Si l'on s'intéresse souvent aux jeux qui abordent des questions politiques et qui parlent de sujets d'actualité chez The Pixel Post, peu le font aussi ouvertement que Solace State, du studio Vivid Foundry. Et si le jeu revendique un côté cyberpunk, il détourne les codes du genre pour nous présenter un récit centré sur la vie et les actions politiques des communautés marginalisées et fréquemment laissées de côté par l'évolution technologique. Le tout sans pessimisme, en se permettant même d'avoir de l'espoir pour l'avenir.
Lorsque j'ai fini Solace State, j'ai presque été déçue. Comment un jeu qui parle de l'actualité peut-il se permettre de présenter un monde où convaincre et réussir à présenter des faits est suffisant pour amorcer un changement de société, alors que tout autour de nous a tendance à nous prouver le contraire ? Mais, avec le recul, l'histoire d'amitié et de camaraderie racontée par Vivid Foundry est à la fois un choix plus intéressant et plus osé que ce qui est proposé par la majorité des titres qui se définissent comme cyberpunk. Et, au milieu de l'angoisse quasi permanente, la manière dont Solace State arrive à raconter le tragique tout en faisant preuve de compassion est une bouffée d'air frais, une petite parenthèse où, durant quelques heures, nous arrivons aussi à croire qu'une autre façon de faire est possible.
Hacker ouvert
Le titre s'ouvre sur une séquence qui se déroule six ans avant les événements du jeu. Rebecka et Chloe, deux amies qui ont également une relation de mentor et élève, mettent à exécution leur plan pour s'enfuir du lieu où elles se trouvent afin d'éviter que leurs talents tombent entre les mains de personnes aux idéologies plus que discutables. Et elles ont un avantage de leur côté : Chloe, le personnage que l'on incarnera pendant le reste du titre, est une iconohackeuse. Sans avoir besoin d'interfaces biotech ou de cybernétiques, elle peut se connecter au monde numérique afin de pouvoir le manipuler, sans que personne puisse se douter qu'elle possède ces capacités, d'autant que les iconohackers sont du domaine de la fiction pour la plupart des gens. Sa spécialité ? Les identités, qu'elle peut manipuler et projeter sur elle pour prendre l'apparence de quelqu'un d'autre aux yeux de ceux qui la croisent, mais aussi la récupération d'informations et de secrets bien gardés, à utiliser comme bon lui semble.
Des années après leur fuite réussie, les deux amies ont pris des chemins différents dans la vie. Chloe est journaliste et Rebecka est à présent la manager, et aussi la compagne, d'une artiste superstar et activiste du nom de Safore. Mais désormais, Chloe doit se rendre à Abraxa pour son travail, afin de suivre un confinement mis en place dans un quartier de la ville par une entreprise de sécurité et biotech du nom de NEXIR, qui déclare rechercher un terroriste. La véritable raison de sa présence cependant est qu'elle souhaite retrouver sa mentor, qu'elle sait se trouver dans le quartier confiné. Et la connaissant, ce n'est pas une coïncidence. Pour mener à bien sa mission, elle pourra profiter de l'aide de Torrent, un autre iconohacker, mais aussi de Sueli, une activiste et leader de la communauté qui subit le confinement forcé, et de son ex, Alden, un héritier d'une grande famille qui travaille désormais pour NEXIR, mais qui a lui-même des doutes concernant la communication officielle de l'entreprise.
Car oui, vous vous en doutez : dans leur recherche de Rebecka et de Safore qui l'accompagnait, le petit groupe va finir par rapidement comprendre que NEXIR ne recherche pas du tout un terroriste et a ses propres raisons de vouloir isoler le quartier physiquement, mais aussi numériquement. Tout au long du titre, à nous d'utiliser les capacités de Chloe à bon escient, afin d'obtenir les bonnes informations qui nous aideront à faire les choix que l'on trouve les plus pertinents pour la situation, dévoiler au fur et à mesure les secrets et motivations de chacun et, peut-être, commencer à lancer une révolution pour assurer à tous un futur viable, dans un monde dans lequel tout semble désespéré.
Pour illustrer son récit, Vivid Foundry a fait le choix d'images fixes, mais présentées de façon dynamique. La caméra bouge et nous emmène dans une nouvelle illustration d'une zone, zoome sur un visage ou sur l'intérieur d'un bâtiment au moment opportun ou tourne autour d'un building pour nous présenter une nouvelle façade. Les textes eux-mêmes occupent l'espace. En dehors des dialogues et des informations récupérées lors des hacks, qui sont présentés de manière classique pour faciliter la lecture, la narration et les descriptions peuvent être trouvées sur des murs ou sur le sol, parfois dans des angles particuliers, comme pour se fondre dans le décor et se rapproprier des espaces publics avec les récits. Un choix qui a du sens si l'on considère les sujets abordés par le titre, mais qui complique légèrement la compréhension et la lecture lors des grandes phases narratives, notamment au tout début. Mais, rien qui ne pose réellement problème sur le long terme, d'autant que le reste profite d'une interface agréable. Tout dans Solace State, de son interface à sa musique, sans oublier sa direction artistique, est un ensemble qui illustre parfaitement une histoire qui cherche à répondre à une question complexe : comment créer de l'espoir, se trouver et s'engager politiquement dans un monde cyberpunk dystopique ?
Bien commun
Si Solace State a comme sous-titre "Histoires émouvantes de cyberpunk", en réalité, Vivid Foundry utilise les récits personnels de chacun de ses personnages comme autant de manières de montrer comment des motivations, au premier abord purement égoïstes, peuvent se rejoindre dans une action politique globale. Si Chloe est censée être à Abraxa en tant que journaliste, elle ne cherche qu'à retrouver sa meilleure amie, sans forcément se soucier profondément du drame social qui se joue. De même, chacun des autres personnages que l'on rencontre possède son propre objectif, qui semble au premier abord détaché des événements tragiques qui prennent place dans leur monde.
Pourtant, ce sont chacune de ces motivations personnelles et expériences de vie diverses qui vont permettre au groupe d'amis de se rejoindre dans un but commun et plus global et même de réussir à l'atteindre, au prix de sacrifices et de remises en question de leurs points de vue. Au-delà des histoires individuelles, elles-mêmes importantes, c'est donc une histoire qui est principalement racontée, celle du pouvoir et de l'importance du nombre. Même si l'on incarne Chloe, le jeu n'oublie jamais de nous rappeler qu'elle fait partie d'un groupe, mais aussi plus globalement d'une communauté, que chaque choix va impacter. Décider de prendre l'apparence de telle personne ou de hacker le cerveau d'une autre pour modifier en profondeur ses souvenirs ou lui injecter des émotions n'est pas anodin et peut avoir des répercussions pour leur avenir et celui de leurs proches, même si l'action peut nous aider à court terme. Également, choisir de servir ses intérêts peut signifier que l'on condamne un groupe de personnes que l'on ne peut pas aider ou qui pourra payer collectivement pour les conséquences de nos actions.
Et on retrouve bien chez Solace State certaines des caractéristiques du genre du cyberpunk : monde dystopique plongé dans la dictature, grosse corporation technologique surpuissante qui utilise son pouvoir politique et son importance dans la vie quotidienne des personnes pour imposer son contrôle, technologies envahissantes et peu régulées... Mais, au contraire de la majorité des œuvres du genre, le titre a mis de côté le pessimisme et les anti-héros désabusés pour se concentrer sur un optimisme déconcertant. C'est d'ailleurs probablement sur ce point que le titre de Vivid Foundry peut diviser, mais le choix est assumé. En 2022, Tanya Kan, directrice du jeu, parlait dans un post de blog des choix narratifs qui ont été faits pour Solace State et de la difficulté à trouver un équilibre entre être trop sombre ou trop mettre en avant l'espoir. Dans son texte, on trouve une phrase qui résume assez bien l'œuvre finale : "Talking can be resistance, too". C'est vers cette idée que le titre semble nous pousser en permanence, avec son choix du genre du visual novel, les capacités de Chloe, la façon d'organiser la résistance à base de débats et prises de parole, la recherche de la vérité qui semble pouvoir tout régler et les réprimandes de certains des personnages lorsque l'on tente une approche plus frontale. Et, il faut le dire, je n'ai pas toujours été convaincue.
Car malgré la présence d'éléments technologiques futuristes, Solace State n'essaie pas vraiment de se projeter dans un futur possible ou de réellement commenter l'utilisation de la technologie, comme peuvent le faire certaines œuvres du genre. Plusieurs séquences nous présentent des problématiques très actuelles, avec des personnes qui se sont engagées dans l'armée afin de pouvoir avoir accès à une éducation supérieure, la place de plus en plus réduite des artistes dans notre société, qui sont obligés d'équilibrer plusieurs jobs pour avoir les ressources pour créer, ou encore l'opposition des travailleurs à l'action syndicale, dans leur peur de perdre leur job s'ils osent s'opposer aux conditions de travail que leur impose le capitalisme.
Difficile alors de ne pas parfois lever les yeux au ciel face à ce qu'on perçoit comme une certaine naïveté, quand on voit Chloe et ses amis réussir à réunir une communauté et commencer une révolution en n'ayant comme arme que de grands discours et les preuves de la vérité. Si l'ambiance actuelle nous a bien montré une chose, c'est que les faits sont faibles face aux croyances bien ancrées. J'attendais donc le moment où le jeu allait prendre une autre tournure, où il allait me faire comprendre que non, évidemment, les choses ne fonctionnent pas comme ça dans la vraie vie, que parler ne suffit pas, sinon une bonne partie des problèmes seraient déjà réglés dans le monde. Mais, ce n'est pas notre monde. C'est celui de Solace State, avec ses hackers qui n'ont pas besoin d'interface pour utiliser leur talent, avec ce groupe d'amis unis dans l'adversité, et ici, l'espoir est permis et ces méthodes peuvent fonctionner, même quand une entreprise a le pouvoir de contrôler une population.
En vérité, personne ici n'est naïf et malgré la facilité avec laquelle nos personnages semblent réussir à faire tourner le vent en leur faveur, Solace State ne tombe jamais dans l'optimisme béat. Il détaille les problèmes auxquels sont confrontés les activistes, toujours tiraillés entre la nécessité de trouver des alliés sans pouvoir totalement déterminer leurs motivations et l'appel à la modération dans le but de réunir, même si cela signifie devoir faire des sacrifices sur ses demandes. Entre ces rappels et les doutes évoqués régulièrement par nos héros, tout n'est pas toujours parfait ou facile, même lorsque l'on est convaincus de suivre le bon chemin. Après quelques heures, finalement, on comprend que Solace State a choisi de présenter l'espoir. Et c'était clairement le meilleur choix. Malgré mes critiques et mes quelques soupirs, il faut le reconnaître : il n'y avait aucun intérêt à ajouter du pessimisme à des situations déjà proches de notre quotidien et qui ne semblent pas avoir de résolutions satisfaisantes en vue. Alors, autant utiliser le jeu vidéo pour montrer une autre voie, un monde où, réellement, parler est une révolution. Une décision que j'ai finalement appréciée, d'autant qu'elle est largement aidée par des dialogues bien écrits, intelligents et qui possèdent toujours la pointe de réalisme suffisante pour que l'on y croie.
Mais, avec 38 dénouements possibles d'après le studio, il est également possible que tout cela ne soit que le résultat de mes propres décisions et qu'une autre personne arrive à une conclusion entièrement différente. Il faut le reconnaître, il est difficile de décevoir le casting attachant du jeu en allant totalement à l'encontre de leurs convictions, et parfois, comme les personnages, j'ai dû accepter de faire des concessions pour sélectionner ce qui me semblait être le meilleur choix pour tous. N'est-ce pas cela, après tout, qu'essayait de me faire comprendre Solace State ? Dans ce cas, mission accomplie.
Solace State a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur les consoles Xbox.
Solace State et moi, ça n'a pas été le coup de foudre attendu dès les premières heures. Mais, difficile de ne pas être séduite par sa manière d'aborder frontalement des sujets politiques actuels, sans hésitation, et par sa capacité à parler de thèmes sensibles tout en présentant un certain optimisme presque agaçant, mais surtout charmant. Rarement un jeu semble autant être le résultat d'un besoin irrépressible d'exprimer sa peine, son désarroi, d'exposer à tous certains problèmes de société trop peu mis en avant, tout en offrant l'aperçu d'une autre voie plus plaisante que celle dans laquelle l'on semble s'engager actuellement. Même si l'on pense être déjà sensibilisés sur ces questions, Solace State est une œuvre importante, intelligente et avec sa propre identité, quitte à ce que parfois, tout ne fonctionne pas totalement.
Les + | Les - |
- Très bien écrit | - Il a fallu un peu de temps pour rentrer dans l'histoire |
- Une DA intéressante... | - ... Mais qui peut déplaire |
- Une manière intelligente et pertinente d'utiliser le jeu vidéo pour parler de politique |
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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