En développement depuis une demi-décennie, maintes fois réputé annulé et œuvre d’une équipe minuscule nourrie aux JRPG des années 90, YIIK est finalement sorti, accolé du sous-titre pour le moins ronflant de « RPG post-moderne ». Un projet sur lequel plane l’ombre envahissante de nombreux Grands Anciens nommés Persona, Earthbound et Undertale.
Avec une OST où s’accumulent les noms des VIP de la scène indé, sa direction artistique entre un tableau surréaliste et X-Files, et sa promesse de nous plonger dans une version Réalisme Magique du passage à l’an 2000, YIIK (prononcez « OUAILLE TOU QUAI ») était attendu au tournant comme un possible renouveau du RPG à l’occidentale. Avec ses promesses de scénario enlevé, son contexte urbain et son intrigue troussée autour des légendes urbaines du début d’Internet, YIIK avait le potentiel de devenir une nouvelle milestone dans l’histoire du jeu indépendant. Hélas, si on distingue dans ce fatras de bugs et de prétention le squelette d’un jeu possiblement génial, le titre d’Ackk Studio édité par Ysbryd Games (Va-11 Hall-A, World of Horror…) est une petite catastrophe sortie dans un état absolument indigne.
Les 2000 bugs de l’an 2019
Vous savez ce que c’est, habituellement, quand je vous cause d’un RPG, je commence par vous raconter le scénario, histoire de vous appâter un peu. S’il est bon, ça vous donne envie, s’il est mauvais, vous restez pour le sel et les jeux de mots foireux dont j’ai le secret.
Vous savez quoi ? Avec YIIK, on va pas faire comme ça. Je vais commencer par vous signaler que la date de rendu de ma critique était quelques jours après la sortie du jeu, dans une version téléchargeable PS4 dans laquelle l’OST ne fonctionnait pas encore. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de regarder une mauvaise sitcom sans les rires enregistrés : un RPG largement basé sur son ambiance musicale dépouillée de son ambiance musicale, c’est un peu le même type de malaise.
J’ai rapidement parcouru les forums consacrés à ce jeu très, très attendu sur la scène indé de ce début 2019 : les pages de discussions Steam du jeu ne sont qu’une longue et bruyante plainte de clients effarés du nombre de glitch, de plantages, de bugs bloquants et de sauvegardes corrompues. J’aurais aimé être le seul à passer un moment aussi désagréable, mais quelle que soit la version consultée, YIIK est un jeu qui est sorti avec un défaut de contrôle qualité assez effroyable. A l’heure où j’écris ces lignes, ma PS4 est en train de télécharger une grosse mise à jour, la version 1.02, qui viendra peut-être corriger certains bugs et rajouter de la musique à ma sauvegarde qui affiche tout de même une vingtaine d’heures de jeu. Ou peut-être qu’elle corrompra mon fichier et qu’il faudra que je recommence tout à zéro. Peut-être. Je ne sais pas. Je ne veux pas me poser ce genre de questions quand je lance un jeu supposément en état d’être vendu comme un projet fini pour une vingtaine d’euros. Et pire que tout : YIIK ne se contente pas d’être buggé et d’avoir tout un tas d’autres problèmes sur lesquels je vais revenir. Le titre de Brian et Brigid Allanson se permet de me prendre de haut.
Version 1.02
Ayant relancé ma partie suite à la mise à jour du 29 janvier, j’ai pu constater, ainsi que d’autres utilisateurs, que l’équipe d’Ackk Studios avait réglé un certain nombre de bugs critiques, et amélioré un peu le rythme du jeu et des combats, et recalibré un peu le système de combos. L’expérience reste pénible (cf ci-dessous), mais rendons à César ce qui est à César : les développeurs semblent être à l’écoute des nombreuses remontées négatives des joueurs.
Un RPG terriblement prétentieux…
YIIK, c’est un peu Stranger Things revisité par des hipsters de la côte ouest des USA en train d’organiser un festival du smoothie. Non pas que ça soit nécessairement une mauvaise chose, encore faut-il s’en donner les moyens. La note d’intention est pourtant assez attachante : nous sommes en 1999, et Alex, un insupportable barbu égoïste vingtenaire à lunettes de nerd et chemises à carreaux, rentre chez sa mère après avoir obtenu son diplôme d’art. A la suite d’une série de péripéties étranges, Alex se retrouve coincé dans une usine désaffectée dont les pièces sont mystérieusement agencées selon une logique de portails dimensionnels non euclidiens, et voit une mystérieuse jeune fille amnésique se faire kidnapper par des entités cosmiques lors d’un voyage en ascenseur. Quand l’affaire devient virale sur les forums de légendes urbaines de l’Internet bas-débit, Alex et les quelques personnes qui acceptent de tolérer sa présence de gros relou se mettent en quête de résoudre un mystère qui pourrait bien changer la face du monde.
Franchement, que ça soit avec son approche 3D low-poly, sa bande-son parfois inspirée (je le sais j’ai vérifié sur YouTube), ou son intrigue finalement bien ficelée, YIIK ne part pas trop mal. Certes, son héros est probablement le plus infect jamais conçu pour un jeu de rôle au tour par tour, capricieux, fainéant et autocentré. Mais c’est un choix raisonné, intégré à l’intrigue et directement questionné par le déroulement du scénario, par ailleurs servi par un casting de personnages secondaires d’une grande qualité qui n’hésitent pas à claquer le beignet à notre irritant protagoniste quand il dépasse les bornes et insiste pour connaitre le pays de naissance des parents d’une fille qu’il vient de rencontrer parce qu’elle a l’air « vaguement ethnique ».
Par contre, YIIK a clairement un problème de ton. Sous-titré « RPG post-moderne », ce jeu a le don de pratiquer une ironie constante et déplacée sur un genre qu’il ne réinvente à aucun moment, si ce n’est par son décorum peu utilisé (l’Amérique banlieusarde de la fin des années 90). A quoi bon de longues plages de monologues et de longues considérations sur la nature des jeux vidéo et de la place de la réalité quand le résultat n’est qu’un pseudo-JRPG de plus qui pique ses idées de gameplay moitié à Earthbound, moitié aux RPG Mario & Luigi ? Et à quoi bon ces atours boursouflés et inutiles quand, pour passer un niveau, le personnage principal doit descendre dans son propre « palais mental » qui est concrètement juste un escalier chiant où un corbeau vous gueule dessus comme si vous étiez Edgar Allan Poe en pleine descente de Xanax ?
Et au-delà de ce ton ironique constant et lunaire qui donne en permanence l’impression que les développeurs ont un certain mépris pour les mécaniques-mêmes du jeu de rôle, YIIK se paye le luxe d’avoir des problèmes constants de rythme, de structure et même de mécaniques de gameplay : les combats sont lents, l’expérience est distribuée de manière incompréhensible, la minimap n’a aucune cohérence, certaines portions et certains donjons entiers donnent l’impression d’avoir été simplement posés dans le jeu sans être achevés. YIIK donne l’impression permanente d’être davantage une démo destinée à présenter une idée à des éditeurs ou à des journalistes qu’un jeu complet supposé tenir en haleine une trentaine d’heures.
… Et pourtant il y avait du génie là-dedans.
Dommage : YIIK ne passe pas si loin que ça du chef d’oeuvre qu’il aurait pu être. Le scénario fourmille de moments épiques et de petites pépites de mise en scène. Ça et là, on sent une science du cadrage des scènes qui aurait pu donner le vertige appliquée à un jeu bel et bien terminé. La bande-son donne parfois la chair de poule, et quelques thématiques rarement abordées par le jeu vidéo pointent ici ou là (le chômage, l’ennui des grandes banlieues pavillonnaires, ou, plus simplement, le rapport des sociétés occidentales au paranormal).
Jusqu’au bout, on a envie de croire que quelque part dans tout ce fatras se cache le Persona 5 indé occidental : après tout, dans YIIK, on est régulièrement invité à visiter la psyché des personnages sous forme de donjon, ce qui rappellera quelques souvenirs. Je ne doute pas un instant de la volonté d’Ackk Studios de livrer une expérience susceptible de plaire à la fois aux nostalgiques des JRPG des années 90, à ceux qui les ont découverts par le prisme -effectivement postmoderne- d’Undertale, ainsi qu’aux amateurs un peu chics d’expérience indie snob à gros pixels, je sais de quoi je parle. Mais il ne se passe pas une demi-heure sans qu’un événement irritant (bug, combat interminable, tartine de texte qui ne mène à rien, puzzle mal construit) ne ramène le joueur à la triste réalité : YIIK se prend sans arrêt les pieds dans le tapis, et ne parvient à porter aucun des discours qui semble le sous-tendre.
Peut-être que le jeu aurait bénéficié à constituer une expérience plus radicale encore, au gameplay plus audacieux, à la narration plus ramassée, à la mise en scène beaucoup plus audacieuse, à l’image des décors parfois incroyables qu’il propose. Peut-être que le scénario souvent passionnant de YIIK aurait fait un excellent roman. Peut-être qu’il restera certains souvenirs de véritables décisions courageuses prises par le studio, à l’image de son protagoniste craignos aux antipodes de ce qu’on a l’habitude de nous faire jouer. Peut-être simplement que YIIK aurait mérité d’être fini avant d’être vendu. En attendant, j’aurais déjà aimé avoir la bande-son dans mon jeu tout cassé : ça aurait déjà été le début d’une excuse.
Un jeu vidéo peut difficilement se contenter d’être la vision d’un auteur génial, perché dans une tour d’ivoire, qui de sa grande main créatrice illuminerait nos pads de son génie transcendantal. Du moins pas quand le résultat est si cabossé, si lent, si pénible, et parfois si injouable faute de finitions nécessaires. Il manque des mois, peut-être des années de développement, de contrôle qualité et d’équilibrage à YIIK pour parvenir à quelque chose d’acceptable. Dommage, car sous toutes ses couches d’arrogance et de bugs invraisemblables, Ackk Studios tenait là un RPG bien écrit, parfois émouvant, et souvent bluffant dans sa direction artistique.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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