On a vu dans notre première partie que la gestation du projet qu’a été Red Dead Redemption fut plus que difficile. Il ne s’agit plus ici de détailler les affres du développement mais de se concentrer sur le jeu, à savoir ses mécaniques et son monde ouvert. Car Rockstar fait figure de maître dans le domaine et Red Dead n’échappe pas à la règle, faisant même, à posteriori, figure de précurseur de ce que sera le monumental Gran Theft Auto V. Mais plus encore que GTA V, dont le monde ouvert se destinait finalement à toutes les folies du mode Online, Red Dead est d’abord pensé pour son solo et a établit ses règles en conséquence. Mais comment ce titre est-il devenu une référence ? C’est à cette question qu’on va essayer de répondre dans cette seconde partie avec en point central le rapport à son monde. Cette partie, contrairement à la première, est beaucoup plus subjective et vous êtes donc libre de laisser un commentaire pour dire du mal de mon article si vous n’êtes pas d’accord ou de nous envoyer des chocolats si vous aimez.
L’open world de Red Dead Redemption comme outil
Les open worlds… On en voit partout et tout le temps, sous toutes les formes.. Mais analyser celui de Red Dead Redemption à l’aune de ce qu’on peu trouver n’est plus tellement pertinent. A l’inverse, observer ce que proposent les OW (on va gagner du temps hein) d’aujourd’hui et déceler les héritages de Red Dead dans d’autres jeux peut être intéressant. Le monde de Red Dead n’a pas été conçu comme une nécessité, ou un but à atteindre pour rendre le jeu intéressant aux yeux des joueurs. Il est là et uniquement là pour servir le scénario et les mécaniques de jeux tout en enveloppant le titre dans son ambiance de conquête de l’Ouest (ou plutôt sa fin). Le monde est construit dans un rapport multiple avec les autres couches du jeu. D’ailleurs, l’homme qui a chapeauté le monde ouvert, Leslie Benzies fait écho à notre première partie puisqu’il a depuis quitté Rockstar North après avoir préalablement poursuivit l’éditeur en justice pour des raisons similaires à ce dont on parlait dans la première partie.
Le but premier de l’open world de Red Dead Redemption est de garantir l’immersion en y intégrant tous les éléments nécessaires au plaisir de jeu. C’est à dire offrir au joueur un environnement qui lui donnera l’envie et l’impression d’incarner son personnage, le poussant par conséquent à agir d’une manière ou d’une autre pour progresser ou simplement observer. A ce titre, l’intégration de toute l’imagerie de l’ « American Frontier » est fondamentale. Resituer le Western dans un contexte pré-industriel, et lui donner une assise géographique pour créer un sentiment presque historique. L’utilisation du Rio Grande, fleuve frontière, au milieu de la carte pour signifier la limite entre États-Unis et Mexique (alors en pleine révolution) répond à cette exigence, de même que les éléments tels que les lignes électriques viennent souligner la mutation que connaît l’univers du jeu.
Le monde ouvert de Red Dead Redemption alterne également entre lieux très identifiables comme par exemple les villes, les canyons ou encore les mines avec au milieu, un espace quasi vide. Si pour beaucoup de jeux actuels cela pose un un problème dans l’optique d’occuper le joueur, dans Red Dead, il apparaît comme différent. Comme on est à pied ou à cheval et qu’on peut s’y aventurer à souhait en sortant des sentiers battus, il apparaît comme un élément d’immersion là aussi. Il donne l’illusion au joueur de la distance et de la liberté d’exploration même si on passe rapidement d’un « biome » à un autre, par exemple des terres quasi désertiques mexicaines aux neiges du nord. Tout est disposé comme un décor de cinéma (l’ambiance western aide beaucoup) présent comme un support et pas une finalité. Le scénario du jeu, tout comme les quêtes secondaires s’insèrent parfaitement au travers de lieux mémorables au sens stricts. Le monde ouvert sert le jeu et inversement.
« Red Dead Redemption a pensé son monde ouvert comme un outil de game design à part entière »
Il n’est pas nécessaire pour Rockstar de le remplir à raz bord d’éléments à collectionner, car c’est la cohérence narration-gameplay-environnements qui créent l’intérêt de l’utilisation du monde ouvert. « Red Dead Redemption, est un open world pensé entièrement comme un support à l’expérience, l’open world n’est qu’une façon de faire du level design et que ce dernier est un outil au service du game design » disait Game Next Door dans sa vidéo dédiée à l’open world, notamment celui de Red Dead . Et je ne peux que rejoindre cette analyse, dans le sens où « open world » est devenu par la suite un argument de vente et donc un but à atteindre, limitant trop souvent l’espace de jeu à un grand fourre tout d’activités insipides.
Des activités totalement intégrées qui évitent la gratuité
Le risque de l’open world est la peur du vide. De nombreux titres, (coucou les jeux Ubi et Horizon Zero Dawn), aussi bons soient-t-ils ou non, sont incapables de laisser le joueur s’imprégner du monde en lui collant des quêtes annexes, des objets à ramasser (les plumes d’Assassin’s Creed II) ou des audio logs à ne plus savoir qu’en faire. Horizon par exemple, possède des quêtes secondaires bien écrites, mais les personnages ne sont développés que brièvement, ne laissant pas le joueur s’immerger un peu plus. En sollicitant ainsi le joueur continuellement, certains titres oublient de laisser du temps au joueur. A l’inverse, chaque lieu visité pendant le scénario principal ou pendant l’exploration de Red Dead Redemption trouve sa place à un moment ou un autre, se servant de cela pour ses activités annexes. Du fortin militaire à la ville cliché des westerns en passant par les villes fantômes jusqu’à la petite ville mexicaine frontalière, chaque lieu est très marqué et sciemment disposé pour raconter quelque chose. On ne se trouve donc non pas en présence d’un monde pensé pour donner à voir mais comme un décor, pensé en tant que tel. Et je dois dire que l’effet à été total sur moi, qui n’était pas fan de Western. J’ai été totalement absorbé par ce monde dont le comportement me surprenait encore plus que ne l’avait fait Morrowind en son temps.
De la même manière, les activités annexes sont bien intégrées et on ne sent pas ou peu la volonté forcée du développeur de proposer du contenu. Dans les villes, vous retrouvez le lancer de fer à cheval, du poker, la possibilité de boire jusqu’à en tomber , les duels (selon votre réputation) ou encore le jeu du couteau. Vous pouvez même participer à des rondes de nuit pour protéger le bétail des voleurs. Rien de choquant dans une cité de western ou dans un ranch. De plus chacune de ces activités est à faire avec des PNJ qui eux mêmes ont leur emplois du temps, ce qui renforce l’immersion.
Quid dans ce cas de la proposition dans les étendues sauvages ? Et bien c’est pareil mes p’tits potes. Attaque de diligence, guet-apens par des bandits, quêtes secondaires à découvrir (en quantité honnête et pas de quoi noyer le joueur). Et surtout, chasses aux trésors et chasse tout court ainsi que dans une moindre mesure, la cueillette. Les deux premiers sont primordiaux. D’une part, la progression n’est pas soumise à l’accomplissement de ces quêtes, elles n’offrent que des bonus en plus d’un prétexte à l’exploration. La chasse de divers animaux (déso les défenseurs des bêtes) permet à terme de débloquer des nouvelles tenues (avec d’autres conditions à remplir) ou des armes pour John Marston.
« De la collecte et des activités annexes sont proposées, mais aucune ne s’impose au joueur, et se fondent totalement dans l’espace »
Complètement dispensables donc, mais le dosage malin des missions de chasses, qui comprennent aussi des traques d’animaux légendaires comme le Jacktalope, donnent envie de s’y pencher. De leur côté les chasses aux trésors demandent carrément un investissement du joueur puisqu’elles nécessitent d’aller acheter les cartes chez les marchands. Il s’agit donc d’une démarche du joueur vers le jeu pour en creuser le gameplay. Là encore ressort la finesse avec laquelle le monde et les mécaniques ont été travaillés. Enfin côté activité, reste la chasse à l’homme qui vous permet de ramener morts ou vifs des, de quoi profiter de gunfights supplémentaires (à la physique perturbante dans les mouvements) et récupérer quelques dollars.
Finalement, pourquoi cet open world reste une référence ? Simplement parce que tout ce qu’on vient d’expliquer ne fonctionne QUE dans Red Dead Redemption. Le jeu n’a pas été pensé à partir de « on va faire un monde ouvert », mais comme un outil, un élément à part entière du titre, pensé dans son ensemble. Tout ce qui existe dans le monde de Red Dead ne se justifie qu’à travers lui-même et rien ne garanti que 8 ans après et les montagnes de mondes ouverts sortis, Red Dead Redemption 2 parviendra à un tel niveau de cohérence d’ensemble. Rien ne dit qu’il ne se prendra pas les pied dans le tapis de l’open world facile à marketer. Lorsqu’il sort en 2010, Red Dead Redemption apparaît comme un jeu solo quasi-ultime, grand et capable de proposer une liberté rare sans sacrifier la qualité d’écriture. Il est très peu concurrencé, si ce n’est par Rockstar lui même. Mais l’open world est devenu presque un genre à part entière aujourd’hui, et de nombreux jeux s’y cassent les dents. Pour autant, il a aussi évolué. Là où Red Dead s’est limité en quantité, un Witcher 3 met beaucoup de points d’intérêt sur la carte, mais rares sont ceux qui ne sont pas rattachés à un élément de narration, même minime.
On n’a pas parlé en détails de l’intégration de la narration dans cet open world et c’est normal puisqu’il s’agira de notre troisième partie, qui s’axera autour de deux choses : l’écriture du scénario, en y incluant le personnage de John Marston, et des quêtes secondaires.
Mallory Delicourt
Rebut de l'Education Nationale, il étudie désormais la géographie de la Temeria, la mécanique de Mario Kart et les méthodes d'infiltration des agents augmentés.
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