Cette fois-ci, dans Partie Rapide, Zali vous parle de Storm Boy, adaptation vidéoludique minimaliste d’un classique de la littérature enfantine australienne, et Seastrom rend son premier papier pour TPP en attirant votre attention sur Lost Constellation, jeu-prologue à Night In The Woods.
Storm Boy
A moins que vous ne soyez un ancien écolier australien lecteur assidu du Pixel Post, il est peu probable que vous ayez lu le roman Storm Boy. Succès monumental de la littérature enfantine australienne publié par le romancier et pédagogue Colin Thiele en 1964, ce roman narrant l’improbable et mélancolique amitié entre un petit garçon et un pélican sauvage au sud de l’Australie a connu un succès national incontestable et plusieurs adaptations en film et au théâtre, sans pour autant parvenir à franchir les (certes vastes) frontières de son pays. A l’automne dernier, l’éditeur australien du livre annonçait une adaptation sous forme de jeu vidéo de Storm Boy par le studio Blowfish, parallèlement à la production d’un nouveau film à gros budget -selon les standards locaux- attendu pour 2019 dans les salles de cinémas locales. Problème : les quelques fois où l’on a entendu les équipes de Blowfish parler du projet, elles ne semblaient elles-mêmes pas spécialement à l’aise avec le développement du jeu. Et pour cause, moins qu’un jeu, Storm Boy est surtout un livre à peine interactif.
Un livre qui se regarde sans se lire ni se jouer
Tout au long des quelques dizaines de minutes (ouch) qui composent Storm Boy, nous assistons à une version réinterprétée du classique de Thiele, consistant à faire avancer un petit garçon sur une plage de gauche à droite, d’infobulle en infobulle, chacune étant une citation illustrée d’un passage du livre. Les différents messages manquent d’ailleurs souvent de liant logique, tant le jeu part du principe que vous connaissez déjà le roman qu’il adapte.
Parfois, un message vous donnera l’opportunité de rentrer dans un mini jeu (voler dans le ciel, nourrir des oiseaux, sauver un marin…), toujours minimaliste et toujours sans objectif précis autre que se déplacer dans un tableau ou bien viser un résultat quelconque, et recommencer à l’envie. Des interactions qui se confinent à un minimalisme si complet qu’elles en feraient passer les boîtes de dialogues de feu Telltale pour des sommets d’inventivité.
Dommage que tout cela ne soit pas servi par une direction artistique particulièrement appuyée. Ni beau ni moche, manquant de souffle poétique, Storm Boy ne donne pas vraiment envie de découvrir l’ouvrage, ni ne parvient à toucher la corde sensible qu’il devrait faire vibrer. Car sans spoiler, le roman aborde des thématiques un poil sombre, telles que la séparation, l’abandon, la disparition de la vie sauvage australienne, la mauvaise parentalité ou encore la déscolarisation, autant de points que le jeu peine à restituer avec l’intensité qu’il devrait. Les décors se traversent de manière un peu plate et indifférente, sans jamais trouver le ton adéquat ou nous faire ressentir de l’attachement pour le petit Storm Boy ou son fameux pélican Mr.Percival.
Storm Boy parlera surtout aux instituteurs australiens
Lu et étudié dans les écoles australiennes, le roman pourrait, à la faveur de la nouvelle adaptation en film avec Jai « Captain Boomerang » Courtney et Geoffrey « Gods of Egypt » Rush, retrouver une seconde jeunesse et se retrouver de nouveau disséqué et analysé à l’aune de la société australienne du XXIè siècle. En cela, le jeu Storm Boy me semble être un parfait compagnon pour des enfants qui auraient déjà étudié le roman, une sorte de complément pédagogique et interactif, comme tant d’applications destinées à la jeunesse.
Directement porté par l’éditeur du livre, il me semble avoir avant tout une vocation de promotion et d’édification, davantage qu’une visée vidéoludique. Il est évident que le studio Blowfish ne savait pas très bien quoi faire avec cette commande, et a livré une copie très propre mais très convenue qui n’est rien d’autre qu’un enchaînement de moments choisis mis en scène avec un peu de paresse. Ajoutez à cela l’absence de traduction en français (un point commun avec le livre, qui demeure inédit en France), et vous obtenez un titre qui, à mon sens, ne concerne absolument personne sous nos latitudes. Dommage : l’idée de faire découvrir par le média vidéoludique une oeuvre littéraire reste pertinente, et au fond, Storm Boy s’en sort en la matière tout de même mieux que Shadow of Mordor.
Storm Boy n’est pas tout à fait un jeu, mais plutôt une collection de vignettes plus ou moins jouables mettant en scène les moments les plus connus d’un livre pour enfants australien totalement inédit en Europe. Quelque part entre la companion app pour enseignant créatif et trailer pour un film en prise de vue réelle qui sortira dans quelques semaines en Australie, Storm Boy est trop loin du jeu vidéo pour être jugé comme tel. Il me semble cependant que la totale confidentialité de l’oeuvre sous nos latitude en fait un objet un peu dispensable pour les gamers français, même ceux qui voudraient découvrir le roman, dont cette adaptation reste une déclinaison très fragmentaire et elliptique.
Storm Boy a été testé sur PC, via une clé fournie par l’éditeur.
Lost Constellation
L’hiver arrive doucement. Alors on s’est dit que sortir les manteaux molletonnés, les tasses en forme d’ourson et un jeu adapté à la saison serait une bonne idée. Du coup, un nez dans le placard à jeux plus tard, Lost Constellation s’est révélé comme le compagnon idéal des après-midi à attendre la neige tomber, un plaid sur les genoux. Sorti en décembre 2014, il fait office de prologue, aux côtés de Longest Night, à Night In The Woods, qui sortira à peine plus de deux ans plus tard. Quelle idée de faire d’un jeu si court et limité, en accès libre qui plus est, une expérience si aboutie.
Quiet kid, I’m starting over here
Pour s’occuper lors de la plus longue nuit de l’année, difficile de cracher sur une histoire avant d’aller au lit. Parce qu’un casse de la banque locale, ça s’organise, et que là, on manque un peu de temps. C’est en tout cas ce que se disent Mae et son grand-père. Et pour rajouter du piment doux au chocolat chaud, une histoire de fantôme fera fort bien l’affaire : Adina, une astronome, arrive dans une région neigeuse et isolée en quête d’un visage connu et d’une étoile perdue. Pour arriver à ses fins, elle doit traverser une forêt qui va s’avérer plus étrange que prévu, et décide de demander au dieu sylvestre des environs l’autorisation de passer.
La première intelligence du jeu d’Infinite Fall, studio fondé par Alec Holowka (Aquaria) et Scott Benson, rejoints pour l’occasion par Bethany Hockenberry au scénario, se décèle dès les premiers instants dans cette volonté de placer le joueur/la joueuse aux manettes de ladite histoire, à la fois auditeur et moteur de l’action. Mae et son raconteur de papi interviennent de temps à autre, sous l’impulsion de la petite comme peuvent s’investir les enfants, une irruption du réel dans la fiction, mais l’autonomie vis-à-vis du récit pré-dodo est prégnante. Pas de narrateur qui viendrait souligner ou introduire les événements dans une logique de mise en scène trop fabriquée, ceux-ci se présentent bardés de leur bizarrerie entière et franche, appelant à l’intuition comme cheffe de rang. Et ce point de vue, qui laisse ouvertes aux interprétations les péripéties, de faire écho à la finesse de ce qui se déroule sous nos doigts, yeux et oreilles.
Lost Constellation peut s’apparenter à un jeu d’aventure dont l’ampleur narrative et sensible se déploierait à rebours de celle du gameplay. Les actions possibles sont peu nombreuses : ramasser et lancer des boules de neige pour actionner un mécanisme (le fameux « effet »), fabriquer un bonhomme de neige (comprendre lui faire une tête d’abord tout à fait conventionnelle puis soumise aux aléas de notre créativité farfelue). Activités et autres mystères ne se dresseront pas contre le joueur mais le guideront petit à petit car, dans la forêt où se risque Adina, ni chemin, ni objectif, ni linéarité. Avancer, c’est se perdre entre les arbres sur une couche de neige onduleuse, et si l’on croise de nouveau un totem ou une création enneigée de notre crû, on ne saurait dire si c’est par magie ou égarement. Au fil de la marche, les choses changent, et on se dit que le cor que l’on vient de ramasser servira bien à quelque chose.
Patience N’oubliez-pas-Dieu
Si l’on parle aisément du gameplay comme de la sève d’un jeu vidéo, Lost Constellation remet le dialogue au centre de celui-ci. Les choix drastiques et utilitaristes des roues de dialogues laissent place au plaisir simple de faire durer la conversation, de relancer avec malice son interlocuteur, prenant des détours, encore, avant d’arriver à ce qui fera s’ouvrir le récit. La galerie de personnages dont Adina fera la connaissance y est ainsi pour beaucoup dans l’ambiance douce, parfois ironique et toujours sincère. Sans rien vouloir divulgâcher, le titre de cette partie de l’article s’avère être le nom d’un des individus que l’on croisera. Chacun d’eux brille d’une lumière particulière, apportant à l’astronome des propos éclairés ou voilant ses repères, déjà bien nébuleux. Comme pour Mae et son grand-père, dire, raconter est une histoire en soi, et parler avec quelqu’un, qu’il nous envoie paître parce qu’on fait rentrer le froid chez lui, ou qu’elle essaie de nous aider alors qu’elle ne peut pas bouger d’un pouce, c’est déjà aller de l’avant. L’histoire en marche, pourrait-on dire dire, et Thoreau en serait bien aise.
Participants intégrants de cette ambiance sibylline pourtant familière, la direction artistique et la musique nourrissent avec justesse un ensemble qui charrie le motif du conte. Décors et personnages évoluent sous une ligne claire et des aplats de couleurs, que font mentir quelques dégradés et sources de lumière irradiante sous la tempête de neige. Ce côté rond du trait, stimulé par les rares et subtiles animations des personnages, entre en collision avec certains dialogues qui ne cherchent pas, le moment venu, à échapper à une certaine mélancolie. Une maison aux angles acérés, tapie dans les bois, ressort d’autant plus qu’elle est le lieu où se joue un conflit secret. Talentueux jusqu’au bout, Benson et Holowka officient également à la composition de l’OST (le deuxième s’était déjà fait remarquer à la partition de l’immanquable Towerfall Ascension), naviguant dans un entredeux d’électro prolifique en sonorités disparates et d’ambiant qui détourne les grelots de Noël et les fait s’égarer parmi les craquements d’arbres secs mais pas tout à fait morts. Appuyant ainsi le mot, non d’ordre mais de marche, à contre-courant de toute propagande à pas forcés : perdons-nous avec confiance.
Cet ensemble homogène d’éléments hétéroclites et marginaux, cette fluidité dans le déroulement du jeu, sont précieux. Ici, ça file. Pas forcément droit ni longtemps, et c’est ce qui fait le sel de Lost Constellation. Une concentration pure (on aurait bien dit un diamant, mais il ne faudrait pas être taxé d’enthousiasme) d’échanges et de pertes, de retrouvailles, en fin de compte. Les exemples de jeu qui équilibrent aussi admirablement leurs différents ingrédients sont peu nombreux, il s’agit d’en profiter. D’autant que le jeu est accessible librement et n’est qu’un avant-goût, sur les deux existants, d’un titre plus ambitieux encore et qu’il nous tarde d’essayer : Night In The Woods.
Lost Constellation a été testé sur PC, goulûment et gratuitement téléchargé sur itch.io.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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