Comme les précédents titres d'inkle, A Highland Song est une belle façon de jouer avec la narration dans le jeu vidéo. Ici, on court tout en se laissant porter par les paysages et tout ce qui les habite, dans un élan revigorant.
Avec trois jeux entre 2019 et 2021 (Heaven’s Vault, Pendragon, Overboard, et ce, sans compter la collection Sorcery! sortie sur Switch en 2022), on s’était habitué à avoir notre production inédite annuelle signée inkle, studio britannique décidé à faire partir le jeu narratif dans tous les sens. A Highland Song ne transige pas à la règle et infuse ses envies de mille-feuilles de récits dans un jeu d’aventure en 2D étonnant. On n’en attendait pas moins de ses créateurices.
Highland Her
Moira court. Elle se précipite par la fenêtre de sa chambre et laisse en plan sa mère, qui lui parlait depuis le rez-de-chaussée, pour filer à travers la campagne. Bientôt, les collines l’entourent, les vallons l’avalent et la recrachent, elle se glisse entre les arbres, contre les parois, s’accrochent aux herbes folles d’un coteau pour arriver tout en haut. Dans une semaine, il faudrait qu’elle ait atteint la mer, afin d’y rejoindre son oncle Hamish, gardien de phare. Sa dernière lettre lui disait de venir pour Beltane, jour qui marque le passage à la belle saison. Il n’y a donc pas de temps à perdre. C’est la première fois qu’elle fait le voyage, elle ne connait pas le chemin et est sans aucun doute du genre casse-cou, ce ne sera donc pas de tout repos.
Si l’on peut toujours glaner des informations sur la nature des productions d’inkle avant leur sortie, en jeu, la surprise est toujours au rendez-vous, car le studio va toujours un peu plus loin et différemment que prévu. L’objectif de A Highland Song étant de trouver un chemin qui nous rapprochera de la côte, on parcourt une suite de niveaux organisée par couches, en profondeur. Pour s’orienter, il sera nécessaire de grimper aux plus hauts sommets afin d’observer le paysage et déterminer à quel endroit pourrait se trouver le passage vers la couche suivante, toujours plus proche de la mer. Pour s’orienter, une très belle idée a été imaginée : des cartes schématiques sont à récolter ici et là, dans une vieille sacoche trouvée dans un refuge ou au fond d’une botte abandonnée contre un arbre. À nous de tenter de rapprocher les indications fournies aux paysages sous nos yeux, sachant qu’il faut parfois faire preuve d’imagination, entre les montagnes dessinées au bic bleu, les photos passées de journaux ou les croquis touristiques annotés avec une précision relative. Si les objectifs ne sont pas toujours simples à dénicher, on est rarement bloqué très longtemps, plusieurs issues étant présentes par niveaux, et les informations étant de toute manière distribuées à un rythme régulier.
Cette randonnée sera sportive, une donnée mesurée par une jauge d’énergie qui se vide au gré des chutes, des intempéries endurées et des nuits passées sous un arbre ou dans un abri à flanc de montagne. La dimension survie reste cependant légère, et n’est punitive que dans le sens où vider l’énergie de Moira allongera le temps de voyage d’une journée. Même en n’y faisant que peu attention, il existe suffisamment d’options pour revigorer la jeune fille et continuer son périple. L’arrivée au phare appellera sans doute à relancer une ou plusieurs autres runs, histoire d’arriver à temps pour le rendez-vous fixé au départ, car dépasser la limite prévue sera certainement un passage obligé. Lors de la première run, tout un tas d’interactions seront récoltées et utilisables dans celles qui suivent, à la faveur d’une direction prise plutôt qu’une autre, d’un objet ramassé auparavant, ou de l’augmentation de la jauge d’énergie de Moira à force de pratiquer l’alpinisme sans équipement. Reste à voir si le titre donne suffisamment envie de retourner dans les landes en courant.
Moira n'a pas la lande dans sa poche
A Highland Song est l’occasion pour inkle de s’essayer à une narration plus souple que par le passé, où les embranchements du terrain répondent à la richesse de ce qui est raconté. Au gré de notre marche, Moira se parle à elle-même, nous renseigne sur son passé et les relations qu’elle entretient avec sa famille. Puis à d’autres moments, c’est la voix de Hamish qui apparait, esquissant un conte, un fait historique ou une légende locale en quelques mots, dont la teneur est conservée dans notre carnet. À cela s’ajoutent les discussions obtuses avec les rares personnes errant dans ces contrées abandonnées, les paroles venues d’un autre temps portées par les rapaces, les histoires en creux dispersées sur plusieurs documents dont on tente de reconstituer le fil par morceaux. Une multitude de sources qui nourrit le paysage d’histoires, de vécus, jusqu’à la confusion à certains moments, tout cela s’enchainant dynamiquement (selon notre avancée) et à un rythme soutenu, comme la pluie qui ne cesse de tomber.
La course est le motif principal du jeu, celle en avant plus précisément, dans le sens où Moira ne se déplace qu’en courant. Soit elle s’arrête, debout pour reprendre son souffle ou assise afin de récupérer de l’énergie, soit elle se jette en avant, de toutes ses forces. Les animations du personnage retranscrivent totalement cela (il n’y a pas de mouvements de marche), tout comme les ponctuelles phases de rythme, où la jeune fille court aux côtés d’un cerf en suivant le rythme de la musique qui se déclenche devant une longue lande plus ou moins plate, dont la nature du terrain est décidée par le morceau en fond. Si on comprend l’envie de convoquer une énergie telle, pourquoi pas dans la lignée de La Solitude du coureur de fond (1962) de Tony Richardson, porteuse d’une vivacité qui bouscule la tendance un peu trop calme du jeu narratif, on sent s’installer comme une friction entre la nécessité impérieuse d’aller littéralement de l’avant et celle de prendre le temps de se laisser habiter par ce qu’on nous raconte, par les mots, les paysages ou la musique. Peut-être que ce sentiment est dû aux conditions du test, mais aussi à la longue, et en particulier lors de sessions de jeu étendues, cet élan se confond parfois avec de l’empressement.
Pour autant, inkle réussit vraiment à créer une bulle autour d’une certaine idée de la culture écossaise, cette fameuse chanson des hautes terres, et, encore au-delà, de la rencontre entre l’appréhension d’un monde par ses représentations et la pratique qu’on en fait, concrètement, de ses yeux et genoux écorchés. Apportant un peu de statisme bienvenu à ce périple, la mécanique des cartes schématiques à rapporter aux paysages illustre fort bien ce riche point d’accroche entre l’imaginaire et le réel, et ce qui circule entre les deux : des vécus qui se transforment en légendes, des légendes qui marquent une langue, cette langue qui définit les lieux. Et la musique, évidemment, partagée entre les compositions profondes de Laurence Chapman et celles de TALISK et Fourth Moon, deux groupes de folk écossaise. Travailler ce lore par l’arpentage des lieux est une superbe idée, d’autant plus que la présence corporelle de Moira est très bien travaillée, entre ses animations d’efforts physiques et un très gros travail de sound design sur le souffle. Celui du vent, également, qui, mêlé au bruit de la pluie qui tombe dru pour la quatrième fois de la journée, nous surprend, alors qu’on râle et qu’on ressent le voyage avec presque autant d’intensité que peut le faire notre héroïne.
A Highland Song a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Switch.
Inkle ne choisit jamais la facilité et, en ce sens, A Highland Song ne fait pas exception. La part d’incontrôlable insufflée par la narration dynamique rencontre avec succès l’exploration des landes écossaises, habitées par nombre de récits romantiques. Si on ressent une certaine tension entre le désir d’aller vite et la nécessité de prendre le temps afin d’être imprégné par l’ambiance, les sensations procurées sont celles qu’on imagine vécues par Moira : excitation, plénitude, bonne fatigue. Une expérience enjouée, aussi chaotique que rigoureuse, qui traduit une envie de se renouveler précieuse.
Les + | Les - |
- Une ambition inédite pour un jeu narratif | - La synergie entre vivacité et calme aurait pu être plus fine... |
- Les cartes dessinées à la main, une mécanique très réussie | - ... ce qui joue sur l'envie d'enchainer les parties |
- Un style graphique dessiné d'un bel effet | - Les lieux déjà identifiés devraient apparaitre pour faciliter l'exploration dans les runs suivantes |
- L'ambiance, notamment grâce à la musique et au sound design |
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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