Cette fois-ci dans Partie Rapide, Seastrom se penche sur la fable colorée proposée par Hoa, et Zali aborde le cas King’s Bounty II, jeu de stratégie aussi attendu que raté.
Hoa
C’est devenu un lieu commun : chaque réalisateur ou réalisatrice d’un film d’animation japonais un tant soit peu poétique est vendu comme « le nouveau Miyazaki ». Ces fins marketing tournées vers le grand public et au fonctionnement grossier n’ont très vite plus eu beaucoup de sens, occultant les spécificités des deux partis, et on a rapidement commencé à s’en moquer. On aurait pu s’en douter, mais le phénomène n’allait pas épargner le jeu vidéo. Cette semaine, deux titres sortent précédés de l’aura dévorante du créateur de Chihiro et du studio Ghibli. Le premier, Behind The Frame, qui suit une peintre à la recherche de l’inspiration sous l’œil attentif de son chat, peut se voir épargner des comparaisons encombrantes si on ne s’y attarde pas. Mais Hoa, avec sa petite fée naviguant au cœur de la forêt et ses insectes aux grands yeux, y échappera difficilement. Il s’agissait dès lors de voir si le jeu de Skrollcat Studio avait suffisamment d’arguments derrière sa jolie bouille pour se forger une réputation bien à lui.
La fée de quat’sous-bois
Dans Hoa, on incarne un petit être dont l’habit rouge ne laisse apparaître qu’un visage bien rond avec, en son centre, un nez retroussé. À peine réveillée, Hoa accoste depuis sa feuille sur un rivage désert près duquel se déploie une large forêt. De là, on traverse une zone, jamais très grande, après l’autre. Chacune a son ambiance, de l’orée claire à la caverne rocailleuse, et sa faune attitrée. Toute la progression se fait d’ailleurs en interaction avec d’autres formes de vie, qu’elles soient amicales ou, rarement, hostiles, accompagnant leurs capacités spécifiques ou leur forçant gentiment la main. La carapace des scarabées sert ainsi à prendre de la hauteur, les chenilles font office de trampoline quand les coccinelles, selon leur caractère, nous élèvent quelques instants dans les airs ou se laissent marcher dessus avant de s’envoler, apeurées.
Une promenade de santé à proprement parler, qui ne tolère aucune tension ou obstacle, et où il n’est pas question de jauge de vie. Ce qui peut arriver de pire à Hoa c’est d’être poussée, le plus souvent par les robots à ressorts croisés ici et là, à peu de chose près les seules formes de vie non-organiques qui vadrouillent sur les branches et dans les recoins ombrageux. En résulte un rythme de progression très tranquille allant de pair avec un retour aux fondamentaux de la plateforme. Chaque fin de niveau (ou presque) marque l’apprentissage d’une nouvelle capacité nécessaire pour accéder à la zone suivante : l’évident double saut, la possibilité de pousser les objets… Comme si Hoa apprenait tout de la vie, on (re)fait connaissance avec ce qui fait la base du genre. Le titre semble ainsi bien calibré pour un public débutant, jeune ou moins, qui évoluera dans cet univers de mouchoir de poche sans frustration notable. Les bords de certains écrans menant à une autre pièce manquent, toutefois, ponctuellement de clarté et il faudra peut-être veiller à ce que celui ou celle derrière la manette ne passe pas à côté.
Scarabébou
De l’histoire que raconte Hoa, on n’en saura guère avant la ligne droite finale et des bribes éparses égrenées par des PNJ à la taille imposante. Le récit se découvre ainsi par le peu d’attention qu’ils ont à nous accorder et un chouïa de narration environnementale, mais l’essentiel repose en réalité moins sur la fable assez convenue racontée que sur la direction artistique à l’œuvre. Ce style dessiné aux couleurs douces n’a pas peur du détail et joue habilement, mais à petites touches, sur la vie qui peuple ses environnements, et ce sur plusieurs plans. À ce titre, l’effet de défilement du décor est à louer, comme celui qui accompagne l’avancée de la fée, petit miracle d’engrais encapuchonné. Arpenter les chemins mousseux prend encore une autre dimension quand la musique de Johannes Johansson prend son ampleur, mélodies au piano en avant toute, ajoutant à l’ambiance innocente et champêtre de nos promenades.
Malgré tout cela, la joliesse et le caractère abordable de Hoa se traduisent également par une certaine superficialité qui retient l’ambition du titre dans un étau étroit. Chaque zone fonctionne sur le même principe, à savoir explorer les lieux afin d’activer des glyphes et ramasser des papillons puis passer au niveau suivant. Cette boucle simple manque en soi de fantaisie mais son systématisme ressort d’autant plus qu’elle est succinctement introduite au premier niveau sans que ce léger vernis narratif ne soit appliqué dans ceux qui suivent. Pour pallier ce manque, et aider à la récolte des collectibles manqués par la même occasion, une carte est mise à disposition dès l’entrée dans un niveau. Il y aurait sûrement eu un moyen plus élégant et moins artificiel d’introduire le passage d’une zone et d’un objectif, aussi similaires soient-ils, à l’autre.
On imagine en fait assez vite les concessions qui ont été faites durant le développement et, à la réflexion, il manque tout un tas de détails minuscules qui auraient permis au jeu de Skrollcat Studio de passer le stade au-dessus en termes d’immersion : une animation supplémentaire ici, une physique plus précise à tel moment, un fondu sonore plus lent là, des bruitages plus variés… Cette économie d’idées ou de moyens se ressent notamment dans le dernier niveau, resucée des idées précédentes maquillée par un petit twist de gameplay assez habile pour que ce ne soit pas trop flagrant. En fin de compte, Hoa n’est jamais meilleur que lorsqu’il joue avec ses environnements. Quand la fée disparait dans le creux d’un nénuphar, lorsqu’une luciole volette, attentive, au premier plan ou qu’un énorme poisson passe dans le fond, impassible. Dans ces moments, on se dit même que l’introduction, avec sa profondeur de champ discrète et son duo de bleu et de vert pour le coup très « miyazakien », pouvait laisser croire à une diversité des décors plus enchanteresse et qu’on est peut-être passé à côté d’une expérience un peu plus marquante.
Hoa a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Switch, consoles PlayStation et Xbox.
Alors qu’on parcourt les sols herbeux de Hoa, on se sent comme dans un état de plénitude, sorte de calme procuré par une progression tout en douceur et une bande-son pétillante à souhait, mais jamais très loin de la sieste. Si l’accessibilité du jeu, sa durée (entre 2h et 3h) et son approche visant l’osmose en font un premier titre idéal pour celles et ceux qui voudraient découvrir ou faire découvrir la plateforme, en prenant un peu de recul, on se met surtout à rêver à ce que cette sympathique balade en forêt aurait pu être. Ce joli moment pourra peut-être, qui sait, prendre une autre dimension avec le prochain titre du studio.
King’s Bounty II
Un peu plus de deux ans après son annonce et sept ans tout de même depuis le dernier épisode de la série de RPG-Stratégie, le studio russe 1C Company nous livre en cette fin août King’s Bounty II, un titre mélangeant exploration à la troisième personne, RPG et gestion de bataille au tour par tour dans un monde de fantasy chaotique. Hélas, absolument aucun des éléments cités dans la phrase précédente ne fonctionne vraiment bien dans le jeu.
C’est truffé de bugs…
J’ai bien conscience que mon premier intertitre manque d’élégance, mais j’avais un peu de mal à ne pas commencer sur quelque chose de purement factuel. Notre rédaction a reçu une clé pour le jeu quelques jours avant la sortie, dans une build complètement injouable. Pour tout vous dire, j’ai passé plus de temps à regarder les rapports de crash d’Unity et mon personnage coincé dans le décor qu’à véritablement jouer à King’s Bounty II.
À la sortie du jeu, un patch semble avoir corrigé une bonne partie des problèmes de crashs, de collisions et de sauvegardes corrompues, ne laissant qu’une palanquée de bugs mineurs et de sous-optimisation chronique : textures qui s’affichent un peu quand elles ont envie, personnages fixes qui semblent glisser, protagoniste qui a tendance à manger les murs d’un peu trop près, impossibilité de remaper correctement les touches, etc. Mais disons qu’au moins, King’s Bounty II est désormais jouable sans crasher toutes les cinq minutes.
Autant de temps que vous pourrez désormais passer à constater que d’autres choses n’ont pas été réparées du tout, comme cette interface absolument imbitable, ni pensée pour la console ni pensée pour le PC, qui vous obligera souvent (très souvent) à alterner entre votre souris, votre clavier et une manette pour espérer arriver à quelque chose d’à peu près fluide. Les menus sont construits en dépit du bon sens, le HUD n’est pas très agréable (un simili open world sans mini-map ou indicateur de quête clair, ça a le mérite d’être original)… Autant de choses qui pourraient passer si le reste brillait un peu plus.
… Et ce n’est pas un bon jeu de stratégie (ça aurait pu)
Abandonnant le ton cynique et parodique des épisodes sortis entre 2008 et 2014, King’s Bounty II se pare d’un scénario plus sombre, entendant nous faire arpenter les terres d’un royaume en plein chaos à la tête d’une armée de bric et de broc dirigée par un des trois protagonistes possibles. On comprend vite que l’intrigue ne dépasse jamais les clichés de basse fosse de la fantasy générique dont les mauvais CRPG ont le secret, que le choix du héros ou de l’héroïne n’a pas grande importance, et que la plupart des twists du scénario seront décrits dans des parchemins trouvés dans des piles d’ordure. Une narration environnementale comme on en fait plus.
Cet enchainement de platitudes pourrait encore passer, si seulement ces allers-retours soporifiques dans un ensemble de petits mondes ouverts étaient servis par des quêtes annexes ou des combats intéressants. Las, la plupart des quêtes se contentent d’être un enchaînement fastidieux de combats à livrer contre des gens sans qu’on sache bien pourquoi, ou à une chasse aux objets à ramasser et autres leviers à activer dans des décors vides. Quant aux combats, ils se révèlent vite extrêmement fastidieux et répétitifs, dans des maps confuses et avec une dimension stratégique assez faible. Tout est déséquilibré et maladroit, jusqu’à la difficulté : on roule parfois sur le jeu pendant des heures avant de se retrouver face à des confrontations insurmontables, sans qu’on y puisse grand-chose.
À vrai dire, je ne suis pas certain que King’s Bounty II était supposé sortir dans cet état. J’ai eu la fâcheuse impression de jouer à une version alpha d’un jeu ne manquant pourtant pas d’idées qui auraient pu valoir la peine d’être développées. Par exemple, la gestion du moral des armées liées à leur homogénéité, ou les différentes factions « morales » reflétant vos actes et conditionnant certaines montées du niveau du personnage étaient de bonnes idées. Mais ces dernières ne sont pas assez mises en avant, et ne parviennent jamais à briser la monotonie d’un jeu qui manque à chaque instant de souffle.
King’s Bounty II a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch, PlayStation 4 et Xbox One.
King’s Bounty II aurait pu être un jeu de stratégie correct si son développement était plus abouti, mais de problèmes de performances en problèmes d’interface et de scénario mou en combats soporifiques, on s’ennuie et on s’agace plus qu’autre chose. On préférera largement réinstaller les anciens épisodes, moins audacieux dans leur proposition, mais largement plus jouables.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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