Il y a des jeux qui restent en mémoire pour leurs qualités (beau, novateur, bonnes musiques, bonne ambiance, bon scénar, bon gameplay…), et d’autres pour leur symbolique, le moment de vie pendant lequel on y a joué. Vagrant Story, c’est tout ça ensemble pour moi.
Vagrant Story : mon rituel de passage à l’âge adulte
A l’été de l’an 2000, mes 18 ans en poche mais pas encore mon bac, je craquais mes petites économies pour remiser ma SNES au placard et investir dans la PS One. La PS One, c’était la console des grands. J’avais 18 ans, j’étais grande. J’en étais persuadée, tout du moins (petite pensée émue pour cette fillette que j’étais…).
Je me souviens d’être entrée dans une petite boutique de jeux vidéo du fin fond des Vosges, celles qui ont quasiment toutes disparues de France depuis. J’avais les yeux qui brillaient, ma mère qui était avec moi parce qu’elle voulait découvrir mon monde regardait cette caverne d’Ali Baba comme si on venait de la TP dans une autre galaxie, et je suis quasiment sûre que le vendeur ressemblait à Jeff Albertson. Ce dernier point serait à vérifier, mais enfin, c’est mon histoire, j’y mets un peu ce que je veux.
Bref ! Je me suis avancée vers Jeff avec une assurance mal maitrisée, et je lui ai demandé une PS One, avec un jeu qui ressemblait à Zelda ou à Secret of Mana s’il y en avait. Il a souri, bien sûr. Une fille qui voulait l’équivalent de Zelda sur PS One… Mais il a été gentil, et il m’a conseillée Vagrant Story, un jeu qui venait tout juste de sortir (le 21 juin 2000).
Il m’a dit : « Attention, c’est un jeu assez dur. Tu ne pourras pas découvrir la map du premier coup, il faudra le refaire plusieurs fois si tu veux tout voir. Des passages secrets s’ouvrent uniquement quand tu as vaincu le dernier boss ». Et moi, avec toute la morgue que confère la jeunesse, je lui ai répondu : « Vous inquiétez pas, ça va le faire ! ». Eh ! Ma mère était là ! Il ne serait pas dit devant elle que je ne tordrai pas le cou à un jeu vidéo !
Et je suis repartie avec mon Précieux sous le bras.
Ce moment… Ce moment où j’ai déballé la console, que je l’ai branchée sur la petite télé de ma mère… Où j’ai ouvert le boitier du jeu et où j’’ai inséré le CD… Eh bien je ne m’en souviens plus. En revanche, je me souviens d’avoir été sur un petit nuage tout le long du retour chez ma mère. J’avais ma console d’adulte ! J’avais un jeu d’adulte ! J’étais adulte ! Obligé ! Et je me souviens aussi de la chaleur qui régnait dans la chambre située sous les toits, de la moquette premier prix qui piquait mes genoux pendant que je faisais les branchements, du sentiment de puissance et de liberté… Ça, oui, c’est resté ancré.
La claque quand j’y ai joué
Jouer à Vagrant Story, c’était comme le fait de quitter l’enfance et le giron familial pour se lancer à l’assaut de la Vie, sans filet de rattrapage. Exit le confort chatoyant et acidulé de Secret of Mana. Exit la zenitude de Zelda A Link to the Past. Bien sûr, j’avais tenté un FF sur SNES, mais l’arrivée impromptue des combats m’avait vite stressée, et perdre la manette à cause de sursauts trop violents m’a vite découragée. Surtout, ça n’avait rien à voir.
Les graphismes de Vagrant Story, tellement polygonés maintenant, étaient une révolution pour l’époque. Et l’ambiance tellement dark ! Incarner Ashley, c’était autre chose que d’être Link. J’étais dans la peau d’un homme très torturé, très violent, puissant, et avec une coupe de cheveux à antennes bizarre, mais ça ne me dérangeait pas. Au contraire. Après tout, j’étais un garçon manqué : j’en éprouvais donc une certaine fierté.
Et quand j’ai eu les premiers combats… Alors là… Alors là !!! Ce combat contre un minotaure : le jeu se met en pause, avec une sorte de filigrane vert qui entoure la cible avec un découpage et des pourcentages associés, et on doit choisir l’endroit de l’ennemi où ça va faire le plus mal, ou celui qui va l’affaiblir par la suite, etc, le tout accompagné d’une gestion du stress qui engendrait plus de dégâts quand il était élevé, mais réduisait la précision. Très réaliste, ce dernier point. Très réaliste.
Ensuite, toutes les armes qu’on lootait, on pouvait les désassembler, et réassembler les bouts pour up une arme ou en créer une autre. Uniquement quand on trouvait des forges, bien sûr. L’ancêtre des métiers dans les RPG.
Faut dire qu’il n’y avait pas de pnj. Tout se passait dans des caves sinistres où il fallait espionner des conversations et tuer des gens pour mettre à jour un complot contre moi et la couronne, avec des intégristes religieux et tout et tout. Enfin, je dis « moi », mais plutôt contre Ashley, hein. Mais vous voyez ? J’écris dessus, je suis à nouveau dedans. La puissance de la nostalgie et des bons jeux…
Plus qu’une révolution : une révélation !
A un moment donné, je me suis retrouvée à l’air libre, près d’une magnifique église. Les décors étaient inspirés des contrées françaises de Saint-Emilion et de Paris. C’était très immersif, du coup. Très Français.
Surtout que cette partie du jeu, au final, j’y suis arrivée quand j’ai quitté ma ville natale un an plus tard pour continuer mes études à Nancy (oui, c’était trop dur, j’ai abandonné le jeu pendant un an pour jouer à Suikoden II, plus dans mes cordes, une transition plus douce de mon enfance vers l’âge de raison aussi). J’habitais alors dans un quartier avec une église qui ressemblait un peu, surtout de loin, à celle du jeu. L’imaginaire prenait le pas sur la réalité, c’était une drôle d’expérience.
Il y avait aussi ces musiques, qui, par moment (surtout une), me rappelait Legend, un film culte de mon enfance avec Tom Cruise (jeune), de la magie, des dragons… Ces décors qui se rapprochaient de mon univers réel… Le sentiment d’angoisse du jeu faisait écho à l’angoisse de la liberté totale que j’éprouvais irl…
Voilà pourquoi Vagrant Story est resté dans mon esprit. Ça a été pour moi une véritable révélation. Le jeu vidéo peut être dur, la vie en solitaire peut être dure. Mais le jeu vidéo offre une expérience d’évasion unique dans un monde enchanteur, et la liberté apporte de magnifiques cadeaux à qui sait l’apprivoiser.
Pour la petite histoire, je n’ai jamais terminé ce jeu. Il était trop dur. J’ai même téléphoné à la hotline qui donnait des solutions pour avancer. Eh oui ! Il n’y avait pas encore Internet partout, il fallait faire la queue pour accéder à un ordinateur à la fac, et combien même, ce n’était pas ouvert à minuit. Il était pourtant évident qu’il fallait que je trouve la solution TOUT DE SUITE. Foutue ville fantôme. A moins que ça n’ait été pour sortir de la forêt ?
Quoi qu’il en soit, ce coup de fil m’a coûté un bras, mais ça m’a servi de leçon : la solution était simple et si j’avais été plus attentive, je l’aurais trouvée sans perdre autant d’argent. Autant dire que maintenant, je savoure Internet, et je fais attention aux recoins dans les jeux !
Il est en tout cas hors de question que je joue à un remake ou à une version remasterisée. Je crois qu’il y a eu une version sur PS3, mais… Vagrant Story est arrivé à un moment donné de ma vie, et, si je suis heureuse d’avoir goûté ces saveurs, je sais que quoi qu’il arrive, je ne les revivrai plus. Et c’est tant mieux ! Et merci Square, Yasumi Matsuno, et Hitoshi Sakimoto pour ces instants merveilleux.
bob thebob
Mes parents ont trouvé ça drôle de m’appeler Bob, notre nom de famille étant Thebob. Ça vous en bouche un coin ? Moi pas. Pour une raison simple : je n'en ai pas, de coin. Du coup, même si je
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