Ceci est la deuxième partie de la chronique dédiée à la compositrice Yoko Shimomura. Dans la première partie, nous avons évoqué les débuts de sa carrière chez Capcom, son travail sur Street Fighter 2, puis son passage chez Square et ses compositions pour Live A Live, Super Mario RPG, Parasite Eve et Legend of Mana. Dans la mesure où certaines informations ici pourraient faire écho à des éléments relatés dans la première partie, je ne peux que vous conseiller de la lire au préalable.
En signant chez Square, Yoko Shimomura (qui sera parfois nommée Pii♪, un de ses pseudonymes, dans cet article) espérait composer pour des RPG. On peut dire qu'avec ses débuts chez son nouvel employeur, son souhait a été rapidement, puis pleinement, exaucé. À l'époque de son travail pour Legend of Mana, la compositrice pensait avoir enfin atteint le Graal avec un RPG de style fantasy comme ceux qui l'avaient poussée vers ce métier. Elle ne se doutait pas que le plus grand moment de bascule de sa carrière était encore devant elle.
La clé du succès
Nous sommes en 1996, Super Mario 64 redéfinit les codes de la gestion de la 3D manette en main dans un jeu vidéo. À l’instar de nombreux autres grands studios, Square compte bien prendre le train en marche. Shinji Hashimoto, producteur sur de nombreux titres du développeur japonais, et Hironobu Sakaguchi (aka “Le Papa des Final Fantasy”) cherchent toujours à élargir la renommée de Square hors des terres japonaises. Ils arrivent à la conclusion que seul un personnage comme Mickey possède une renommée aussi universelle que celle du plombier moustachu de Nintendo. Et ça tombe très bien, parce que la division japonaise de Disney se trouve dans le même immeuble que Square. La suite n’est pas très claire et il est difficile de distinguer ce qui relève de la réalité ou de la légende urbaine. Toujours est-il que, par intérêts communs entre les deux sociétés et avec l'intervention d’Emiko Yamamoto (directrice sur Quackshot, Castle of Illusion et World of Illusion), débute la genèse de Kingdom Hearts. Non sans difficulté, Tetsuya Nomura gagne la confiance des décisionnaires de Square et de Disney pour diriger ce faramineux projet et commence à former une équipe pour le suivre dans cette folle aventure.
Pour la musique de son jeu, il se tourne vers celle qu’il avait déjà croisée durant le développement de Front Mission, Yoko Shimomura. Il faut dire que l'éclectisme et l’excellence de son CV parlent pour elle. Avec pour seule information qu’il s’agit d’un jeu d’aventure né d’un partenariat entre Square et Disney, elle accepte ce nouveau projet.
La jeune compositrice ne sait pas encore qu’elle entame une aventure qui va durer jusqu’à aujourd’hui et la faire travailler sur une kyrielle de jeux. Aujourd’hui, son nom et celui de la licence sont totalement indissociables. Sa popularité acquise grâce à son travail sur Kingdom Hearts a permis de mettre en lumière tous ses précédents travaux, qui étaient très souvent appréciés sans que l’on ne remonte pour autant jusqu’à elle.
Mais pour l’heure, nous sommes en 2000 et il lui faut s’imprégner d’un nouvel univers, coloré, varié, mystérieux, poétique et parfois nerveux. Outre les attentes et l’ampleur du projet, elle doit aussi composer (c’est le cas de le dire) avec l’univers Disney omniprésent dans le jeu. Agrabah, le Colisée de l’Olympe d’Hercule, le Pays imaginaire de Peter Pan ou celui des Merveilles d’Alice, autant de lieux mythiques possédant déjà une identité sonore qu’elle se doit d’adopter et d’adapter pour le jeu. Si elle précise que son travail sur l’Atlantica de La Petite Sirène fut son préféré, elle reconnaît une pression supplémentaire au moment de reprendre l’emblématique thème de la ville d’Halloween de l’Étrange Noël de Monsieur Jack composé par Danny Elfman. Son défi est de respecter et de rendre honneur à ces univers sonores engrammés dans l’esprit des gens, malgré les limitations techniques de la PlayStation 2. Nous sommes évidemment sur un net progrès technologique par rapport au format cartouche et à la première console de Sony, mais il reste quelques restrictions notables.
Kingdom Hearts, premier du nom, c’est aussi l’histoire de Sora, Riku et Kairi. Une aventure qui s’étend bien au-delà des mondes de Disney. La première musique que Yoko Shimomura compose pour le jeu en est une preuve flagrante. La consigne initiale de Tetsuya Nomura pour ce morceau était de faire quelque chose "comme le Requiem de Verdi". Ainsi naquit Destati, qui cueille le joueur très tôt dans l’histoire. Le ton est grave, les chœurs sont lourds, il ne fait aucun doute que le drame ne sera jamais loin malgré l’enrobage Disney du jeu. C’est cet équilibre subtil entre légèreté, féerie et tragédie que la compositrice réussit à entretenir au fil du voyage musical que propose le jeu et ses nombreuses suites (et préquelles).
Parmi la multitude de morceaux que Yoko Shimomura compose pour la licence Kingdom Hearts, il en est un qui se démarque, semble traverser les époques, les changements de supports et les multiples détours et virages scénaristiques qu’emprunte la série : Dearly Beloved. Inspirée par le bord de mer de Destiny Island et son coucher de soleil, Pii♪ compose ce morceau sans se douter qu’il sera présent dans tous les jeux de la licence. Utilisé initialement pour un événement en lien avec le jeu, ce morceau fut ensuite rangé au placard avant que Nomura lui-même n'aille le rechercher pour en faire l’emblématique thème de l’écran-titre. À partir du second jeu, Kingdom Hearts: Chain of Memories, Dearly Beloved s’enrichit d’une mélodie supplémentaire puisée dans le morceau Always on My Mind (rien à voir avec la chanson d’Elvis Presley). À compter de cet instant, chaque jeu se déroulant chronologiquement après le premier Kingdom Hearts possède une version de Dearly Beloved avec cette mélodie supplémentaire. A contrario, son absence signifie que les événements relatés lui sont antérieurs.
Sur Kingdom Hearts 1 et 2, Yoko Shimomura est seule à la composition et aux arrangements de la quasi-totalité des morceaux. À partir de Kingdom Hearts 358/2 Days et sur Birth by Sleep, elle est rejointe par deux autres compositeurs : Tsuyoshi Sekito qui a déjà composé des musiques sur Chrono Trigger, Romancing Saga -Minstrel Song- et The Last Remnant et Takeharu Ishimoto, que l’on pouvait retrouver derrière plusieurs morceaux de Crisis Core: Final Fantasy VII et de The World Ends With You. La liste s’allonge et elle partage davantage le travail de composition et d’arrangement sur Kingdom Hearts 3, principalement en raison de l’ampleur du projet et de travaux parallèles, sujet que nous aborderons un peu plus loin.
Quel que soit l’opus de la licence, elle est toujours présente, sans faillir, prête à étoffer davantage son œuvre la plus prolifique. La difficulté principale, selon elle, est de réussir à renouveler l’univers musical de la série au fil des jeux. Chaque nouveau titre s’enrichit de nouveaux morceaux, mais elle doit aussi trouver de nouveaux arrangements pour les musiques communes aux différents épisodes. Hors de question pour Pii♪ de juste copier-coller ses précédents travaux. Les variations de Dearly Beloved entre chaque jeu en sont l’exemple le plus parlant. Ce point est aussi l'occasion de rappeler l'importance du travail des arrangeurs et arrangeuses sonores souvent oubliés des crédits, surtout sur YouTube et les plateformes de streaming.
À l’occasion de la sortie de Kingdom Hearts: Melody of Memory, jeu de rythme contenant 140 musiques issues de la licence, Yoko Shimomura nous a offert sur Twitter un calendrier de l’Avent d’anecdotes sur plusieurs morceaux. Une opportunité en or pour les personnes curieuses d’en apprendre plus sur certaines compositions emblématiques de la série (elle a fait la même chose avec Legend of Mana et Super Mario RPG).
Mais, retour en 2002 où Yoko Shimomura compose Another Side, sa dernière piste sur le premier Kingdom Hearts et son dernier morceau en tant qu’employée de Square. Toute jeune maman, elle pose sa démission à peine son travail pour Kingdom Hearts terminé et démarre une nouvelle carrière en freelance avec la création de sa société Midiplex. Ce qui n’empêchera pas Tetsuya Nomura de continuer à la contacter à chaque nouvel opus pour continuer de travailler avec elle.
De ce partenariat sur le long terme, on pourrait conclure à une complémentarité fluide entre Nomura et Shimomura, mais il n’en est rien. Si les interviews croisées entre les deux restent bon enfant avec beaucoup d’humour, la compositrice ne cache pas les difficultés engendrées par les méthodes de communication du créateur. Avare en informations, il l’oblige à partir en croisade pour obtenir plus de précisions, surtout lorsqu'il rejette l'une de ses œuvres. L’intéressé ne s’en cache pas et reconnaît ce trait de sa personnalité et les complications que cela peut engendrer. Si ses visions artistiques sont précises dans sa tête, il n'en est pas moins incapable de les exprimer correctement, laissant souvent ses collaborateurs dans une incertitude et un flou peu agréables.
Cependant, ces difficultés ne freineront jamais Pii♪ au moment de repartir aux côtés de Nomura pour composer les musiques d’un nouveau Kingdom Hearts, ou sur une autre licence historique de Square.
Code Yoko
Comme précisé précédemment, au terme de son travail pour le premier Kingdom Hearts, Yoko Shimomura prend la décision de démissionner de chez Square pour devenir compositrice freelance. Son premier contrat sous ce nouveau statut l’amène à composer les musiques de Mario & Luigi: Superstar Saga. Suite spirituelle de Super Mario RPG et Paper Mario, ce jeu est développé par AlphaDream, le studio créé par Tetsuo Mizuno, ancien PDG de Square. À la production, on retrouve Shigeru Miyamoto (créateur des franchises Mario, Donkey Kong et Zelda) et comme producteur exécutif Satoru Iwata, qui vient tout juste à l’époque de devenir le 4e président de Nintendo. Yoshihiko Maekawa se tient à la direction du projet, tout comme cela était le cas sur Super Mario RPG. Il n’est donc pas étonnant que Yoko Shimomura vienne signer les musiques de son second jeu estampillé Mario. Et ce ne sera pas le dernier, car ce partenariat persistera sur les suites de la licence, Mario & Luigi: Partners in Time, Mario & Luigi: Bowser’s Inside Story, Mario & Luigi: Dream Team et Mario & Luigi: Paper Jam jusqu’à ce qu’AlphaDream fasse faillite en 2019.
À l’image de son travail sur Kingdom Hearts et Super Mario RPG, Yoko Shimomura réussit pour chacun de ces jeux à créer une bande-son mélangeant malice et humour, tout en se permettant des fulgurances épiques à teintes dramatiques.
La suite de sa carrière freelance est une alternance entre des jeux Kingdom Hearts et Mario & Luigi, avec Final Fantasy XV en fil rouge de 2006 à 2016 (on va y venir), mais aussi des commandes pour quelques musiques sur de multiples jeux pas toujours très connus chez nous, rarement des OST complètes. Il ne serait pas intéressant de tous vous les lister (Wikipédia et VGMdb sont là pour ça), cependant, certains me semblent intéressants à évoquer. Par exemple, saviez-vous que Yoko Shimomura a composé deux morceaux pour la licence de jeux de rythme Pop’n Music ? Majestic Fire sur Pop’n Music 13 Carnival et Twin Hero - Oath to Tomorrow pour Pop’n Music 17 The Movie. À l’écoute de Majestic Fire, il ne fait aucun doute que Pii♪ a fait ressortir la jeune compositrice de chez Capcom qui était toujours en elle. Elle reconnaît avoir beaucoup apprécié travailler sur ces morceaux, libre de tout thème et scénario, pouvant se concentrer uniquement sur la rythmique afin d’offrir un défi en jeu.
En 2007, Yoko Shimomura revient dans l’univers Mana en signant la bande-son de Heroes of Mana, neuvième jeu de la licence et quatrième du spin-off World of Mana. L’année suivante est celle de la reconnaissance avec la production par Square Enix de Drammatica - The Very Best of Yoko Shimomura, un album de reprises orchestrales de ses musiques pour fêter ses 20 ans de carrière. Des musiques de Legend of Mana croisent celle de Live A Live, Front Mission ou encore Kingdom Hearts, uniquement des jeux développés chez Square. En bonus, on trouve Somnus, qui est encore listé comme une musique de Final Fantasy Versus XIII. L’orchestration des différents morceaux est réalisée par Natsumi Kameoka, dont les talents sont loués depuis de nombreuses années par Yasunori Mitsuda. Orchestratrice pour des morceaux de Chrono Trigger, The Last Remnant, mais aussi Kingdom Hearts III, on la retrouve également derrière de nombreux arrangements pour Xenoblade Chronicles, le concert du 20e anniversaire des Tales of et même le concert Zelda de 2018. Travailleuse de l’ombre, elle fait partie de ces arrangeurs et orchestrateurs souvent méconnus, comme Kaoru Wada, dont l’apport à l’univers musical du jeu vidéo mériterait d’être bien plus amplement mis en lumière.
Direction 2010, une année faste pour Yoko Shimomura, qui apparaît dans les crédits de pas moins de sept jeux, dont The 3rd Birthday, troisième jeu de la série Parasite Eve. La compositrice est derrière 15 des 66 morceaux de l’OST et partage l’affiche avec Mitsuto Suzuki, mais surtout Tsuyoshi Sekito avec qui elle a déjà travaillé sur les Kingdom Hearts.
Cette même année, Pii♪ compose 11 morceaux pour Xenoblade Chronicles à la demande de Tetsuya Takahashi (producteur exécutif) qui souhaite apporter une nouvelle identité sonore à cette troisième licence Xeno après Xenogears et les Xenosaga. Yasunori Mitsuda est évidemment de la partie une nouvelle fois, mais ce sont les musiques de Yoko Shimomura qui cueillent le public d’entrée de jeu. En composant le thème principal de l’écran-titre, la musique des deux prologues, les thèmes de la double première zone du jeu ou encore un thème de combat, elle accompagne totalement les joueurs et joueuses à l'entame de l’incroyable aventure qu’est Xenoblade Chronicles. À noter que la majorité des arrangements de ses compositions sont réalisés par Tsutomu Narita avec qui elle travaillera sur Final Fantasy XV.
2010 est décidément une année sous le signe du RPG pour la compositrice. Après avoir travaillé aux côtés de Yasunori Mitsuda, ACE+ et Manami Kiyota sur Xenoblade Chronicles, elle reçoit une proposition par mail de la part d’Atlus pour écrire les musiques de leur prochain jeu, Radiant Historia. Croyant à une arnaque, elle manque de ne pas répondre avant de réaliser que cette demande est bien réelle. Fan de la série Shin Megami Tensei du même studio, elle répond favorablement et signe une OST de haute qualité malgré les limitations techniques de la Nintendo DS. Elle se permet une nouvelle fois un morceau chanté avec Historia, interprété par Haruka Shimotsuki. En 2017, à l'occasion de la sortie du remake du jeu Radiant Historia: Perfect Chronology, sur 3DS, elle ajoute quelques nouveaux morceaux.
Un RPG sur Wii, un sur DS, il y avait apparemment encore de la place pour en rajouter un sur PSP puisque cette même année sort The Last Ranker, développé par Imageepoch (Luminous Arc, Arc Rise Fantasia…) et publié par Capcom (retour aux sources). Très loin d’être son travail le plus connu, c'est pourtant l’un de ceux dont elle parle avec le plus d'enthousiasme, décrivant une forte synergie créatrice avec Kazuya Niinou, directeur du projet. Elle se souvient de longues réunions avec lui où elle quittait la pièce brutalement lorsqu’une mélodie lui venait en tête. Elle avoue avoir puisé dans les souvenirs de son arrivée sur Tokyo, lors de sa prise de poste chez Capcom, pour trouver l’inspiration de plusieurs musiques accompagnant le voyage de Zig, protagoniste principal du jeu. Si vous êtes un peu curieux, ne passez pas à côté de cette OST qui possède notamment quelques thèmes de combat absolument épiques.
De 2006 à 2016, le nom de Yoko Shimomura est apparu dans les crédits d’une trentaine de jeux. Et durant tout ce temps, elle travaillait en fil rouge sur un seul en particulier qu’il serait inconcevable de ne pas aborder plus en détail.
Noctissimo
Le projet Fabula Nova Crystallis trouve son origine après la fin du développement de Final Fantasy XII, quand Shinji Hashimoto et Yoshinori Kitase suggèrent l’idée d’une cosmogonie commune pour les prochains titres de la licence. Parmi eux, Final Fantasy XIII qui n’était pas encore destiné à s’enrichir de deux suites, Final Fantasy Agito XIII qui deviendra Type-0 et Final Fantasy Versus XIII qui deviendra Final Fantasy XV.
C’est avec cette vision en tête que Tetsuya Nomura récupère la tête du projet de Final Fantasy Versus XIII en 2006, au sortir du développement de Kingdom Hearts II. Sans chercher trop loin, il demande à Yoko Shimomura de l’accompagner sur ce nouveau défi après leur collaboration sur les trois derniers jeux Kingdom Hearts (n’oublions pas Chains of Memories).
Si Dragon Quest est la série de RPG qui a poussé Pii♪ vers une carrière de compositrice dans le jeu vidéo, elle n’a pas oublié sa découverte de Final Fantasy, en particulier du second opus dont elle reconnaît chantonner fréquemment le thème principal (le parallèle entre un court passage de ce thème et celui de Kairi dans Kingdom Hearts est probablement un hasard, mais ne cesse de me faire sourire).
Lorsque Tetsuya Nomura vient lui proposer de travailler sur Final Fantasy Versus XIII, Yoko Shimomura a déjà quelques arrangements de la série à son actif, principalement pour des compilations. Aborder un jeu Final Fantasy clairement numéroté est une tout autre affaire. Mais l’appellation "Versus XIII" donnait au projet un aspect de spin-off qui déchargeait un peu de pression et a permis à Yoko Shimomura de se lancer plus librement. Honnête sur le sujet, elle reconnait que si le jeu s'était appelé "Final Fantasy XV" dès le départ, elle n'aurait peut-être pas osé prendre ce poste.
Travailler avec Nomura n’est pas facile, mais ils se connaissent bien, et lorsque ce dernier partage sa vision initiale pour le projet, Pii♪ réussit rapidement à écrire son premier morceau, Somnus, ce qui permet de l’apposer sur le premier trailer du jeu présenté en mai 2006. Interprété par Andrea Hopkins sur des paroles de Nomura lui-même, Somnus plante un décor sombre et mélancolique pour se démarquer autant que possible de Kingdom Hearts (même si Noctis y arbore une dégaine de Sora version émo). Le deuxième morceau composé pour le jeu est Veiled in Black, dramatique et énergique thème de combat qui ne sera entendu pour la première fois que 8 ans plus tard dans une nouvelle bande-annonce. Omnis Lacrima suivra peu de temps après mais sera entendu par le public bien plus tôt, en 2008, dans une autre bande-annonce du jeu.
Malheureusement, le jeu s’embourbe dans de multiples complications et les retards s'accumulent. En 2011, cinq ans après le lancement du projet et son premier trailer, le jeu est toujours en phase de préproduction. Cet article n’a pas pour but de revenir sur le fiasco Final Fantasy Versus XIII ni sur le lacunaire Final Fantasy XV (sujet passionnant abordé par Jérémie Kermarrec dans son livre La Légende Final Fantasy XV), alors, permettons-nous un bond en 2013.
Les retards majeurs dans le développement du jeu lui font rater une fenêtre technologique. Nous voilà arrivés dans l’ère de la PlayStation 4. Tout bascule. Le jeu change de moteur (Luminous Engine à la place du Crystal Tools) et Nomura est remplacé par Hajime Tabata à la tête du projet. Ces multiples changements s'accompagnent d'une autre décision majeure et, à l’E3 2013, Square Enix profite d’une nouvelle bande-annonce pour révéler le nouveau nom du jeu : Final Fantasy XV. Sous la direction de Tabata, une grande partie du contenu de Versus XIII disparaît, et dans cette perte se trouvent deux tiers des morceaux déjà composés par Yoko Shimomura. Fort heureusement, la compositrice est maintenue à son poste.
En cours de production, Yoko Shimomura assiste à des revirements majeurs dans les décisions passées vis-à-vis de l’univers du jeu. Ce monde et cette histoire qu’elle tentait de retranscrire au mieux dans ses partitions ne sont plus les mêmes. Et pour ne rien arranger, le nouveau directeur avoue clairement (dans le livret de la bande originale du jeu) avoir voulu que la compositrice change d’expression mélodique. Cela se ressent sur plusieurs morceaux composés après l'arrivée de Tabata à la direction et qui ne semblent pas s'accorder à la sensibilité artistique de Pii♪. Pour combler cela, mais aussi pour lui permettre de tenir le coup avec une nouvelle bande-son à écrire dans des délais peu raisonnables, l’équipe sonore du jeu s’étoffe. Compositrice de la majorité des morceaux, Yoko Shimomura est épaulée, entre autres, par le couple Tetsuya Shibata et Yoshino Aoki, plutôt habitués des productions Capcom. De leur côté, Yoshitaka Suzuki et Shota Nakama prennent en charge une grande partie des arrangements du jeu. Un travail colossal que Yoko Shimomura n’aurait jamais pu réaliser seule.
Ces changements impliquent que l'univers musical de Final Fantasy XV n'est pas l'œuvre de Yoko Shimomura seule, comme le laissent entendre les crédits des plateformes de streaming, mais surtout qu'il se compose désormais de beaucoup de sensibilités artistiques différentes. Et cela se ressent à l'écoute. Coup de cœur, tout de même, pour Yoshitaka Suzuki qui signe mon morceau préféré de toute l’OST, Hellfire, qui donne une envergure dantesque au combat contre Ifrit avec un climax époustouflant et une fin bouleversante. Avant de revenir à Yoko Shimomura, il est important de souligner aussi l’importance du travail de Shô Iwamoto, responsable de l’implémentation dynamique des musiques du jeu grâce à l’utilisation du système MAGI pour "Music API for Gaming Interaction" (rien à voir avec le super ordinateur dans Neon Genesis Evangelion). Son travail a largement majoré l'impact de certains morceaux de l'OST en magnifiant leur intégration en jeu.
Tetsuya Nomura n’était pas un directeur facile et il fallait s’accrocher pour réussir à comprendre ses attentes, mais ses validations étaient définitives. À l’inverse, Hajime Tabata donne très vite son aval avant de revenir sur sa décision lorsque l’on pensait pouvoir passer à autre chose. Une autre forme d’errance communicationnelle qui n’a probablement pas aidé Yoko Shimomura à avancer sereinement dans son travail. À cela s’ajoute l'envie du réalisateur de rendre “hollywoodienne” l’ambiance de Final Fantasy XV. Un style que l’on se voit difficilement accoler aux musiques de la compositrice. Pour combler ses attentes, le directeur fait appel à John Graham (compositeur pour plusieurs trailers de films) afin d'écrire la majorité des musiques de Kingsglaive, le film d’animation se déroulant avant Final Fantasy XV et censé poser les bases de son scénario. C’est aussi lui qui arrangera des mélodies de Yoko Shimomura pour le trailer Dawn présenté en 2015.
Nous ne saurons jamais ce qu’aurait pu être cette OST de Final Fantasy Versus XIII. Seuls quelques morceaux ayant survécu au changement de direction nous permettent des projections et des suppositions. Yoko Shimomura a-t-elle été conservée sur le projet uniquement parce qu’elle était déjà en place ? Difficile à dire. Mais on remarque son absence presque totale dans les compositions pour le contenu additionnel (mises à jour et DLC) sorti après le jeu. Ce n’est qu’avec l’arrivée de l’Édition Royale du jeu que l’on a eu droit à un nouvel arrangement et un morceau, Encelevenemus - Kingly Compassion qui clôt son travail pour Final Fantasy XV, 12 ans après l'avoir entamé.
Hors jeux
Le passage au statut de freelance en 2002 a permis à Yoko Shimomura d’élargir la provenance de ses commandes. C’est ainsi qu’en 2004, elle signe la bande-son de l’animé Dan Doh!!, centré autour du golf et adapté du manga éponyme. Par la suite, elle compose pour d’autres animés, Best Student Council en 2005, Napping Princess en 2017, High Score Girl en 2018, et Legend of Mana: The Teardrop Crystal, inspiré du jeu dont elle avait composé les musiques.
En 2007, son attrait pour le monde de la chanson l’amène à s’associer à la chanteuse Chata le temps d’un album dont elle compose les musiques, Murmur.
Plus récemment, elle fut commanditée pour écrire la musique d’entrée des équipes de rugby durant la Coupe du Monde au Japon en 2019, "Blooming in the Dawn".
À la demande du producteur allemand Thomas Böcker, elle rejoint l’aventure musicale Merregnon et compose le conte de fée symphonique Merregnon: Land of Silence qui bénéficie d'arrangements de Yasunori Nishiki (Octopath Traveler). À l’instar du Carnaval des Animaux de Saint-Saëns, il s’agit d’une invitation à destination des enfants pour découvrir en famille la musique orchestrale. La partie contée étant initialement en allemand, nous avons la chance de bénéficier d’une traduction réalisée par Jérémie Kermarrec (décidément), et d’un accès total et gratuit en ligne au spectacle. Si l’univers de Merregnon vous intéresse, sachez que Nobuo Uematsu a lui aussi composé pour un spectacle du même genre, Merregnon: Heart of Ice.
Et maintenant ?
Au terme de son travail pour Final Fantasy XV et Kingdom Hearts III, la carrière de Yoko Shimomura ne s’est pas arrêtée, loin de là. Après avoir composé le morceau Shiva pour Streets of Rage 4, et un autre, La Giustizia, pour le jeu mobile Sin Chronicles (dont l'OST contient les noms de Yoko Shimomura, Kenji Ito, Masahi Hamauzu, Yasunori Mitsuda, Yuzo Koshiro, Motoi Sakuraba…), elle revient dans l’univers de Mario avec Mario + The Lapins Crétins: Sparks of Hope pour lequel elle compose plusieurs morceaux aux côtés de Gareth Cooker (Ori) et Grant Kirkhope (Goldeneye 007, Banjo-Kazooie…). La suite, ce sera très probablement Kingdom Hearts IV dans un avenir difficile à évaluer, mais aussi Reynatis, un RPG attendu au Japon en juillet prochain.
Rifampicine
Je vous dirais bien ce que j'aime comme style de jeux mais ça change toutes les 6 heures. Alors disons que j'aime aussi beaucoup les musiques de jeux vidéo et écrire dessus.
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