Dans un monde où l’extrême-droite gagne du terrain tous les jours (il suffit de regarder les résultats aux européennes), les studios de jeux vidéo trouvent encore le moyen de se démarquer en se voulant apolitiques, au point qu’EA puisse dire sans tiquer « qu’ils ne font pas de déclarations politiques à propos de la Seconde Guerre mondiale dans leurs jeux ».
On a déjà parlé de ce sujet sur le site, quand Ubisoft refusait de diaboliser l’alt-right américaine dans son Far Cry, au point de totalement aseptiser leur jeu. Ai-je besoin de vous faire un inventaire du résultat de l’élection de Trump aux USA et des conséquences désastreuses sur les minorités et les femmes ? Mais non, même quand il parle de ça, le jeu vidéo ne veut pas parler de ça. Probablement la peur des fervents supporteurs de l’alt-right, qui crient toujours très fort tout en ratant lamentablement leurs boycotts à chaque fois. Parce que ces gens-là ne jouent pas vraiment aux jeux vidéo. Allez donc faire un tour sur 4chan : ils ne sont pas le public de toutes ces grosses entreprises. Et pourtant, d’une façon inexpliquée, tous les studios continuent de se terrer dans leur apolitisme, légitimant par là même des idées d’extrême-droite comme des opinions politiques valables.
On arrive donc à EA qui a récemment franchi un pas dans l’ignoble, après une polémique sur l’un de leurs « méchants » qui portait le nom d’un résistant réel. Au lieu de se comporter comme des personnes normales, de s’excuser, de procéder au changement et peut-être faire une lettre pour expliquer que la confusion était inacceptable etc etc, ils ont cru bon de rajouter que leur personnage n’était pas un nazi mais un « soldat allemand » et que de toute façon, ils ne faisaient pas de déclaration politique sur la Seconde Guerre mondiale, regardez, la preuve, il n’y a pas de croix gammée dans leur jeu. Le manque de réaction général suite à cette déclaration est choquant. Quelques articles ont été faits et puis on est passés très rapidement à l’E3, la polémique n’apparaît déjà presque plus sur Google Actualités, noyée sous un flot de papiers concernant Fifa ou le futur jeu Star Wars.
Finalement, tout le monde avait raison : le temps passe et les gens oublient. Aujourd’hui, il est normal de considérer l’extrême-droite comme des politiques comme les autres. Certains fans de Star Wars s’identifient tranquillement au First Order, alors même que toute l’iconographie nazie les entoure. Des représentants chez Ubisoft considèrent qu’être apolitique est une preuve de maturité et que cela permet aux joueurs d’explorer tous les points de vue politiques qu’ils souhaitent et que leur rôle est de ne pas prendre position, que tout le monde a raison parce qu’ils n’ont pas la vue d’ensemble et que le jeu vidéo apolitique permet de l’apporter. Ca ne me choquerait pas si on parlait d’un clivage gauche-droite traditionnel, je ne porte pas les conservateurs dans mon coeur mais il serait néfaste de ne vouloir que des jeux de gauche. Mais on va jusqu’à l’extrême-droite maintenant. Jusqu’aux nazis.
J’ai la chance de ne pas avoir la possibilité d’oublier ce qu’a fait la Seconde Guerre mondiale. C’est une carte que je n’aime pas jouer en temps normal, mais quelqu’un de ma famille encore en vie aujourd’hui a vécu tout cela de très près, de trop près, et en a gardé des séquelles physiques et morales toute sa vie. A tous les repas de famille, on me rappelle que ce que c’était, l’horreur, la peur, la destruction, la mort. Et à côté de ça, j’ai une société multi milliardaire qui me laisse sous-entendre que tout ça ne compte pas, que notre devoir de mémoire est passé et qu’aujourd’hui, dire que les nazis sont des putains de monstres, c’est inacceptable, trop dangereux et qui ça risquerait même de froisser leurs sentiments. Et des journalistes qui gobent ça sans broncher, passant très rapidement à la suite du calendrier dicté par ces mêmes entreprises qui brisent leurs employés, qui profitent de leurs clients et qui en plus de tout ça, encouragent dans un sens l’extrême-droite. Quand un représentant d’Ubisoft regrette que ses employés se censurent quand ils trouvent que quelque chose est trop stéréotypé ou irrespectueux, qu’est-ce qu’on est censé entendre d’autre que « je n’ai aucun problème avec les stéréotypes raciaux et on ne devrait pas s’empêcher de franchir cette ligne » ? Mais franchement, au final, pourquoi suis-je encore surprise ? Après d’innombrables articles les conditions de travail et sur le harcèlement moral que subissent les employés, surtout si ce sont des femmes, des membres de la communauté LGBT ou des gens d’origine étrangère, pourquoi suis-je toujours choquée que les studios relaient des idées d’extrême-droite dans leur jeu ou du moins, qu’ils ne les combattent pas assez farouchement et qu’il n’y ait aucune réaction ?
L’E3 est déjà pratiquement là, et j’aimerais espérer que les journalistes sur place ne lâchent pas les studios sur la question, qu’ils attendent d’avoir une réponse acceptable sur le sujet avant de faire leur pub sur les titres qui seront annoncés. Le boycott et le cancel ne sont pas la solution, ça n’aurait aucune conséquence. Non, ce qu’il faut, c’est les faire parler, ne pas les laisser s’exprimer sur un autre sujet jusqu’à qu’ils comprennent à quel point ce qu’ils disent est horrible et insultant. En ne voulant pas faire de politique, les studios de jeux vidéo font très clairement le jeu de l’extrême-droite. Et si les partisans de cette idéologie ne veulent pas de politique dans leurs jeux vidéo, je refuse que mon loisir se transforme en validation de ces idées, mises au même niveau que les autres.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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