tout au long de l'épopée est vraiment une excellente idée.
C'est une trouvaille qui, je pense, rencontre tout de même ses limites à plusieurs moments du jeu : certains chapitres sont plutôt généreux en points d'expérience et en objets de soin et donnent une sorte de marge de manœuvre appréciable. En revanche, certains autres proposent des murs de difficulté parfois éprouvants qui deviennent quasiment infranchissables avec une culpabilité trop haute.
Certes, un échec n'est jamais puni sévèrement dans Arco, puisqu'il est toujours possible de recommencer le combat perdu en boucle, voire de revenir juste avant pour ajuster son équipement. Mais trop souvent, on se retrouve à essayer de faire disparaître ces fichus fantômes d'une manière un peu artificielle : pas parce qu'on pense que c'est une chose morale à faire, mais parce que ce chupacabra est simplement trop difficile à buter en même temps que le champ de bataille se remplit d'esprits frappeurs.
Arco a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Arco arrive à mêler western, stratégie, mythologie et propos anticolonial dans ce qui ressemble de loin à une bouillie de pixels minuscules. Il est beaucoup plus que ça, notamment parce qu'il a réussi à s'en tenir à quelques idées développées à fond plutôt qu'à un éparpillement de concepts un peu vains. Il est loin d'être parfait, mais c'est quand même une petite prouesse, qui tend à prouver que pour peu qu'on se creuse un peu la cervelle, la matière du western possède un immense potentiel vidéoludique pas encore totalement exploité.
Les + | Les - |
- Combats vraiment très intéressants | - L'équilibrage de la difficulté déraille parfois un peu |
- Dialogues minimalistes au service d'un scénario très malin | - Les menus sont peu commodes |
- La DA surprenante, mais parfois super inspirée | - Le sytème de culpabilité parfois légèrement artificiel |
- Très jolie bande-son |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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