Aetheris est un roguelite mâtiné de tactical RPG vous proposant de guider une tribu d'hommes-lézards aux confins d'une contrée périlleuse, dans des décors oniriques à couper le souffle.
Le studio rennais Wild Wits se définit comme "indépendant et breton", ce qui témoigne d'un certain sens de l'humour. Pourtant, dans Aetheris, vous n'allez pas beaucoup rigoler en guidant votre troupe de quatre pauvres diables dont chaque expédition se terminera presque à coup sûr par une mort certaine en attendant le départ de l'expédition suivante. Quelque part entre une épopée à la The Banner Saga et un jeu d'exploration qui vous rend meilleur à chaque essai en plaçant sur vos épaules le poids de vos ancêtres façon Rogue Legacy, nous tenons là un titre qui arrive de manière surprenante à faire des choses plutôt novatrices avec de très vieilles recettes. Malgré quelques affreux problèmes de rythme, c'est absolument brillant.
Garder son sang-froid
Davantage qu'un scénario à proprement parler, Aetheris propose une ambiance. La mise en scène y est réduite à l'expression minimaliste de quelques lignes de dialogues et de quelques choix, très en retrait et vous permettant de vous concentrer sur une narration avant tout environnementale. On y parcourt une contrée psychédélique et torturée, au centre de laquelle se tient notre point de départ, hameau peuplé d'hommes-lézards mystiques vivant à mi-chemin entre le monde des vivants et celui des esprits. Quand le pays commence à lentement être englouti par une brume noire abominable de laquelle surgissent des monstres, quatre vaillants guerriers partent dans une longue épopée pour tenter de remédier à la crise. Et c'est à peu près tout, le reste étant une succession de différents biomes de plus en plus bizarres où nos héros enchaîneront événements aléatoires, dialogues sur la direction à suivre, combats et étapes dans des campements.
Comme beaucoup d'autres jeux du genre, l'aventure d'Aetheris est structurée de manière assez mathématique. On avance le long d'une ligne constituée d'étapes, on effectue des choix moraux (avec plus ou moins de possibilités selon les statistiques de nos quatre explorateurs), on combat des trucs hideux, et après un repos bien mérité, on recommence. Et là encore, comme dans la plupart des jeux du genre, à la manière par exemple d'un Faster Than Light, on agit sous la pression d'un chronomètre qui nous pousse à faire des choix parfois tragiques sous le coup de la panique. Ici, l'échéance prend la forme d'un compte à rebours de jours : s'il arrive à zéro, vous êtes engloutis par la brume (et ce n'est pas une bonne idée de laisser ceci se produire). Vous allez donc devoir régulièrement abandonner un blessé en chemin ou zapper une nuit de sommeil pour regagner des jours de battement.
Le résultat de cette structure assez transparente est que, bien que manquant un peu de surprises et de rebondissements, une run d'Aetheris est assez bien rythmée et ne souffre de quasiment aucun temps superflu. À l'exception, on le verra plus tard, de quelques combats un peu fastidieux. Et si je parle de run, c'est bien parce que vous allez devoir parcourir la contrée un certain nombre de fois. Même s'il ne s'agit pas d'un RPG particulièrement difficile, vos premières expéditions sont logiquement vouées à l'échec. Et c'est là que le titre de Wild Wits déploie sa carte maîtresse : son habile système de progression basé sur l'héritage des vétérans tombés au combat.
Mon esprit vous accompagne
Aetheris vous fait progresser de deux manières différentes. Techniquement, à chaque game over, vous repartez depuis le camp de base avec une nouvelle bande de lézards inexpérimentés et presque totalement désarmés. Comment expliquer alors que lors de ma deuxième partie, j'ai littéralement roulé sur les deux premières régions, qui m'avaient donné tant de mal la première fois ? Tout simplement parce que mes personnages étaient chacun "équipés" de l'esprit d'un de leurs prédécesseurs, une sorte de fantôme reprenant les caractéristiques d'un personnage tué à la run précédente et s'additionnant à celles du novice. On commence donc avec quelques coups d'avance sur la faune locale. Plus on a été loin la fois d'avant, et plus on commence avec de gros muscles la fois d'après.
L'autre système de progression est celui lié aux accomplissements des expéditions passées. Plus vous avez réalisé d'exploits (tuer tel boss, atteindre tel niveau, arriver à créer un lézard particulièrement robuste…) et plus vous allez pouvoir piocher dans des compétences puissantes à chaque passage de niveau. Au bout de quelques aventures ratées, vos jeunes lézards vont ainsi pouvoir se "vêtir" de fantômes particulièrement puissants, les protégeant intégralement des monstres les plus faibles… et piocher des compétences de plus en plus craquées capables de dévaster le camp adverse.
Il en résulte un sentiment de progression particulièrement satisfaisant : à chaque expédition ratée, on sait que tout ce qu'on a accompli avant de trépasser va servir à nourrir une sorte d'intelligence collective permettant au peuple des hommes-lézards de s'en tirer infiniment mieux à la prochaine tentative. De plus, les différents événements aléatoires comme les péripéties scriptées sont beaucoup plus simples à anticiper, de même que les mauvaises surprises réservées par les boss et autres ennemis spéciaux. Ainsi, une fois qu'on a compris que tel embranchement du scénario est un piège ou que tel boss a la capacité de se téléporter à gogo, on a l'impression de pouvoir "casser" Aetheris en enjambant une à une toutes les embûches qu'il met sur votre chemin.
Quelques lézards dans la muraille
Paradoxalement, cette progression très satisfaisante fait ressurgir le principal défaut d'un jeu qui n'en a pas beaucoup : Aetheris propose des combats qui ont tendance à tirer à la ligne. Les affrontements se passent selon un système de tour par tour sur une grille faite d'hexagones, qui n'est pas sans rappeler les combats tactiques de la série Heroes of Might and Magic. Globalement très plaisants et vous demandant d'exploiter parfaitement vos compétences, ils sont cependant aussi terriblement longuets.
Aetheris mise énormément sur des systèmes d'amélioration et de destruction de compétences ainsi que d'attaques indirectes : on pose des pièges, on empoisonne, on réduit des jauges d'armure. Davantage que des confrontations brutales, il est plus souvent question ici de guerre d'attrition : un saignement infligé par ici, une réduction de la précision par là, et ainsi de suite jusqu'à terrasser des adversaires qui font souvent office de gros sacs de points de vie capables de s'enfuir à l'autre bout de la map pour se soigner ou vous attaquer à distance. Ce n'est généralement pas un problème : chaque combat est une forme de puzzle à résoudre, et la première fois que l'on rencontre un adversaire particulièrement retors, on prend plaisir à effectuer cette longue confrontation qui se gagne parfois d'un cheveu.
Sauf que la quatrième ou la cinquième fois que vous prendrez la route et que vous allez vous refarcir les gardiens des premiers biomes, vous allez tout de même devoir recommencer ces combats en entier. Et ce alors qu'ils ne sont plus que des formalités : les boss de bas niveau ne peuvent quasiment plus vous faire de mal, mais les abattre pourra tout de même vous prendre cinq à dix minutes. La faute à des cartes assez grandes, où les déplacements sont longs, un fait aggravé par des animations de combat parfois décomposées à l'extrême. Il arrive que la perfection se joue à l'absence ou à la présence d'un bouton "accélérer", voire d'un bouton "résoudre le combat automatiquement". Hélas, dans Aetheris, rien de tel. Juste des créatures ténébreuses qui marchent trop lentement, et mettent un temps fou à mourir.
Aetheris a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Son problème de combats interminables mis à part, Aetheris est une franche réussite, et probablement un des roguelites les mieux calibrés et équilibrés de l'année. À quelques mécaniques un peu baroques près, tout y est très instinctif et addictif. L'aventure est haletante, la progression bien pensée, et le tout est servi par une direction artistique aussi bizarre que réjouissante. Et puis, après tout, peu de jeux ont aussi bien réussi à vous faire vous attacher à des guerriers morts dans une run précédente, en les faisant veiller sur vous depuis l'au-delà. Je ne vais pas le cacher : la fois où le fantôme de mon healer s'est interposé face à un monstre redoutable pour sauver la vie de son successeur, j'ai un peu transpiré des yeux.
Les + | Les - |
- Direction artistique remarquable | - Combats souvent interminables |
- Système de combat parfaitement rôdé | - Certaines mécaniques un peu nébuleuses |
- Courbe de difficulté vraiment astucieuse | - Les premiers biomes perdent tout intérêt une fois qu'on a assez progressé |
- On s'attache aux personnages, y compris après leur mort |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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