Sorti le 11 février, Puppy Cross est le dernier évangile en date d’une religion qui continue de grandir malgré le silence des médias. L’occasion était trop belle pour passer à côté et j’ai décidé d’en profiter pour faire un point sur la multitude de jeux sortis ces dernières années mettant en avant le Picross/Nonogramme (mais on va utiliser Picross parce que c’est le terme utilisé dans les textes fondateurs). Un concept, vous allez le voir, en constante évolution.
Mots-fléchés, mots-mêlés, mots-contrefantomas… Ils sont nombreux les jeux de l’esprit qui monopolisent les cerveaux des joueurs de tout âge. Certains ont connu des pics de popularité importants mais finalement assez brefs comme le Sudoku, d’autres étaient là avant nous et seront encore là après comme les mots-croisés et ils connaissent chaque année leur moment de gloire sur les plages sous le soleil d’été. S’ils viennent du papier, ils ont tous connu des adaptations numériques, des adaptations encore plus récurrentes depuis l’apparition des smartphones.
Mais aucun d’entre eux n’a sans doute connu un essor aussi important grâce au numérique que le Picross. Cela s’explique aisément par le fonctionnement même du jeu : quand vous devez noircir les cases d’une grille à l’aide d’indices chiffrés, il reste plus simple et rapide de le faire d’une pression d’un bouton plutôt qu’en plusieurs coups de crayon, sans dépasser les lignes (oui bon ça va on a tous des points faibles !) et sans avoir à gommer précisément la bonne case en cas d’erreur. Aussi a-t-on pu voir ces dernières années une multitude de jeux estampillés Picross sortir sur tous les supports (y compris sur mobile, je conseille d’ailleurs le très réussi Picross Luna). De quoi lasser les fans ? Étonnamment non. Et cela s’explique sans doute par les différentes idées des développeurs qui se sont lancés dans l’aventure pour essayer d’aller plus loin que la simple grille de 10×10 cases à noircir. Allez, faites votre valise, on part en voyage !
Faire du neuf avec du vieux
Commençons notre aventure avec les deux licences phares sorties sur DS/3DS et Switch à savoir Picross E et Picross S. Alors vous allez me dire que je viens vous parler d’évolution dans le Picross pour finalement commencer avec les classiques, et vous n’avez pas tort. Mais il faut savoir qu’en 8 jeux sur 3DS (9 pour les japonais… Scandale) et 3 sur Switch, la licence a eu le temps de se diversifier.
Rapidement sont arrivés les Méga-Picross, ces grilles qui groupent ensemble certaines lignes et colonnes, forcent le joueur à changer sa mécanique de pensée. Plus difficiles à compléter que les grilles classiques, on pourra reprocher à Jupiter, l’éditeur de ces jeux, d’utiliser les mêmes grilles que pour les Picross classiques, donnant l’impression au joueur de faire deux fois le même jeu.
S’est ajouté à cela le Clip-Picross, une bonne et pourtant simple idée qui consiste à fragmenter le plus souvent un tableau ou une scène en une multitude de petites grilles de différentes tailles. Le joueur qui se retrouve à résoudre comme d’habitude des grilles a le plaisir de voir apparaître au fur et à mesure une plus grande œuvre. Un mode dangereux puisqu’il est difficile de s’arrêter tant que le tableau n’est pas fini.
Petit dernier en date, le Color-Picross a ajouté une mécanique supplémentaire au Picross classique, avec la nécessité non seulement de colorer la bonne case mais de le faire surtout avec la bonne couleur. La mécanique de réflexion change une nouvelle fois et il devient d’autant plus nécessaire de coordonner les informations données sur une ligne par celles données sur les colonnes qu’elle croise.
Je ne peux enfin pas passer à côté du petit cousin qu’on aimerait revoir plus souvent, à savoir Picross 3D qui a connu deux itérations sur DS et 3DS. Oubliez les grilles, ici ce sont des blocs qu’il vous faudra tailler sur trois axes pour faire apparaître des objets en sculpture, transformant le Picross au rang d’art. Le dernier jeu de la franchise pourtant très appréciée date d’octobre 2015 (même si est sorti depuis sur PC Voxelgram, qui n’égale pas l’original), autant vous dire que les fans savent être patients… Mais si vous le voulez bien, regardons maintenant comment l’industrie a cherché à animer les fameuses grilles à noircir.
Père Picross, raconte-moi une histoire
Et si au lieu d’avoir une simple liste de grilles à enchaîner les unes après les autres, on liait le tout à une licence ? L’idée n’est pas récente, énormément de fans de Picross ont d’ailleurs découvert cette religion grâce à Mario’s Picross sorti en 1995 sur Gameboy en Occident (contrairement à ses suites restées dans l’archipel nippon). Le célèbre moustachu se pare alors d’une tenue d’archéologue et au lieu de noircir les cases, il donne des coups de pioches pour découvrir des vestiges. L’occasion d’ailleurs de découvrir pour certaines grilles, des dessins liés à l’univers de Mario comme un champignon ou une étoile.
On retrouva cette idée en 2016 avec My Nintendo Picross: The Legend of Zelda: Twilight Princess, disponible sur 3DS en échange de points Nintendo. Cependant, pas de Link archéologue ici. Le seul gimmick est de proposer des grilles liées à l’univers de Zelda. Disons que son principal intérêt, en plus du simple fait de proposer des grilles de Picross, aura été de permettre aux joueurs de pouvoir enfin utiliser leurs points Nintendo. Même son de cloche pour Kemono Friends Picross sorti sur Switch, qui propose des grilles sur le thème de Kemono Friends, une franchise manga/animé/jeu mettant en scène les animaux d’un zoo transformés en jeunes filles… Arrêtons-nous ici, ça vaut mieux.
Reste enfin Picross : Lord of The Nazarick, sorti l’année dernière, qui, s’il est aussi un jeu Picross avec des grilles thématiques, est surtout vendu comme un produit d’appel pour découvrir Overlord, une série de light novels adaptée depuis en animé avec un lore assez important pour être rapidement perdu. Si le jeu propose du Picross, du Mega Picross, du Clip Picross et même du Color Picross, sa particularité est qu’il propose des discussions entre les personnages de la série permettant de raconter leurs relations, les évènements passés et ainsi rappeler des bons souvenirs aux joueurs fans mais aussi donner envie aux non-initiés de découvrir Overlord.
Je dois néanmoins reconnaître qu’on se retrouve vite perdu au milieu de ces personnages et de leurs histoires assez incompréhensibles pour un novice de la série, et arrive donc rapidement le moment où l’on passe les dialogues pour se concentrer uniquement sur la résolution des grilles.
Ce principe de thématiser les grilles et/ou de les lier à un lore déjà existant fonctionne. Après tout, le marketing utilise cette technique de merchandising depuis toujours dans tous les domaines et cela a le mérite à la fois de faire plaisir aux fans qui aiment collectionner tout ce qui peut être lié à leur série préférée, mais aussi les amateurs de Picross qui se retrouvent avec des grilles qui changent de la simple image d’un oiseau ou d’une maison déjà vue trop de fois. Mais il faut reconnaître que cela reste encore trop limité en termes d’évolution. Heureusement, certains ont pensé à rajouter du gameplay supplémentaire à leurs grilles.
P comme Pouvoir
Il est temps de parler du vilain petit canard de la famille Picross, où devrais-je dire le vilain petit Canarticho puisqu’il s’agit de Pokémon Picross. Jeu sorti sur 3DS en décembre 2015, il s’agit comme pour ceux vus précédemment d’un Picross thématisé mais avec la particularité d’être aussi un free to play. Et c’est d’ici que vient tout le problème du jeu, puisque le joueur se retrouve rapidement bloqué par le manque de stamina nécessaire pour remplir les grilles ou en débloquer d’autres. Bien sûr il est possible d’acheter cette stamina, des “picrites”, sachant qu’au moins le jeu n’est pas un gouffre sans fin puisqu’il est prévu que les picrites ne soient plus limitées une fois que 5000 d’entre elles aient été achetées (comptez 30/35 euros… L’addition est quand même salée pour un simple jeu Picross).
Et c’est vraiment dommage puisqu’au-delà de cette mécanique qui laisse franchement à désirer, le jeu proposait au joueur de débloquer des pouvoirs pour se faciliter la vie et réussir des objectifs précis (réussir une grille dans un temps donné, sans faire d’erreur etc). En effet, chaque grille finie débloquait un Pokémon qui pouvait être intégré à son équipe pour utiliser sa capacité comme stopper le temps quelques secondes pour un Pokémon de type glace. Malheureusement pour Pokémon Picross, ne reste plus de lui dans la mémoire des joueurs que cette mécanique de free to play qui n’avait rien à faire là.
Il faudra attendre le mois d’août 2019 pour retrouver une nouvelle itération sortant de l’ordinaire, un jeu arrivé sans prévenir sur Switch et qui a planté ses flèches en plein cœur des amateurs de Picross : je veux bien sûr parler de PictoQuest The Cursed Grids des 3 français de chez NanoPiko. Ici, vous ne faites pas que résoudre des grilles dans le calme et le confort de votre canapé. Vous en profitez pour affronter des ennemis qui ont une barre de vie et une barre d’attaque.
Si la barre de vie correspond à votre avancée dans la grille de Picross (en gros, elle baisse à chaque ligne ou colonne finie et l’ennemi est battu une fois la grille finie), la barre d’attaque de l’adversaire se remplit plus ou moins rapidement avec le temps, provoquant une attaque de sa part sur vos cœurs une fois celle-ci remplie à fond (votre personnage a 3 cœurs de base). Cette barre d’attaque peut être cependant baissée par le joueur s’il arrive à finir une ligne.
Le Picross devient alors beaucoup plus tactique puisque vous devez non seulement être rapide, mais aussi faire des choix : peut-être devrais-je attendre un peu avant de finir cette ligne que l’ennemi commence à remplir sa barre d’attaque pour pouvoir la baisser au bon moment ? Et cela devient encore plus tactique quand vous affrontez plusieurs adversaires en même temps dans certains niveaux, chacun ayant sa propre barre d’attaque. Il vous faudra alors jongler habilement pour éviter les coups en attaquant l’ennemi avec la barre la plus remplie, tout en vous concentrant sur votre grille bien sûr, une erreur pouvant aussi résulter en une attaque directe.
Ajoutez à cela la possibilité entre les grilles de se balader sur la petite map du jeu et d’aller chez le marchand utiliser les pièces gagnées pour acheter des améliorations et bonus de type “dévoiler une ligne” et “geler un ennemi” ou encore « potion de soin » et vous avez le meilleur concept développé autour du Picross de ces dernières années. On pourra juste lui reprocher son nombre limité de grilles (un peu plus d’une centaine) mais pour un prix réduit, difficile de passer à côté (surtout depuis qu’il est disponible depuis le début du mois sur PC et tablette en plus de la Switch).
Si vous le voulez bien, il est enfin temps de partir à l’aventure de Puppy Cross, jeu tout juste sorti sur PC, et de voir où est sa place dans le Picrossverse.
Quand mignon rime avec petite déception
Et tout commence une nouvelle fois par 3 Français (Lola Guilldou plus connue en tant que la Développeuse Du Dimanche sur YouTube, Samuel Perottet et Monplaisir à la musique) réunis sous le nom de Dimanche Corp et qui ont décidé de se lancer dans le jeu de niche (vous l’avez ?).
Puppy Cross fait partie de ces Picross thématisés, et ici tout est lié à l’univers canin. À vous les 100 grilles qui vous permettront de découvrir plusieurs dizaines de races de chiens ainsi que d’objets liés à ces derniers. Tout est très joliment modélisé et la musique, entrainante, met tout de suite de bonne humeur.
Mais Puppy Cross va plus loin lui aussi puisque, une fois une grille finie, vous débloquez l’image découverte pour pouvoir l’installer dans l’un des quatre terrains du jeu. Vous avez débloqué un berger allemand puis une niche et un bon gros nonosse ? Allez donc installer tout ça ! Puppy Cross se présente comme étant un “care game” et tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais en réalité, on sort un peu déçu de l’expérience. Les grilles de Picross restent des grilles classiques (allant de 5×5 jusqu’à 20×20), mais c’est surtout le côté “care game” qui est très limité. Vous pensiez pouvoir vous amuser avec vos canidés et objets débloqués ? Oubliez cela. L’interactivité du jeu se limite à placer vos découvertes sur les terrains. N’espérez pas pouvoir lancer la balle pour qu’un des chiens vienne vous la ramener. Tout juste pourrez-vous cliquer sur le chien pour l’entendre aboyer (oui du coup, you can pet the dog in Puppy Cross). C’est d’autant plus dommage quand on voit le travail sur la modélisation des différents chiens qui sont tous à croquer et qu’on meurt d’envie de câliner.
Résultat, on s’amuse rapidement au début à installer chaque objet une fois sa grille réalisée et puis, la 25ème grille faite, on préfère enchaîner en se disant qu’on installera tout ça plus tard (bon d’accord à l’exception des grilles débloquant des chiens, ils sont beaucoup trop mignons).
Et le reste alors ? Après tout, pour beaucoup de fans, peu importe le flacon pourvu qu’on ait le Picross. Puppy Cross est peut être la meilleure introduction au monde du noircissement de cases en raison de son tutoriel réussi et surtout de sa simplicité. Il me sera en revanche plus difficile de le conseiller aux experts qui risquent de s’ennuyer un peu (enfin je dis ça mais qui pourrait s’ennuyer devant un Picross enfin voyons !).
Une remarque cependant sur les différentes options proposées par le jeu et notamment la possibilité de griser les indices, c’est-à-dire de griser les chiffres que l’on trouve à gauche des lignes et en haut des colonnes et qui indiquent le nombre de cases à noircir. En général, griser ces chiffres permet de savoir quelles séries de cases sont déjà bien noircies et de ne plus avoir à s’en occuper quand on fait ses petits comptes. Je vous invite, si vous activez cette option, à sélectionner le mode « ordonné » et non « progressif ». Ce mode a été rajouté après la sortie du jeu et je dois reconnaitre qu’il est bien plus intuitif que l’original, qui m’a fait faire plus d’une erreur…
Finissons avec une option qui peut diviser les fans de Picross, celle du Picross illimité, qu’on appellera ici les taches de dalmatien Picross. Ce sont des grilles générées aléatoirement (et dans la taille que l’on souhaite en allant de 5×5 jusqu’à 20×20), qui, une fois finies, deviennent des taches de dalmatien. Si certains seront ravis à l’idée de pouvoir jouer à Picross à l’infini, d’autres (comme moi, je dois l’avouer) regretteront de ne pas voir apparaître une réelle forme lors du remplissage de leur grille.
Puppy Cross a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Puppy Cross est une bonne porte d’entrée pour les débutants du Picross (et pour les plus jeunes qui voudraient être endoctrinés découvrir la lumière au plus vite). Pour les joueurs confirmés, il est plus difficile à recommander, d’autant plus que les à-côtés du gameplay principal, bien que très mignons, sont trop limités pour amuser le joueur très longtemps. La possibilité offerte par le Picross aléatoire augmente certes la durée de vie du titre, mais elle dépendra du plaisir du joueur à faire une grille sans forme particulière.
Et maintenant, que vais-je faire ?
L’augmentation du nombre de fans des nonogrammes a forcé les développeurs à trouver de nouvelles idées pour renouveler le genre. Il y a eu du tâtonnement, mais le Picrossverse est sur la bonne voie et notre voyage est à présent fini… Ou n’est-ce que le commencement ?
En effet, arrive Murder by Numbers par Mediatonic (à qui l’on doit déjà Hatoful Boyfriend) et avec Masakazu Sugimor à la musique (Ace Attorney, Ghost Trick). Un jeu mélangeant Picross et enquête policière où chaque grille complétée devient un indice permettant d’avancer dans son enquête. Autant vous dire qu’il est très (très) attendu et que le 6 mars semble loin. Affaire à suivre…
Murray
J'aime me prendre la tête, mais uniquement quand c'est dans un jeu vidéo. Sinon j'aime aussi la vie, mais ce n'est pas un amour réciproque.
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