Antagonistes est une série de portraits non exhaustifs de figures du jeu vidéo qui viennent s’opposer au protagoniste que l’on incarne. Mais plus que de simples vilains, ces « méchant(e)s » retenu(e)s possèdent à chaque fois une ou plusieurs caractéristiques qui les rendent vraiment uniques. Évidemment, puisqu’il s’agit d’aborder leurs actions et leurs parcours, parfois en profondeur, les portraits contiennent très souvent des spoils majeurs. Vous voilà prévenus !
Quoi de plus angoissant que de devoir subir sans cesse la menace d’un ennemi dont on ne peut se débarrasser ? Un antagoniste qui ne serait pas juste une figure marquante ou une entité malfaisante, mais un concept. Unpacking dédiait ainsi un de ses niveaux à cela. Mais pour Subnautica, cela va encore plus loin puisqu’il est permanent. L'aventure du jeu est constituée d’une vie sous-marine alien variée, d’exploration de grottes cachées et de ruines anciennes, mettant donc en avant une menace qui est fondamentalement aquatique : or, il s'agit là du point clé dans le traitement de cet antagoniste.
Dès le départ, on comprend qu’il faudra se mouvoir dans l’eau. On plonge et on constate l'évidente limite biologique : l’oxygène à gérer. Ce premier facteur est une mécanique classique quand il s’agit de jouer dans ce milieu, mais pour Subnautica, il prend un sens particulier. Gérer une phase aquatique est une chose, l’avoir pour environnement principal en est une autre. Un problème d’autant plus complexe qu’il est crucial de pouvoir anticiper au mieux les futures explorations sous-marines.
C’est ainsi que les premières sorties se feront à tâtons, trop effrayé de manquer d'oxygène. Une oppression ici très littérale. Conséquence de cela, il faut d’avance prévoir ses déplacements avec cette contrainte en tête. Les objectifs évoluent alors et, si évidemment on souhaite avoir des réponses sur ce qu’il se passe sur la planète, force est de constater que l'inadaptation biologique à l'environnement est un frein physique inévitable.
La survie initiale, instinctive et presque animale se mue en survie d’humain conscient : il faut vivre ici et s’adapter sur le long terme. Le premier vrai projet de ce point de vue sera de construire un abri sous l'eau, nécessaire pour répondre au besoin de protection durable et sécurisé face à un environnement inhospitalier. En attendant, on s’adapte à la limite que représentent les déplacements aquatiques, mais il est difficile d’ignorer le problème persistant que constitue la survie. Si l'oxygène reste une variable évidente, il faut aussi se nourrir et boire. Cela demande une adaptation croissante et une compréhension du milieu et des créatures qui vivent sur cette planète inconnue.
Les repères sont pris peu à peu et la gestion des ressources utiles s'acquiert également : tel poisson est comestible, telle plante a telle fonction, telle roche sert pour telle structure, etc. L’Océan est en fait une aide quand on l’apprivoise et le comprend. Cette étendue liquide ininterrompue prend des airs de salut et la faune, la flore et les minéraux disponibles paraissent de plus en plus appuyer cette impression. On se sent presque à l’aise. Une aubaine de courte durée, car les appels de la mission principale viennent ronger cet équilibre précaire. Se contenter de la simple survie ne suffira pas et les questions essentielles reviennent : pourquoi est-on là ? Qu’est-ce que la planète cache sous ses eaux ? Peut-on s'échapper de celle-ci ?
Le sentiment d’oppression n’est alors plus lié au besoin de survie, mais à la représentation qu’on se fait de cet environnement océanique. Celle-ci va être totalement bouleversée lorsque l’on approche de l’épave de l'Aurora, immense vaisseau spatial dont le protagoniste est apparemment l'unique survivant du crash. À mesure que l’on s’approche, des rugissements lointains nous parviennent de plus en plus clairement. Jusqu'à ce que l’on aperçoive (souvent sans y être préparé) la source de ces bruits terrifiants : un Faucheur Léviathan. On avait pu faire la rencontre de quelques créatures marines belliqueuses, mais cette fois, c'est différent, que cela soit par sa taille démesurée, sa rapidité ou son agressivité. Cela va agir comme un électrochoc. Est-il l'unique représentant de son espèce ? Quels autres monstres va-t-on rencontrer et surtout, qu’est-ce qui peut se terrer au plus profond des abysses ?
Des questionnements angoissants renforcés par une visibilité altérée. Un peu à l’instar de ce qu’on avait pour les cœlacanthes dans Outer Wilds, l’absence de repères visuels directs et clairs participe à l’installation d’un malaise et la montée en puissance d’une forme de peur. On reste sur nos gardes, car on sait désormais ce que l’environnement héberge et camoufle. Même si on apprend à outrepasser les contraintes de mouvements liées à nos déplacements dans l'eau grâce à la conception de véhicules et de divers objets, les limites posées par le manque de visibilité sous l’eau resteront, elles, bien présentes.
Ces deux facteurs cumulés nous font prendre conscience une fois pour toutes de la situation. L'existence avérée de créatures marines gigantesques évoluant dans un vaste océan aux profondeurs presque insondables. On a là tous les ingrédients capables de faire naître un sentiment d’oppression terrible. Ce ressenti, s'il s'atténue à certains moments, ne disparaît jamais vraiment. De quoi, inévitablement, faire naître une angoisse persistante, qui peut aller jusqu’à la peur panique, se rapprochant, pour certain(e)s, de la thalassophobie, c'est-à-dire la phobie des grands espaces marins ou plus souvent sous-marins. Ce n’est pas pour rien si celles et ceux atteints par cette peur ont eu beaucoup de mal à appréhender Subnautica, voire ont refusé tout simplement de jouer au jeu.
Même sans être atteint de thalassophobie voire de mégalohydrothalassophobie (la peur des créatures et objets aquatiques géants), on est facilement pris de sensations désagréables en errant dans les fonds marins. Il y a quelque chose de viscéral, de primaire dans l'angoisse créée par l'immensité sous-marine. Peut-être le rappel d'une certaine fragilité humaine face à un environnement dans lequel on se sent vite menacé, sans défense, faible. Cela va chercher aussi du côté de l'ancestrale peur du noir et de la crainte d'une menace inconnue qu'on pressent sans pour autant la voir. Le tournant de la rencontre avec un Faucheur Léviathan près de l'épave de l'Aurora rend évidemment cette crainte bien plus concrète : oui, il faut se méfier de ce qui rôde dans la noirceur des eaux troubles.
L’Océan a le mérite de mettre à disposition les outils nécessaires à la survie en son sein. Il est un environnement contraignant dans lequel on ne peut respirer librement et où on ne peut pas directement boire et se nourrir, mais il possède en même temps en abondance les ressources nécessaires pour répondre à ces besoins. C’est pourquoi un nouveau sentiment d’oppression, qui n'est plus spécifiquement liée à des caractéristiques biologiques, apparaît lorsque l’on a appris à gérer oxygène, faim et nourriture de manière presque automatique. Le moment où la véritable exploration commence.
Là, l'envergure de l'Océan de Subnautica se dévoile : une étendue d'eau aussi vaste que profonde et parfois même radioactive dans laquelle se meuvent des créatures gigantesques. Les rares signes de civilisation sont les ruines de constructions modernes et les vestiges de structures et technologies avancées, mais apparemment oubliées depuis bien longtemps. Alors pour notre personnage, seul au milieu de tout cela, gérant à peine sa propre survie, il est bien difficile de ne pas se sentir sans arrêt en danger et menacé sous le règne de cet environnement subaquatique oppressant.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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