Après avoir surmonté de nombreux obstacles, le studio Pikselnesia, créé par Mohammad Fahmi, sort enfin Afterlove EP. Le titre se voulant un savant mélange de visual novel, de dating sim et de rhythm game aurait pu être un de mes premiers coups de cœur de 2025, mais il ne restera qu'un jeu sympathique, la faute à une narration loin de réaliser ses ambitions.
Afterlove EP a eu un développement extrêmement compliqué. Pikselnesia est un studio indé créé en 2020 spécifiquement pour le projet Afterlove EP par Mohammad Fahmi, notamment connu pour son énorme succès Coffee Talk. D’abord prévu pour 2022, le titre de Pikselnesia a subi de multiples reports suite au décès de Fahmi, creative director and narrative lead de l’équipe, puis est passé par de multiples phases de réécriture et de polish, pour enfin voir le jour à la Saint-Valentin 2025. Au début du développement, l’objectif était de mettre la lumière sur la culture indonésienne, dans un jeu indé qui aura principalement un public occidental (malgré le bouillonnement actuel autour du JV en Asie du Sud-Est), en intégrant à Afterlove EP des lieux emblématiques de Jakarta ou encore en collaborant avec L'Alphalpha, groupe de musique indonésien chargé de composer la BO du jeu, tout en déroulant un récit sur la perte et le deuil. Si l’Indonésie est effectivement mise en avant et que le jeu donne envie de s'y intéresser, la disparition de Fahmi a manifestement eu un gros impact sur Afterlove EP, notamment sur sa partie narrative, dont les bases et la trame principale solides sont parfois gâchées par des détails brouillons. En résulte un visual novel de très bonne facture, si on se concentre sur son ambiance, ses graphismes et ses musiques, mais qui peine à vraiment convaincre avec son thème principal, qui se recoupe tristement avec ses conditions de production. J’ai d’autant plus de mal à accepter ce constat que Pikselnesia a développé Afterlove EP sous la bannière de Fellow Traveller, éditeur qui a su nous proposer des petits bijoux comme Citizen Sleeper ou encore 1000X RESIST.
La suite de cette critique spoilera des éléments du scénario et abordera des sujets sensibles.
Bons baisers de Jakarta
Abordons d’abord l’aspect technique d'Afterlove EP. Les premières images et les premiers trailers du jeu m’avaient directement tapé dans l’œil. Que ce soit la patte graphique ou l’ambiance musicale, tout donnait envie de s’y intéresser. Surtout que la partie visual novel semblait être entrecoupée de mini-jeux de rythme, toujours bienvenus pour casser la monotonie d’un titre de ce style. J’étais aussi intrigué de voir comment le thème du deuil et de la reconstruction après la perte d’un proche allait être intégré dans cet univers très coloré. En un sens, les trailers n’avaient pas menti. Les quartiers de Jakarta sont pleins de vie et de passants avec qui discuter, animés par le trait de Soyatu, artiste indonésien au style reconnaissable et très connu au Japon pour son travail sur les covers d'albums de groupes de musique indés. On se plait à découvrir les lieux dans lesquels évolue Rama, notre personnage principal, et chaque saynète rend justice à l’intention de l’écriture en transmettant une émotion sincère, que ce soit la douceur d’un moment de la vie quotidienne ou la tristesse restant après une dispute. J’ai pris des dizaines de screenshots et il n’y en a aucun que je voudrais supprimer.
Heureusement, la musique et l’ambiance sonore ne déméritent pas non plus. La musique et le chant occupent une place importante dans le récit et dans les relations entre les personnages que nous allons rencontrer et peut-être aimer. L'Alphalpha a réussi à créer une BO indie rock polyvalente qui colle avec l'état d'esprit de Rama, d'une part mélancolique, coincé dans un deuil dont il n'arrive pas à se dépêtrer, et de l'autre enthousiaste avec son envie de reprendre le cours de sa vie. Je ne saurais pas faire de meilleur compliment que dire que chaque jam du groupe de Rama me donne envie de dépoussiérer ma basse. En un sens, on participe même à sa création au travers du rhythm game qui démarre à chaque fois que Rama joue de la guitare.
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Si l’idée de Pikselnesia de nous impliquer dans la musique du groupe était bonne, sa transposition en gameplay est malheureusement très molle. Le mini-jeu ne présente aucun défi (presser un bouton plus d'une seconde pour des "notes" longues ou répétitives qui constituent 80% des chansons n'est franchement pas passionnant…) et empêche même de profiter des paroles sous-titrées et des animations des personnages. Il est d’autant plus inutile que le rater ou le passer intégralement n'a aucune incidence sur le reste du jeu. Mis à part ce point, qui ressemble à une brique de gameplay rentrée au chausse-pied, et quelques couacs techniques assez rares, Afterlove EP est globalement très bon, et met en évidence la qualité du travail de l'équipe de Pikselnesia ainsi que celle de la phase de QA. Si le début du jeu a du mal à décoller, il devient beaucoup plus agréable d’évoluer dans les quartiers de Jakarta une fois que l’on nous a lâché la main et que l'on fait nos propres choix pour traiter l’art block de Rama, ainsi que sa crise existentielle, pendant une petite dizaine d’heures.
Esprit, es-tu là ?
Rama est un jeune adulte musicien. Il y a un an, sa copine Cinta est décédée subitement et il a coupé les ponts avec tous ses amis, n’ayant pour échappatoire que sa musique traitant de ses sentiments et de son deuil. Afterlove EP commence lorsque Rama recontacte les membres de son groupe, les Sigmund Feud, pour leur proposer de rejouer ensemble. Sans rentrer dans les détails, la discussion tourne au dialogue de sourds entre Rama, qui revient comme une fleur au bout d’un an sans contact, et Trisya et Adit, ses amis, qui ont dû faire sans lui. On apprend qu'un concert est prévu à la fin du mois et que ce sera le dernier si le groupe n’a pas réussi à s’entendre d’ici là. La situation est d’autant plus compliquée que Rama n’a manifestement pas fait son deuil, il entend Cinta lui parler constamment. Sous la forme de pensées intrusives, Cinta donne son avis sur tout, tout le temps. Pour commenter ce que Rama fait, ce qu'il ne fait pas, ou encore la manière dont les gens lui répondent, tournant tout ce qu’on peut lui dire en quelque chose de négatif. Ce bruit de fond constant a tendance à mettre Rama à cran et à le faire réagir au quart de tour.
Si ce mécanisme d'autoconservation est l'occasion de parler de la perte et du deuil, notamment du point de vue d’un jeune adulte, les personnages qui gravitent autour de Rama et notre protagoniste lui-même manquent de finesse pour le faire avec justesse. Leurs rôles sont bien identifiés, mais sont loin d'être assez subtils pour faire avancer le récit de manière organique. En l'état, les amis de Rama manquent d’empathie, traitant le décès de Cinta comme un événement terminé ne devant plus avoir d’impact sur le présent, et de son côté, Rama refuse d’accepter que ses amis aient pu avancer dans leur vie sans lui, ne comprenant pas que tout ait changé ni les reproches qu’on lui fait. On est face à des quasi-archétypes qui ne s’écoutent pas parler d'un bout à l'autre d'Afterlove EP. Sensation appuyée par le fait que Rama semble régresser entre les dialogues des quêtes annexes et ceux de la trame principale avec son groupe, même dans le cas où on considère que la guérison et le traitement du deuil ne sont pas linéaires.
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J’ai eu du mal à saisir pourquoi il avait réussi à comprendre quelque chose sur lui-même et acquis des outils pour l'aider à aller mieux pour ensuite repartir dans les mêmes travers dès qu’il reparle avec les Sigmund Feud. Un manque de cohérence que je ne saurais imputer à l’écriture ou à une mauvaise synchronisation des dialogues. Cette dissonance est d'autant plus frustrante qu'en fin de compte, nos choix de privilégier telle ou telle relation lors des phases de dating sim n'auront que très peu d'impact sur l'histoire d'Afterlove EP. Le futur du groupe est tout tracé, que Rama prenne des décisions avisées ou débiles. Dans une de mes parties, avoir une relation ambiguë avec l'ex-copine fraîchement séparée de son meilleur ami n'a eu aucune conséquence, et s'est conclu par une conversation un peu gênée et bien vaine.
Afterlove EP a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Nintendo Switch, Xbox Series et PlayStation 4 et 5.
Afterlove EP veut nous dire plein de choses sur le deuil, sur la difficulté de trouver sa place, sur les problématiques LGBTQIA+ ou encore sur la charge mentale, mais il en fait peut-être un peu trop pour son propre bien. J’ai été touché par l’histoire de Rama et Cinta et leur complicité que Rama ne veut pas voir glisser entre ses doigts, mais les relations entre les personnages sont trop superficielles pour se défaire de cette sensation de fausseté dans ce qu'on nous raconte. Afterlove EP reste un bon jeu qu'on appréciera relancer pour découvrir toutes ses fins, mais il aurait pu être beaucoup plus.
Les + | Les - |
- Relation émouvante entre Rama et Cinta | - Pas assez de cohérence dans la narration |
- Une ambiance très chouette | - Jeu de rythme très pauvre |
- Bonne BO |
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Kalkulmatriciel
Cc c Kalkul. J'adore parler à tous les PNJ, mettre des mandales et saboter les coop.
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