Soldats Inconnus avait réussi à faire sensation lors de sa sortie en 2014. Il parvenait à raconter la Première Guerre mondiale d’une façon unique pour le jeu vidéo (déjà que le nombre de projets basés sur cette période n’était pas bien grand) : privilégier le côté humain à la tuerie de masse. Après le succès du titre, son réalisateur, Yoan Fanise, a décidé de quitter Ubisoft Montpellier pour monter son propre studio, DigixArt. Un studio qui affiche ses ambitions dès qu’on entre sur son site officiel : « Nous mettons toute notre expertise dans la création d’expériences émouvantes et qui veulent dire quelque chose ». Et donc a débarqué dans nos contrées le 10 novembre dernier 11-11 : Memories Retold, leur nouvelle création qui reprend la Grande Guerre comme terrain d’expression. Encore une fois, l’humain est mis en avant mais ce coup-ci avec une touche artistique qui risquera d’en déstabiliser plus d’un.
11-11 : Memories Retold est ce que l’on pourrait appeler un jeu narratif. Il nous fait suivre l’histoire de Harry et de Kurt pendant les dernières années de la Première Guerre mondiale. Harry est un photographe canadien. Il a décidé de s’engager dans l’armée et de partir sur le front européen pour impressionner la femme dont il est amoureux. « Les filles aiment le costume » lui a dit le major Barrett avant qu’il ne s’engage.
Kurt, lui, est un ouvrier allemand travaillant dans une usine de zeppelins. Lorsqu’il apprend que l’unité de son fils a disparu, il s’enrôle dans l’armée du kaiser pour essayer de le retrouver le long du gigantesque front français. Si ces deux personnages sont opposés par absolument tout dans la vie, ils finiront tout de même par se rencontrer à plusieurs reprises dans les mois qui composent leurs déambulations hésitantes et horrifiées au milieu des morts, des cratères et du plomb.
J’aime qu’on me laisse en plan
J’ai découvert 11-11 : Memories Retold lors de la Gamescom 2018. J’avais tout de suite été happé par la direction artistique choisie par le studio français DigixArt. Une DA au style rappelant les grandes fresques impressionnistes du 19e siècle. Le jeu entre les mains et les quelques heures passées sur l’histoire m’ont définitivement conforté dans mon premier avis : oui que c’est beau ! 11-11 nous propose, tout au long de son aventure, des plans composés à la perfection, faisant ressortir des éléments du décor par des jeux de lumière et de particules vraiment réussis. Que ce soit Harry piégé dans une tempête sur un dirigeable, un oiseau qui vole au-dessus du no man’s land ou la simple campagne allemande, une majorité des niveaux qui nous sont présentés sentent bon le souci du détail et de la poésie malgré le conflit dont le jeu traite.
Et ce que je ne vous ai pas encore dit, c’est que DigixArt a fait appel, si ce n’est aux meilleurs parce que cela dépend vraiment des affinités de chacun, disons plutôt, à de véritables experts du graphisme et de l’animation : Aardman Animations. Eh oui, carrément le studio qui a travaillé notamment sur les Wallace & Gromit. Attention cependant, je suis bien conscient que cette DA ne trouvera pas du tout son public de partout. Elle peut paraître, au premier abord, grossière, plutôt brouillonne ou simplement inutilement complexe à d’autres. Mais chez moi ça marche. Et je suis d’autant plus content de voir un tel travail sur un jeu vidéo. J’ai pu lire dans un article que cette DA servait de cache misère à une production sans beaucoup de sousous et que derrière, se cacherait un titre vraiment pas au point techniquement. Alors oui, les animations des personnages et leur visage lorsqu’on s’approche ne sont pas de cette époque. Mais pour moi, la DA choisie sert totalement ce que veut raconter l’histoire de 11-11 et je pense qu’elle n’aurait pas eu un tel impact si justement le studio s’était contenté de graphismes pseudo réalistes.
Dérapage narratif
Je parle ici d’impact que le jeu a eu auprès de moi. 11-11 : Memories Retold avait pour ambition de raconter la guerre autrement, en se focalisant sur les êtres humains piégés au milieu des balles, subissant la mort et la maladie pour un conflit qui les dépassait souvent. Pour cela, le studio est allé chercher deux acteurs de classe mondiale : Elijah Wood pour Harry et Sebastian Koch pour Kurt. Leur objectif : nous impliquer, à travers leur voix off (ils ne parlent que rarement dans le jeu en lui-même), lorsque l’un lit une lettre à sa femme ou que l’autre écrit à son amie au pays, dans ce que ressentent nos deux personnages à mesure de leur avancée et de leurs découvertes dans le conflit. Des tons qui se veulent assez graves mais que je n’ai pu m’empêcher de trouver… faux ? En tout cas je n’ai pas pu ressentir véritablement les émotions qu’essayait de nous véhiculer le jeu par ses personnages et leurs histoires et c’est bien dommage et je pense que le jeu d’acteur y est étonnamment pour quelque chose. Cette histoire d’ailleurs, je vous laisserai la découvrir par vous même car je ne m’étalerai pas dessus.
La musique, créatrice d’émotion depuis…
En revanche, là où 11-11 m’a pris aux tripes et a fonctionné, c’est par tout le reste. L’aspect graphique d’abord, comme je vous ai expliqué plus haut, qui nous dépeint des paysages véritablement magnifiques, même lorsque ce sont des paysages de mort, mais aussi l’aspect musical. Toute la musique du jeu a été confiée à Olivier Deriviere, compositeur français notable ayant notamment travaillé sur Remember Me ou le récent Vampyr. Et quel travail ! Les compositions orchestrales sont d’une justesse diabolique et correspondent extrêmement bien aux actions présentées à l’écran, comme un morceau héroïque, enthousiaste et un brin enjoué qui accompagne la première charge de Harry, encore jeune naïf, dans le no man’s land face aux mitrailleuses allemandes.
L’utilisation de chœurs est absolument sublime et a transformé mon expérience de la scène de fin du jeu qui, s’il n’y avait pas eu ces compositions, m’aurait laissé une main sur le menton, le regard en l’air, me demandant ce que je venais de vivre et si j’avais apprécié. Chaque personnage, que ce soit Harry, Kurt ou même le chat qui accompagne l’allemand ou l’oiseau qui suit le canadien tout au long de l’aventure, a droit à son thème musical, apportant une meilleure identification à ceux-ci et une meilleure compréhension de leur état d’esprit.
Il n’y pas forcément besoin d’aller plus loin, dans le décorticage de 11-11 : Memories Retold, pour vous expliquer que ce jeu m’a plu. Malheureusement, il m’a plu pas forcément pour les mêmes raisons que ne l’aurait voulu le studio français. Ce sont les décors, la direction artistique et la musique qui ont fait de cette expérience un succès et qui m’ont marqué, et non pas l’histoire qu’à voulu me conter le jeu. Pour moi, 11-11 est un excellent jeu narratif mais qui se regarde, qui s’admire, tant avec les yeux qu’avec les oreilles, plus que ne se vit à travers la narration écrite. Et c’est dommage car il y avait vraiment de bonnes idées mises en place pour nous investir pleinement.
Des idées pas concrétisées
Mais aucune d’elles n’exploite le plein potentiel de ce qu’elles auraient pu être. Par exemple, les transitions entre les deux personnages qui font une action au même moment sont bienvenues, mais souvent, on nous amène de force vers l’un alors que l’on n’a toujours pas vraiment compris ce que l’autre faisait. Idem pour le chat et l’oiseau qui, s’ils apportent de la douceur et un petit effet calmant, ne font office au final que de simples accessoires servant à aller à des endroits inaccessibles pour faire tomber par terre des fragments de documents que l’on peut collecter (ce n’est pas leur seul but évidemment, mais j’ai eu cette impression).
Kurt, qui écrit des lettres à sa femme et à sa fille tout au long de la guerre pour les tenir au courant de ses recherches de son fils, doit parfois prendre (donc nous devons prendre) la décision d’écrire telle ou telle phrase dedans. Doit-il leur mentir sur l’état d’avancée de ses recherches ? Doit-il plutôt aborder l’horreur de la guerre ou sa rencontre fortuite avec un chat dans les tranchées ? Le jeu nous dit que faire ces choix aura un impact dans l’histoire, mais jamais je n’ai ressenti ce qui aurait pu se passer différemment si j’avais pris une autre décision (bon, ok, sauf à la fin).
Ce sont ces petits détails qui au final me laissent un peu dubitatif. Oui, je l’ai dit, ce jeu m’a plu, mais selon mes propres goûts et en dehors de la réelle volonté du studio (il me semble). Donc est-ce que je le conseillerais ? Oui, évidemment, ne serait-ce que pour la façon dont il montre la Première Guerre mondiale et pour son parti pris esthétique. Mais est-ce qu’il vous plaira si vous recherchez une histoire profonde et qui vous prend aux tripes ? Ça c’est moins sûr…
Benjamin "Noodles"
Faire des jeux de mots c’est mon dada. J'aime bien tous les jeux aussi. Sauf les mauvais ou ceux qui nous prennent pour des glands.
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