Antagonistes est une série de portraits non exhaustifs de figures du jeu vidéo qui viennent s’opposer au protagoniste que l’on incarne. Mais plus qu’un simple vilain, ces « méchant(e)s » retenu(e)s possèdent à chaque fois une ou plusieurs caractéristiques qui les rendent vraiment uniques. Évidemment, puisqu’il s’agit d’aborder leurs actions et leurs parcours, parfois en profondeur, les portraits contiennent très souvent des spoils majeurs. Vous voilà prévenus !
Seriously, though, I could frame any one of you in a dark corner,
and capture you in a moment of desperation
La perversité la plus infâme peut se cacher dans les êtres les plus talentueux. En plus d’être un constat tristement régulier depuis les révélations du mouvement #MeToo et ses dénonciations légitimes, c’est un des propos qui transparaît dans des moments-clés du premier Life is Strange. De quoi faire de Mark Jefferson un excellent choix pour Antagonistes.
Mark Jefferson est un être qui attire. Physiquement déjà, il est de ceux qui possèdent un “physique qui plaît”. Professionnellement ensuite, il est un artiste reconnu pour ses photographies uniques et captivantes. Socialement enfin, il a une attention toute particulière pour le travail de ses élèves : sympathique et pédagogue, il n’hésite pas à prodiguer conseils et encouragements. Ces éléments combinés lui confèrent ainsi une aura et un indéniable charisme.
C’est aussi pour ça que son arrivée à Blackwell paraît presque irréelle. On peut vite le comprendre grâce à Max Caufield, l’héroïne de Life is Strange que l’on contrôle. Elle voue une quasi fascination pour le photographe et son travail. Certes, ce dernier est originaire d’Arcadia Bay, mais on a du mal à comprendre pourquoi il revient dans cette ville qui paraît à l’arrêt. Peut-être parce qu’elle a désormais ce charme pittoresque des petites villes côtières américaines, que la baisse d’activités de la pêche a comme figé dans le temps. Presque comme… une photo.
Bien sûr, l’installation de Mark Jefferson est, aussi, surtout liée à l’influence tentaculaire des Prescott sur la ville. Famille richissime et principale source d’argent privé de l’école, elle avait tout à gagner en facilitant l’embauche d’un photographe de renom. Et ce fut à raison car la présence de pas mal d’étudiants s’est décidée spécifiquement par le retour du professeur dans sa ville natale. C’est ainsi le cas de Max mais aussi de sa rivale, l’ambitieuse Victoria Chase.
Si son travail fascine autant, c’est parce que les images qu’il produit ont quelque chose flirtant entre le lugubre et le malsain. Des jeunes femmes au regard vide, souvent à moitié dénudées. Des postures de soumission, de fragilité, dominées par la toute puissance de l’objectif du photographe. On pourrait y voir seulement le talent d’un artiste qui réussi à capter l’essence d’émotions et à les retranscrire visuellement. Mais il s’agit pourtant bien des terribles aperçus de ce que cache le vrai Mark Jefferson.
Si la fin de l’aventure de Life Is Strange est là pour en témoigner, dès le départ on observe des fissures dans le masque social qu’il s’est conçu. Le moment le plus évocateur est sûrement l’appel à l’aide de Kate Marsh. Clairement bouleversée, l’adolescente essaye de se confier à cette figure d’autorité sympathique. Mais il ne paraît finalement pas en mesure de pouvoir l’aider. Et lorsque, témoin de cette scène, Max prend la suite de la discussion et pose des questions à M. Jefferson sur la situation, celui-ci a toutes les difficultés du monde à rester neutre.
Il remet en cause les paroles de Kate, laissant même sous-entendre que les abus qu’elle explique avoir subi seraient peut-être, d’une certaine manière, sa faute. A cet instant précis, l’apparente aura bienveillante s’estompe et ce qu’on entraperçoit n’est autre qu’un instantané du monstre qu’il est. Du dominateur malsain. Du vrai Mark Jefferson.
La fin de Life is Strange surprend mais elle n’est là que pour mettre en lumière ce que l’on aurait dû remarquer depuis le début. Ce que l’on avait oublié, mis de côté, occulté, involontairement. Les riches Prescott n’ont pas hésité une seconde à fournir un local caché et des fonds au professeur, à partir du moment où il se portait garant de leur fils cadet. Nathan, psychologiquement instable, artiste dans l’âme, sera souvent montré comme un ennemi. Mais il n’est lui aussi qu’une victime. Mark Jefferson n’a jamais eu la moindre considération pour l’adolescent, et s’en est servi à la fois comme moyen de pression auprès de la famille Prescott, et comme leurre pour attirer à lui ses « proies ».
Les fissures du masque cèdent à la fin de l’épisode 4. Désormais, on sait. Désormais, on comprend. Et dans la fameuse « Dark Room », titre de ce même épisode, on devient, aux côtés de Max, les témoins de l’horreur. Voilà, face à nous, le vrai Mark Jefferson. On comprend le destin terrible de Rachel, les sévices subis par Kate et on assiste, impuissant, à celles dont Max est victime.
Et la fin de Life Is Strange ne doit pas nous faire oublier que même Nathan n’est qu’une marionnette de cet être qui broie tout par intérêt personnel. Son talent à camoufler son narcissisme, sa capacité de manipulation et surtout le fait qu’il soit un meurtrier, permet de classer Mark Jefferson comme un psychopathe au pire sens du terme.
Mais c’est aussi un moyen de nous rappeler que le comportement du photographe n’est pas si exceptionnel qu’on pourrait le croire. Je l’abordais rapidement en introduction mais c’est au-delà du phénomène #MeToo. La cérémonie des Césars 2020 a été la démonstration parfaite de l’hypocrisie qui accompagne tous les milieux et en particulier les milieux artistiques. Il y a tout à parier que le cas de Mark Jefferson, retranscrit à l’identique dans notre monde réel, aurait amené à la fameuse notion de séparation entre « l’homme et l’artiste ».
L’actuelle impunité de certains hommes (parce qu’ils sont majoritairement des hommes), malgré des actes condamnables, sous couvert d’un talent artistique, laisse en tout cas imaginer que la condamnation de Mark Jefferson serait en partie remise en cause. Les carrières des Polanski et consorts sont là pour en témoigner.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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