Antagonistes est une série de portraits non exhaustifs de figures du jeu vidéo qui viennent s’opposer au protagoniste que l’on incarne. Mais plus que de simples vilains, ces « méchant(e)s » retenu(e)s possèdent à chaque fois une ou plusieurs caractéristiques qui les rendent vraiment uniques. Évidemment, puisqu’il s’agit d’aborder leurs actions et leurs parcours, parfois en profondeur, les portraits contiennent très souvent des spoils majeurs. Vous voilà prévenus !
Isaac and his mother lived alone in a small house on a hill...
La sortie de Repentance a porté le nombre de fins de The Binding of Isaac à 22. C’est beaucoup, mais en même temps, pas tant que ça, puisque toutes n’ont pas une valeur identique si on cherche à s’attaquer au lore du jeu. Une entreprise pas évidente, car la narration n’est pas des plus conventionnelles. C’est assez commun pour un roguelite, genre où la progression se fait par le gameplay plus que par l’avancement d’une histoire. On a de plus en plus d’exceptions, Hades est sûrement le meilleur exemple de ces dernières années, mais ce n’est jamais le cœur de ce genre de jeux. Pour The Binding of Isaac, c’est aussi dû à son univers, mélange inattendu de mythologie chrétienne, d’humour scatologique, de références à d’autres jeux et à des memes. En plus de ça, selon les interprétations, l'adversaire faisant office de boss final n’est pas le même et, si on peut considérer que c’est The Beast, la fin qu’il apporte peut elle-même être comprise de plusieurs manières. J’ai fait le choix d’en retenir une qui me paraît être la plus vraisemblable, on verra un peu plus tard pourquoi.
Accordons-nous déjà sur un point : la mère d’Isaac, Mom, comme antagoniste principal. On l’affronte sous de multiples formes, ennemi d’étage avec ses mains qui tombent du ciel, son pied comme premier boss récurrent (Mom's Foot, le Pied de Maman), ou encore son cœur, une fois qu'on a achevé les étages de The Womb (L’Utérus) puisqu'on attaque Mom’s Heart (le Cœur de Maman). Ce Cœur, après avoir été vaincu un certain nombre de fois, sera remplacé par It Lives (Il Vit), qui n'est autre qu'Isaac sous forme de fœtus. Dans Repentance, dernière extension de The Binding of Isaac, Edmund McMillen a rajouté Mother, un boss accessible après avoir parcouru des étages alternatifs globalement plus difficiles et obtenu un couteau spécial, qui offre une nouvelle fin une fois battu. Il s’agit d’une version corrompue et décadente de la mère d’Isaac, comme on le comprend dans la cinématique de fin, puisqu’il est révélé que ce nouveau boss est basé sur un dessin fait par Isaac de sa mère telle qu’il la voit. Tout ça nous montre plusieurs choses.
On est amené à détruire le cœur de Mom, parce que c’est ce que la mère d’Isaac lui fait comprendre. Elle se comporte avec violence et méchanceté et lorsqu’elle se rend compte des conséquences de ses actions sur le ressenti d’Isaac, elle vire dans la culpabilisation, renforçant encore le malaise et la souffrance du petit garçon qui a l'impression de briser le cœur de sa mère. C’est pour ça que le cœur de Mom est remplacé ensuite par un Isaac fœtal à détruire : il souhaiterait ne pas être en vie. On le comprend de manière encore plus évidente avec la nouvelle fin, puisque la cinématique nous montre le traitement réservé à Isaac pour avoir osé la dessiner telle qu’il la perçoit et à quel point il oscille entre culpabilité et mal-être.
Question temporalité, comme pour le lore global, on est obligé de s’en tenir à des hypothèses. On peut estimer que ce moment du dessin se situe après que Mom ait commencé à visionner beaucoup de programmes évangélistes chrétiens, raison évoquée par la petite cinématique démarrant le jeu pour expliquer le basculement dans la folie. En effet, la mère d’Isaac passe ses journées devant la télévision, obnubilée par les messages de prédicateurs, et portée par une foi aveugle, se met à croire que Dieu en personne souhaite qu’elle sacrifie son fils. Elle se munit d’un couteau de cuisine, et se dirige vers la chambre d’Isaac. Ce dernier, témoin de cela, prend la fuite et on nous montre qu'il file dans le sous-sol, zone de départ du jeu. Sauf qu’en réalité, ce n’est là qu'une version tronquée de la véritable histoire. Il manque notamment un autre antagoniste crucial, car portant aussi une grande responsabilité dans la situation : Dad, le père d’Isaac.
S’il est mis de côté, c’est tout simplement parce que, dans l’histoire, il est parti, abandonnant Isaac et sa mère. Cela se traduit dans le jeu à la fois par l’absence de boss ou d’ennemis pour l’illustrer, et par des items plus qu’explicites : la Dad’s Key (Clef de Papa), ouvrant toutes les portes possibles, manière de rappeler qu’il a pris la fuite. Le Dad’s Ring (Anneau de Papa), qui accorde une aura pétrifiant les ennemis qui entrent dans sa zone d’effet, mais qui surtout rappelle à Isaac que ses parents ne sont plus ensemble. Et la Dad’s Lost Coin (la Pièce perdue de Papa) donnant +1 de chance, rappelle à la fois le jeton de sobriété donné aux alcooliques dans les cercles d’alcooliques anonymes et le jeton de casino. Toutefois, afin de faire la lumière sur la raison de ces items et leurs sens, il faut mettre la main sur la Dad’s Note (Note de Papa).
Pour cela, il faut passer par l’autre voie secondaire, celle qui nous fait non pas descendre toujours plus bas dans les étages, mais au contraire, remonter. Une fois la Dad’s Note obtenue, Isaac doit gravir les étages précédents, occupés par de nouveaux ennemis. Au cours de cette séquence, intitulée « Ascent » (L'Ascension), des bribes de dialogues résonnent. Il s’agit de disputes plutôt violentes, à différents moments précédant le début de The Binding of Isaac, où, plus Isaac se rapproche des premiers étages, plus on en apprend sur l’histoire et ce qui s’est passé. Dad explique qu’il a dépensé tout l’argent du foyer, puis Mom l’accuse d’être ivre une fois encore, donnant un mauvais exemple à leur fils, lui l’accuse ensuite de basculer dans la folie avec sa foi ardente et son prosélytisme et enfin, on entend les derniers échanges entre Dad, Mom et Isaac, où le père explique qu’il part, estimant faire plus de mal que de bien en vivant là, avant de s’excuser.
Le départ de son père a profondément marqué Isaac, d’une part parce qu’il a aggravé l’instabilité psychologique de sa mère et d’autre part, parce qu’il avait un lien spécial avec lui. Dans l'épilogue de The Legend of Bum-bo, autre jeu d’Edmund McMillen, on nous révèle que The Legend of Bum-bo n'est en réalité qu'un jeu créé par le père d'Isaac pour occuper son fils, et dans lequel le jeune garçon a continué de se réfugier. Et cela malgré les interdictions de sa mère qui n'y voit qu'un rappel de l'échec de son couple.
Lorsque Isaac tente d'éviter de mourir à cause de l’ultime coup de folie de sa mère, il se cache dans un coffre. Celle-ci ne le trouve pas, le recherche, et c’est bien plus tard qu’elle trouve son cadavre, mort asphyxié. The Binding of Isaac n’aura été rien d’autre que le fruit de l’imagination du petit garçon, et la remontée vers The Beast, monstrueuse et ultime représentation déformée de sa mère, son passage vers la mort. Si on ajoute à cela tous les éléments disséminés un peu partout dans le jeu (et il y aurait beaucoup à dire entre les personnages, certains items, des trinkets, etc), on peut définitivement considérer cette fin et ce qu'elle raconte comme la vraie fin.
Ce qu'on constate, c'est que Mom et Dad sont l’exemple type de parents défaillants. Leurs comportements nocifs pour eux-mêmes sont fatalement retombés sur leur fils, le poussant à s'effacer. Lorsque Dad quitte le foyer après des années de toxicité, entre alcoolisme et addiction au jeu, Mom refuse de voir qu’elle aussi a ses propres fautes et perd complètement pied avec la réalité. La religion lui sert d’échappatoire, mais cela va donner un tournant désastreux aux troubles mentaux qui la rongent. Isaac devient sa cible : elle alterne entre maltraitance physique et chantage affectif, rendant le quotidien du petit garçon toujours plus éprouvant. Ce dernier, finalement menacé de mort par sa propre mère, cherche à fuir, mais c'est ce qui scellera son destin. Isaac perd la vie, seul, terrifié et agonisant dans le coffre à jouets d'où il puisait encore de rares instants de bonheur.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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