Cette fois-ci dans Partie Rapide, Noodles vous parle de The Mooseman, petit jeu russe à but pédagogique et Fanny de Behind Every Great One, jeu gratuit qui aborde la question de la représentation des femmes au foyer.
The Mooseman
Sorti l’année dernière sur PC, The Mooseman est un petit jeu développé par une équipe spécialement conçue par la ville russe de Perm. Une ville que l’on ne dira pas qu’elle est perdue au milieu du plus grand pays du monde mais un peu quand même. La ville se situe sur les terres de vie du peuple Komi depuis quelques centaines d’années. Un peuple ancien donc, disposant de sa propre histoire et de sa mythologie. C’est celle-ci que The Mooseman espère nous faire découvrir à travers son aventure contemplative en 2D. J’ai pu essayer la version Switch sortie au début de l’été. Une version très honnête, si on enlève quelques manques graphiques handicapants.
Le joueur incarne tout au long de cette courte aventure un homme élan (d’où le nom du jeu oui oui oui !), sorte de demi dieu capable de percevoir le monde des esprits et le monde des vivants. Nous parcourons la Russie d’antan pour retracer la mythologie du peuple Komi. Et dis donc qu’elle est glauque cette mythologie ! Bien que les animaux et la nature soient absolument au centre de ces mythes, tout n’est que mort, esprits ténébreux et destruction. En cela le jeu assure un travail de suivi très fouillé et réussi. Avec sa direction artistique toute en peintures et aux tonalités grises, blanches et noires la plupart du temps, The Mooseman nous dépeint visuellement cette part de sombre.
En arpentant les terres russes, le joueur devra résoudre quelques puzzles pas bien méchants en utilisant le gameplay très simple du jeu. D’une pression d’un bouton on passe dans le monde des esprits et de nouvelles choses apparaissent à l’écran, comme un pont ou des êtres étranges prêts à nous aider, ou à nous tuer. Encore une pression, et on retrouve le monde des vivants, plus simple mais pas moins dangereux. Voilà pour la feature principale de The Mooseman, mais d’autres viendront étoffer légèrement le tout. Pas de quoi sauter au plafond et, comme dit plus haut, il s’agit principalement d’une aventure qui se veut contemplative et pédagogique plus qu’autre chose.
Le reste du temps, dans cette aventure très courte, on marche au milieu de décors sobres mais immenses fort bien peints et inspirés. Le jeu se permet même quelques courts moments vraiment jolis, ponctués par des musiques très réussies évidemment inspirées de l’histoire locale. En parlant de graphismes et de trucs jolis, je me dois d’aborder le fait qu’il manque tout de même quelques effets sur la version Switch, comme les rayons de lumières. On peut se dire, comme ça, que ce n’est pas un manquement bien grave, mais toute une phase du jeu repose sur ces rayons et je peux vous garantir que leur absence se fait très bien sentir et entraînera bon nombre de retry.
Mais à part ça et des sous-titres vraiment trop petits, ainsi que des passages parlés en russe mais non traduits (du coup je ne sais pas ce que ça racontait), il faut avouer que The Mooseman, malgré des débuts un peu poussifs, se laisse agréablement parcourir. C’est beau, c’est mystique, et tout le jeu est développé dans cette optique de nous en apprendre plus sur ce qui a façonné l’histoire des Komi. Qu’on s’intéresse ou pas à l’Histoire, le contrat est plutôt bien rempli.
Behind Every Great One
Quand Deconstructeam, studio connu pour avoir fait The Red Strings Club, a annoncé sur son Twitter avoir amélioré l’un de ses projets de jam et le rendre disponible gratuitement sur itch.io, tout le monde s’est jeté dessus, à raison. The Red Strings Club a plu à beaucoup de gens et même si personnellement je regrette certaines facilités dans les thèmes abordés, il faut reconnaître que le titre était mieux écrit que la plupart des choses qui sortent aujourd’hui. Du coup, moi aussi j’ai suivi la tendance et me voilà à vous parler de Behind Every Great One, après à peu près tout le monde.
Simulateur de femme au foyer
Je savais à peu près à quoi m’attendre quand j’ai lancé Behind Every Great One : un artiste fou de son travail laissant toute la charge mentale à sa femme, chargée de tenir le foyer. Et pourtant, dès les premières minutes, j’ai été surprise par la violence du titre. Le principe est simple : il suffit de visiter les différentes pièces de la maison et d’interagir avec les divers objets pour réaliser des tâches ménagères ou juste prendre du bon temps. Mais à chaque fois, le temps passera de la même façon et on se rend très vite compte qu’il y en a peu dans la journée de Victorine. Alors que le premier jour, on aura tendance à sélectionner un peu tout pour tester des choses donc lui faire fumer une cigarette, regarder la télé ou lire un livre, on regrettera bien vite nos actions lorsque Gabriel, son mari, énumérera toutes les tâches ménagères qui n’ont pas été accomplies pendant ce temps-là. Chaque remarque devient rapidement un reproche voilé, dit de façon détourné mais tout de même assez violemment. Du coup le deuxième jour, on essaie de faire un peu mieux, de nettoyer la salle de bain, de faire un bon dîner et on se rend rapidement compte que l’on est tombé dans le piège du jeu : même si on essaie de bien faire, on n’aura jamais assez de temps pour tout et surtout, Victorine se sentira de plus en plus mal, pleurant chaque matin.
Alors que faire ? Passer la journée à se distraire pour se sentir mieux, quitte à se prendre une avalanche de remarques par la suite ? Essayer de faire du mieux qu’on peut, même si on sait que rien ne sera jamais assez parfait pour Gabriel et que Victorine risque d’en être détruite ? Sans oublier qu’à côté de ça, son mari lui reprochera de fumer, de ne pas avoir d’ambition, d’essayer de rentrer dans son studio dans la journée et du coup de ruiner son œuvre… Les choses iront de mal en pis avec l’arrivée de sa belle-famille et notamment sa belle-mère, qui continuera de propager tous les clichés sur les femmes au foyer et les femmes en général, faisant probablement peser sa propre situation sur les épaules de Victorine, jamais assez parfaite pour son fils. Quand Victorine déclarera ne pas vouloir d’enfant, elle sera jugée de la même façon que sont jugées toutes les femmes qui font ce choix : elle n’est pas une vraie femme, ça lui viendra et puis son horloge biologique lui imposera d’en faire un de toute façon, c’est « naturel » pour une femme de vouloir être mère.
Tout est poignant dans ce titre : la dépression de Victorine illustrée parfaitement par le changement des pièces et de la perspective, la répétition des tâches quotidiennes, l’impression d’avoir perdu du temps en faisant quelque chose de plaisant, les remarques assassines lâchées à chaque dîner, les sollicitations sexuelles incessantes de son mari, qui essaie de négocier quand elle ose lui dire non, comme si le sexe était l’un de ses devoirs de femme au foyer, l’une de ces tâches à répéter tous les jours alors même qu’elle ne le veut pas. Behind Every Great One n’est pas subtil mais de la bonne façon : chaque dialogue est un coup de poing supplémentaire, on plonge en même temps que Victorine et on ne peut pas s’empêcher de penser à chaque femme que l’on connaît qui a eu à subir ça et qui a été considérée comme paresseuse parce qu’elle ne travaillait pas, parce qu’elle avait osé passer son après-midi devant la télé alors même qu’elle était la seule chargée de tenir le foyer au quotidien.
Behind Every Great One, tout en étant un tout petit jeu, touche beaucoup plus juste que The Red Strings Club dans les sujets abordés et est un parfait exemple de ce que doit être le jeu vidéo quand il se veut engagé. Aucun compromis n’a été fait et rien n’est épargné au joueur, même si ça doit le mettre dans une posture désagréable. Sachant qu’il est en plus gratuit, je conseille à chaque personne de le faire, ne serait-ce que pour comprendre un peu mieux ce qui se passe pour les femmes au foyer qui le sont juste pour laisser à leur mari la latitude pour réussir.
Benjamin "Noodles"
Faire des jeux de mots c’est mon dada. J'aime bien tous les jeux aussi. Sauf les mauvais ou ceux qui nous prennent pour des glands.
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