En ce début d'année, Capcom a l'excellente idée de ressortir la seconde trilogie de ses visual novels d'enquête sous forme d'une méga-compilation particulièrement généreuse. Apollo Justice : Ace Attorney Trilogy est ainsi à bien des égards une sortie surprenante.
Dix ans déjà après avoir compilé les aventures de l'avocat farfelu Phoenix Wright dans Phoenix Wright: Ace Attorney Trilogy (dont les versions current gen remontent à 2019), l'éditeur japonais s'est donc enfin penché sur ses suites. Mettant en scène le jeune avocat Apollo Justice, spécialisé dans la détection des tics nerveux et des mensonges lors des interrogatoires, cette seconde série n'avait jusque-là pas connu le même soin sous nos latitudes. Si le premier épisode avait bénéficié en 2007 d'une version française largement distribuée, les suivants étaient demeurés relativement confidentiels. En 2013 et 2016, les épisodes Dual Destinies et Spirit of Justice avaient été confinés à des sorties sans support physique et sans version française sur Nintendo 3DS. La série s'était alors même enfoncée dans la confidentialité avec des épisodes complètement inédits hors du Japon (Miles Edgeworth Investigation 2)... Et une préquelle (The Great Ace Attorney) qui ne paraîtra en Occident que très discrètement, à l'été 2021 (là encore uniquement en anglais), des années après sa version japonaise. Au milieu de tout ceci, la saga rocambolesque d'Apollo Justice semblait vouée à l'oubli. Nous sommes en 2024, et Capcom semble donc, dans un retournement de situation digne d'un procès à grand spectacle, avoir entièrement changé de politique. Apollo Justice : Ace Attorney Trilogy s'avère être un des portages les mieux fichus auxquels il m'ait été donné de jouer depuis des années.
Justice partout
La trilogie Apollo Justice avait des défauts. Généralement considérée comme moins aboutie que le triptyque des Phoenix Wright, elle souffre notamment pas mal de son statut de "suite". D'un côté, il est très difficile de rentrer dans l'intrigue si vous n'avez pas déjà bouclé les trois premiers jeux, et de l'autre, on sent que les scénaristes de Capcom ont parfois sorti des rames… un peu trop grandes pour s'écarter de la première série. Particulièrement dans Spirit of Justice, le changement de ton et de contexte conduit la saga à ponctuellement raconter littéralement n'importe quoi et à inventer des affaires parfois invraisemblables pour donner un véritable espace d'expression à son héros et à ses sidekicks. Tout ceci est de temps en temps un peu indigeste et l'absence de Shu Takumi, le scénariste d'origine, se fait régulièrement sentir sur les deux derniers épisodes.
N'empêche, les aventures d'Apollo, Athéna, Vérité et compagnie demeurent le très, très haut du panier des aventures interactives d'enquête parues ces vingt dernières années. Des épopées haletantes, pleines de rebondissements, de procès épiques, de personnages improbables : on ne s'ennuie jamais. Et, au fil des affaires et des jeux, le pauvre Apollo, au départ très effacé derrière son mentor, finit par exister et se créer une véritable identité en tant que personnage.
À quelques écueils près, la série n'accuse donc pas vraiment son âge (le premier Apollo Justice remonte tout de même à 2007 !) et continue de surprendre par sa solidité et son intensité après tout ce temps. C'est ainsi fatalement un plaisir de retrouver tout ceci compilé dans un produit aussi facilement accessible après tout ce temps à dormir dans le catalogue de vieilles 3DS remisées au grenier depuis un ou deux lustres. Mais la plus belle surprise, c'est la qualité assez surprenante de ce que propose cette compil.
Mange ton Sauciflard, Apollon
Première surprise de taille, surtout après la version anglaise très ardue et pleine d'argot et d'accents de The Great Ace Attorney : cette nouvelle version bénéficie d'une VF intégrale de très bonne qualité. Ce choix n'est pas anodin (on parle d'un jeu de plus de 80 heures composé pour l'essentiel de pâtés de textes), et témoigne d'une volonté de reconquête, voire d'élargissement de son public par Capcom.
Mais vous savez ce qu'on dit, il n'y a pas d'amour, mais uniquement des preuves d'amour. Et des preuves d'amour, Capcom en a livré quelques-unes ces derniers temps vis-à-vis de son catalogue de jeux d'aventure : après la sortie (certes tardive) de la compilation The Great Ace Attorney, nous avons pu bénéficier de la disponibilité de la trilogie Phoenix Wright sur le Game Pass, puis de l'arrivée du remaster de Ghost Trick : Phantom Detective. Et maintenant, donc, une VF pour tous les Apollo Justice.
J'aurais pu dire : que demander de mieux ? Mais cette compilation y répondra mieux que moi par le volume impressionnant de contenu qu'elle propose. Certes, on ne peut que se réjouir de l'ajout de l'ensemble des DLC de la série, mais en l'occurrence, c'est leur absence qui aurait été irritante. Mon regard se porte surtout vers la partie "musée" du jeu, qui livre une quantité admirable de documents à consulter concernant la licence : musiques, scènes cinématiques, concept art, illustrations officielles, etc. Un mot de musée qui n'est pas usurpé pour l'ensemble de la compilation, par ailleurs, tant sa "visite" est facilitée par l'ajout d'options d'accessibilité bienvenues.
Pas d'objection
En effet, il faut noter qu'Apollo Justice : Ace Attorney Trilogy rend possible la revisite de l'aventure dans un ordre totalement personnel et facultatif, puisque vous avez d'emblée accès à tous les chapitres et tous les bonus des trois jeux. Vous pouvez commencer par le DLC de Spirit of Justice, continuer par la troisième enquête de Dual Destinies et ainsi de suite, sans avoir besoin de "débloquer" le contenu en progressant de manière linéaire.
On appréciera également la présence de deux nouveaux niveaux de difficulté, pour celleux qui souhaiteraient diminuer, voire supprimer la partie "puzzle" des jeux pour se concentrer sur la seule lecture de l'intrigue. Il est ainsi possible d'activer un système d'indices, ou d'aller encore plus loin en supprimant toutes les énigmes du jeu et en vous indiquant la marche à suivre pour faire avancer l'histoire. Je n'ai pas spécialement eu besoin d'utiliser ce système pour progresser. Mais le fait de proposer une transformation d'un visual novel en simple "kinetic novel" où l'on ne fait que suivre l'histoire est une très bonne idée. Une partie du public ne souhaite au fond que parcourir un bon livre illustré sans avoir à conserver un onglet "solution" ouvert sur le côté, et cette trilogie s'adresse aussi à cette catégorie précise de joueureuses. On ne va pas s'en plaindre !
Apollo Justice : Ace Attorney Trilogy a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, sur Nintendo Switch et sur les consoles Xbox.
Il vaut mieux connaître un peu la licence avant de vous lancer dans Apollo Justice : Ace Attorney Trilogy, qui ne constitue pas le meilleur point d'entrée à la franchise Ace Attorney. Cependant, si vous avez au minimum déjà touché à un Phoenix Wright dans votre vie, je ne peux que vous recommander cette compilation extraordinaire. Elle est à la fois accessible, complète et futée, et vous propose des dizaines d'heures de contenu dans le meilleur écrin possible. Un travail exemplaire.
Les + | Les - |
- Les 3 jeux sont accompagnés de leur DLC, plus de 80 h de contenu | - Pas le meilleur point d'entrée pour la licence |
- La saga tient toujours aussi bien la route | - On aurait apprécié la possibilité d'accélérer les dialogues |
- Portage techniquement impeccable | |
- Le mode musée, riche en documents d'époque | |
- Immenses efforts d'accessibilité (VF, mode facile...) |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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