Antagonistes est une série de portraits non exhaustifs de figures du jeu vidéo qui viennent s’opposer au protagoniste que l’on incarne. Mais plus que de simples vilains, ces « méchant(e)s » retenu(e)s possèdent à chaque fois une ou plusieurs caractéristiques qui les rendent vraiment uniques. Évidemment, puisqu’il s’agit d’aborder leurs actions et leurs parcours, parfois en profondeur, les portraits contiennent très souvent des spoils majeurs. Vous voilà prévenus !
Il est mignon, il est présent depuis le début de la saga Animal Crossing et c’est une des premières créatures que l’on rencontre à chaque épisode : oui, je parle bien de Tom Nook. Un personnage au premier abord attachant, notamment par son apparence, celle d'un tanuki ou chien-viverrin, animal proche du raton laveur. Heureusement pour nous, ce bon Tom Nook ne possède pas certains « attributs » que l'on peut voir sur des illustrations mythologiques japonaises des tanukis (ou dans Pompoko de Miyazaki par exemple). Je vous laisse faire la recherche. Bref, c'est peut-être une surprise pour certain(e)s de le retrouver ici, une évidence pour d'autres, mais derrière une analyse assez convenue et légère, il y a un peu plus à creuser.
Tom Nook n’est pas n’importe quel personnage d’Animal Crossing. Il est une des icônes de la saga, particulièrement par ses fonctions sur l'île qui se divisent surtout dans deux domaines de compétences. Le premier domaine, il est commercial. Dans les premiers épisodes, il tient un magasin basique qui vend des objets changeants et qui évolue au fur et à mesure de la progression du joueur ou de la joueuse comme de la fréquence de ses achats. De sa petite boutique, Tom Nook en fera, après trois étapes, un puissant hypermarché : l’HyperNook. Un fonctionnement fondé sur le principe même de croissance capitaliste, avec un brin de népotisme puisque ce sont ses neveux, Méli et Mélo, qui s’occuperont de l'étage construit lors de l’agrandissement en HyperNook.
Avec New Leaf, quatrième opus d’Animal Crossing, Tom Nook nous réserve une surprise : il a changé de métier. Ce dernier est en effet devenu agent immobilier, ayant transféré la totale gestion de sa boutique à ses neveux. Dans New Horizons, l'épisode sur Switch, la situation change encore. Le joueur ou la joueuse devra aider les neveux à monter leur boutique, tandis que Tom Nook est désormais à la tête d’une agence de voyage, la Nook Inc. Mais s'il a un nouveau job, il ne lâche pas pour autant son emprise sur son second domaine de compétences.
Et celui-ci, il est financier. Peu importe les versions d’Animal Crossing, il est le superviseur de la dette du joueur ou de la joueuse (même lorsque l’on passe par le Distributeur Automatique de Clochettes pour le remboursement). Dès la rencontre, il se donne un beau rôle en proposant un emplacement d’installation et une aide à la construction rapide d'une maison. Un cadeau ? Pas vraiment puisqu'il précise rapidement, une fois la construction acceptée, qu'on lui doit de l'argent. Le chien-viverrin avenant se révèle très vite financier habile et nous voilà à devoir rembourser un prêt imprévu. Il nous accueille avec sympathie, mais c’est avec ce même sourire qu’il nous entraîne dans un système d’endettement sans que l’on ait d’autres d’alternatives si l'on veut progresser dans le jeu.
Chaque nouvelle extension de la maison demandera de nouveaux prêts démentiels et déconnectés de l'économie réelle de l'île (elle-même hors de contrôle). Une problématique d'autant plus grande que pour rembourser ces dettes, il faut réussir à obtenir des ressources. Cela implique d'optimiser la plantation et la récolte de fruits, aller pêcher ou même jouer au trader avec le cours du navet. Des activités fastidieuses et surtout chronophages, floutant la frontière entre aliénation, récompenses et plaisir de jeu. Quelque chose qu'on retrouve d'habitude plutôt dans les AAA multijoueurs avec les quêtes journalières, objectifs hebdomadaires et autres mécanismes du genre.
Bien sûr, des éléments des jeux se détachent de tout cela. On a de petits échanges avec les autres habitants de l'île sans cette pression constante. On peut embellir l'environnement et l’entretenir sans réelle obligation si ce n’est l’envie de vivre dans un cadre plus agréable. On peut visiter les îles d'autres joueurs et joueuses. Et l'un des buts majeurs des jeux Animal Crossing est d’aider le musée à développer sa collection en offrant animaux et fossiles. Des éléments que Bob expliquait bien dans une lootbox il y a 3 ans de cela, en comparant le jeu à « une petite maison de poupée capitaliste ». Mais même ici, on s'aperçoit en fait d'un parallèle intéressant, parce qu'il y a bien dans ces jeux un côté attirant qui est installé afin de faire oublier une réalité plus problématique et qu'on retrouve à merveille dans le personnage de Tom Nook. À la fois bailleur, banquier et désormais patron d’une société de transport, il est aussi une représentation de l'univers de la saga Animal Crossing : mignon, doux, simple, mais qui cache des mécaniques à base d’accumulation d’objets, de richesses et de dettes.
Parce que bien sûr, pour certain(e)s, vous connaissiez sûrement son profil et cela vous a peut-être déjà préparé aux arguments liés à ses domaines de compétences. Mais, plus qu’un cliché du banquier avare ou du bailleur sans scrupules, la grande réussite du personnage de Tom Nook est en fait, d’après moi, d’arborer à merveille le masque du capitalisme bienveillant. Il suffit pour cela de se pencher sur ses actions. Oui, les sommes à recouvrir sont très élevées et fixées arbitrairement, mais il n’y ajoute pas d’intérêts et ne pose aucun délai pour le remboursement des dettes, soyez tranquilles. Oui, sa famille possède le commerce sur lequel repose une grande partie de l’île, mais il ne se sert jamais directement de ce pouvoir pour influer sur celle-ci, donc tout va bien. Oui, il participe au maintien d’une monnaie hasardeuse et aux inégalités sur un territoire aux ressources techniquement illimitées, mais il le fait pour dynamiser les échanges entre habitants et créer de l’activité, alors aucun souci.
Ce n’est donc pas le simple fait qu’il soit un personnage capitaliste qui fait de lui un antagoniste, mais sa manière de l’être. Il incarne un parfait avatar du capitalisme moderne, celui des philanthropes milliardaires, des logos inclusifs, du greenwashing ou des comptes Twitter de marques qui nous tutoient. Un enrobage attractif, une illusion soignée, un masque, un peu comme le visage d’un mignon petit tanuki.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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