Pour ma part, 2019 a une saveur assez particulière puisque j’ai beau avoir joué à nombre de bons jeux, voire d’excellents jeux parfois, je peine malgré tout à en extraire certains du lot. Non pas parce que le choix est difficile, mais parce qu’ils m’ont laissé un souvenir étrangement anodin. Bien sûr, il est une découverte qui est aussitôt devenue mon GOTY du cœur, mais je lui consacrerai un écrit le moment venu sur le site. Pour le reste de mon expérience, les propositions les plus abouties étaient des remakes là où tous les autres bons jeux se sont tués à la tâche pour cocher les cases de “ce qui fait justement un bon jeu”. Et puis Death Stranding est arrivé. Un “a Hideo Kojima game” que je n’avais pas prévu de faire à sa sortie, mais le hasard en a décidé autrement. Il a sauvé in extremis mon année 2019 remarquablement convenue en définissant lui-même son propre cahier des charges, et ce sans jamais se soucier de ce que souhaiterait le joueur. Le résultat est une bouffée d’air frais.
La Conquête de l’Ouest
“Mais alors qu’est-ce donc que Death Stranding ?” me direz-vous. Et si, pour répondre à votre question, je vous épargnais toutes les informations dont vous avez eu vent sans le vouloir, matraquage marketing oblige, pour vous exprimer plutôt à quel point il s’agit d’un jeu pas comme les autres ? Bon, je suis gentil, petit point contexte : on incarne Sam Porter Brigdes, un livreur indépendant proposant ses services à des rescapés du Death Stranding, une série d’explosions ayant eu lieu simultanément aux quatre coins du globe et qui a décimé une bonne partie de la faune, de la flore ainsi que de l’espèce humaine. Et de la civilisation il ne reste que des refuges isolés, disséminés ici et là sur un no man’s land qui s’étend à perte de vue (tout du moins le sort qui est réservé aux États-Unis, théâtre du jeu), où les vivants sont enfouis six pieds sous terre tandis que les morts peuplent la surface. Dans ce contexte, et dans un concours de circonstances incroyables (non), vous serez engagé pour parcourir le pays afin de connecter ces différents refuges entre eux, dans l’espoir de bâtir une nouvelle Amérique et surmonter ce phénomène surnaturel. Comment y parvient-on ? En assurant la livraison de colis auprès des différents sites. C’est tout ? C’est tout.
Oui tout à fait, je m’apprête à vous vendre le mérite d’une production qui a façonné une expérience de jeu à partir de ces supplices “ludiques” que l’on a jusqu’ici renié, évité, feinté même à coup de voyages rapides proposés par tout jeu à monde ouvert qui se respecte. Je parle bien entendu de ces quêtes/missions si justement nommées “FedEx” que l’on nous impose bien souvent pour gonfler la durée de vie d’un jeu. Death Stranding ce n’est que cela, livrer des colis à l’autre bout du monde. Puis revenir, puis repartir, puis passer par là, puis tenter de passer derrière, devant, au-dessus, en dessous… et voilà que je finis le jeu au terme de cinquante heures de livraisons et neuf heures de cinématiques (à peu de choses près). Mais alors pourquoi diable vous recommander une telle corvée ? Pour la simple (et très bonne) raison que Death Stranding, en déclinant de toute sorte ce même et inlassable objectif, ne fait strictement rien comme les autres. Une démarche que j’ai trouvé résolument engageante et fascinante à bien des égards.
Il faut tuer le fun
Ainsi, Death Stranding est un jeu qui passe le plus clair de son temps à nous faire oublier nos habitudes de joueur, mais alors vraiment toutes : on apprend à nouveau à contrôler un avatar qui risque de perdre l’équilibre à chaque pas effectué, de prendre trop d’élan lors d’un sprint ou de trébucher à cause d’un cours d’eau et autre vent trop violents ; on débloque un arsenal extrêmement fouillis que l’on a pourtant tout intérêt à ne jamais utiliser ; on peut conduire des véhicules non pas pour gagner du temps, mais pour augmenter notre capacité de stockage de marchandises, en plus d’impliquer une certaine dextérité (terrain plus que jamais instable) ; on a beau parcourir des environnements somptueux, on passera pourtant davantage de temps dans les menus (à l’ergonomie qui laisse à désirer) afin d’optimiser nos trajets sur la carte et organiser continuellement les colis à livrer. Ah et moins on s’équipe, plus on est vulnérable, mais plus on augmente nos chances de survie et de mener à bien nos livraisons. Oh, encore une chose, le cheminement même de l’aventure ne répond à aucune convention dans la mesure où un chapitre pourra durer une vingtaine d’heures, là où le chapitre suivant ne durera qu’une vingtaine de minutes. Croyez-moi lorsque je vous dis que la liste de ces bouleversements (ludiques, structurels…) n’aura de cesse de s’allonger à mesure que vous progresserez dans le jeu. Et le pire, c’est que tout cela m’a plu.
Peut-être est-ce du fait que Death Stranding est totalement affilié au survival horror de la vieille école, qui est mon genre de prédilection et dont il reprend nombre de ses mécaniques, thématiques et situations de jeu allant jusqu’à même convoquer la posture si particulière de ses joueurs, entre la résilience et la privation. De là à penser que Kojima a finalement réalisé son Silent Hill il n’y a qu’un pas et c’est pour mon plus grand plaisir. Mais très clairement, il s’agit d’un jeu que l’on affronte et non pas sur lequel on s’amuse (j’ose le terme), donc attention où vous mettez les pieds.
De manière cyclique, Death Stranding sera tantôt une œuvre nostalgique, étrange, bancale voire même ridicule. Mais la radicalité et l’originalité de sa proposition m’ont procuré à minima une expérience de jeu sans pareil. Derrière l’ensemble de ces partis pris qui s’évertuent à aller à contre-courant des conventions, c’est avec un élan inouï (et probablement sans suite pour une production de cet acabit) que le jeu repousse les limites de ce qui est possible et acceptable à la fois pour le joueur et pour le médium, pour le meilleur et pour le pire. Comment ne pas vous recommander un tel joyau ?
Yohan Belhadj
Sensible à l'image et aux divers procédés de narration. Je suis peut-être plus vidéo que jeu, mais je ne boude pas pour autant mon plaisir à tenir une manette dans les mains.
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