1,2,3 croix…1,2 croix…1,2,3,4…dans l’autre sens maintenant. 1,2,3,4 croix…1,2 croix…1,2,3. Si vous avez déjà entendu ce genre de phrases dans votre vie, il y a deux solutions : soit vous avez eu un professeur de danse qui n’avait aucun sens du rythme, soit vous connaissez ou vous êtes déjà un fervent membre de notre religion à la gloire de notre dieu unique : le Picross.
Nous sommes vers la fin de l’été 1995, dans la modeste demeure familiale, et une dispute éclate entre mon frère et moi pour pouvoir jouer au dernier jeu estampillé Mario sorti sur Gameboy. Une dispute rapidement stoppée par notre père qui récupère la console et décide de jouer à notre place, lui qui pourtant ne touche même pas à Tetris et encore moins à un jeu d’action. Il faut dire que ce Mario n’est pas un jeu de plates-formes mais un jeu de réflexion au doux nom de Mario’s Picross.
Les tables de la loi Picross
Petite pause pour les quelques âmes innocentes qui n’ont jamais entendu parler du Picross. Le principe est simple : vous disposez d’une grille vide dont il faut noircir certaines cases, vous permettant ainsi de faire apparaître un dessin représentant un objet/une scène/un tableau (du pixel art en quelque sorte).
Pour vous aider dans votre divine mission, vous disposez en haut et à gauche de votre grille (qui peut être de taille réduite type 5×5 jusqu’à une taille plus imposante de 15×20 et même plus) de chiffres indiquant le nombre de cases à noircir à la suite sur la ligne ou la colonne correspondante. La difficulté venant du fait de savoir combien de cases resteront blanches entre deux séries de cases noircies.
Petit exemple plus concret : si à gauche de ma ligne je vois les chiffres 3 et 4 je sais que je vais devoir noircir une série de 3 cases puis une série de 4 cases. En revanche, je ne sais pas le nombre de cases blanches qui vont séparer ces deux séries (sachant qu’il doit y en avoir au minimum une).
Rapidement on découvre que le plus important n’est pas de noircir les cases sur notre grille mais de savoir lesquelles ne pas noircir. Et alors que l’on commence par jouer ligne par ligne ou colonne par colonne, on comprend vite qu’il faudra jongler avec les deux en même temps pour trouver la solution.
Une foi sans cesse renouvelée
De retour en 1995. Le plaisir de la découverte fut malheureusement de courte durée : 192 grilles plus tard et Mario’s Picross (qui avait un avantage majeur par rapport à la version papier du Picross, puisqu’il pouvait indiquer au joueur si ce dernier faisait une erreur) était fini. Il y a bien eu quelques suites mais aucune n’est sortie en dehors de l’archipel japonais.
C’est 12 ans plus tard (en 2007 pour celles et ceux qui ont la flemme de faire le calcul) que les braises du Picross vont être ravivées avec la sortie de Picross DS (comme vous pouvez vous en douter, le jeu n’est pas sorti sur la PSP…). La console portable de Nintendo est parfaite pour ce jeu qui va, en plus de ses 300 puzzles de base, inclure des modes plus difficiles comprenant notamment la disparition de certaines des indications chiffrées mais aussi un mode multijoueur compétitif.
Alors que j’avais oublié les sensations de Mario’s Picross, ce jeu fut l’occasion de replonger dans la religion du dieu Picross tête la première. Et rapidement l’effet Madeleine de Proust a été transformé en foi ardente.
Vous avez déjà trop joué à Tetris ou Minecraft au point de tout voir sous forme de blocs ? Vous avez déjà enchaîné trop de morceaux à Guitar Hero au point de voir le monde défiler du bas vers le haut comme si des notes allaient apparaître ? Maintenant imaginez le monde transformé en grille géante pendant que votre esprit énumère chiffres et croix symbolisant les cases à remplir et celles à laisser en blanc.
Et Picross DS ne fut que le début puisque depuis 2012 on a pu trouver régulièrement sur l’eshop les jeux Picross e (le 8ème est sorti en début d’année) apportant chacun des nouveaux packs de niveaux (pour 5 pauvres euros le jeu…c’est moins cher que la cocaïne et tout aussi addictif) ainsi que de nouveaux modes de jeu plus complexes comme le Micross qui divise un grand tableau en plein de petits Picross).
On va même trouver des spin-off avec un Picross Zelda Twilight Princess (pour celles et ceux qui veulent dépenser des points de Club Nintendo) et un Pokémon Picross (ce dernier reste à éviter même si je m’incline devant les développeurs pour avoir réussi à caser du free to play dans un jeu Picross).
Comme si cela ne suffisait pas, la Nintendo DS va connaître une variante majeure au Picross avec les jeux Picross 3D ou comment prendre un concept de grille en 2D pour le magnifier en 3D transformant le joueur en sculpteur de blocs pour y faire apparaître des objets. Enfin aujourd’hui même la Switch est touchée puisque déjà 2 jeux dédiés au maître des puzzles sont sortis en l’espace d’un an et demi (et c’est sans compter les versions PC et portables, gratuites comme payantes).
Comment ça une secte ?
Alors on enchaîne les niveaux, on est rapidement atteint du syndrome du « allez encore un » (on peut mettre en pause un niveau mais sérieusement qui oserait faire ça ?), et cela va même plus loin puisque s’y ajoute le syndrome du « bon je finis cette ligne de niveaux et j’arrête ».
Parfois la seule raison qui pousse à l’arrêt, c’est ce doigt de votre main qui ne supporte plus la pression constante des touches alors que votre membre est crispé depuis de longues minutes à enchaîner les niveaux (ah…si seulement il existait un moyen de prendre soin de son corps…). Mais si vous savez, ce même doigt qui fait que vous ne gagnez jamais à Track & Field et dans les mini-jeux de vitesse à Mario Party !
Et puis les jeux récompensent les joueurs avec une petite médaille s’ils n’utilisent pas l’aide de base alors on refait certains anciens niveaux…et on découvre que si on utilise vraiment aucune aide du tout, la médaille est un peu plus grosse alors on refait encore une fois le niveau (si le jeu prévenait avant aussi…).
N’allez pas croire que le jeu vous maltraite, Picross est un dieu miséricordieux qui récompense ses fidèles : vous avez déjà les autres titres de la série ? Picross e le sait (oui, il est omniscient) et offre quelques niveaux supplémentaires, gloire à lui !
Aujourd’hui Picross n’est pas le jeu de réflexion le plus connu ou le plus joué. Mais demandez donc à cette personne qui a rejoint notre congrégation vidéoludique et que, bizarrement, vous ne voyez plus aussi souvent qu’avant : elle vous dira tout le bien qu’elle pense de la résolution des puzzles, elle vous parlera du petit pic d’adrénaline quand, bloquée depuis plusieurs minutes elle trouve enfin une nouvelle case à remplir, et elle aura un grand sourire tout du long. Et puis vous remarquerez ses cernes, et son pouce qui bouge sans raison à la simple mention du mot Picross. Vous aurez un moment d’hésitation mais pas d’inquiétude, la curiosité vous fera tester un premier puzzle, et alors, vous serez déjà des nôtres…
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