Voilà un an, je vous entretenais du remake du premier Yakuza, sublimation quasi miraculeuse d’un beat them all de 2005. Aboutissement du projet de résurrection des premiers épisodes de la série par le Ryû Ga Gotoku Studio, Yakuza Kiwami 2 était attendu au tournant.
En quelques années, les aventures de Kiryu le Yakuza au grand coeur et de l’excentrique Goro Majima sont devenues des figures de proue du navire Sega, et une des grandes saga des jeux d’action aventure en open world, y compris en occident. Reprenant le sublime moteur de jeu Dragon Engine de Yakuza 6 et la trame (enrichie) de l’excellent Yakuza 2 sur PS2, considéré comme l’un des meilleurs épisodes par les fins connoysseurs, Yakuza Kiwami 2 constitue une somme parfaite de tout ce que SEGA a appris en terme de game design, d’écriture et de folie nécessaire à faire fonctionner l’ensemble.
Double Dragons
Quelques mois après les événements tragiques de Yakuza Kiwami, Kiryu Kazuma le redoutable « Dragon de Dojima », désormais en retraite, coule des jours heureux avec sa fille adoptive Haruka. Mais les bouleversements consécutifs à la crise traversée par le clan Tojo en 2005 ont eu des conséquences en chaîne catastrophiques. Glissements dans les rapports de pouvoir, postes vacants, et menace d’une invasion du territoire tokyoïte du clan Tojo par l’Alliance des Omi, leur équivalent d’Osaka : ni une ni deux, voilà Kiryu contacté par ses anciens collègues lui suppliant de faire jouer son regard de braise et ses poings d’acier pour ramener la paix dans le monde souterrain, au risque de devoir se confronter au terrible Dragon de Sotenburi, sa contrepartie du Kansai. Et de devoir démonter la mâchoire d’un bon millier de malfrats patibulaires en chemin.
La trame principale de Yakuza Kiwami 2, absolument brillante, se déroule donc entre Kamurocho à Tokyo et Sotenburi à Osaka, deux quartiers fictifs déjà finement modélisés dans les précédents titres, et terrain de jeu sans cesse renouvelé des développeurs. Décrivant la montée en puissance des mafias étrangères et de la jeune génération de criminels prêts à évincer les patriarches, elle a l’intelligence de se raconter en partie via le regard des forces de police, elles-mêmes prises dans leurs propres difficultés internes et guerres de juridiction. En résulte une intrigue très dense, pleine de rebondissements, peut-être la plus intéressante de toute la série. Bien sûr, j’ai été enchanté par la dramaturgie bouleversante du baroque Yakuza Zero, et tenu en haleine par ce long film plein d’excès que fut Yakuza 6 (Takeshi Kitano y faisait du rugby avec un bébé, pour rappel). Mais en tant que pur polar hard boiled, le travail accompli sur Yakuza Kiwami 2 est absolument fabuleux.
Il y avait un challenge supplémentaire, au-delà de la simple recréation d’un jeu avec un nouveau moteur graphique et un nouveau gameplay : celui de la remise en cohérence d’une saga qui a comporté depuis une quinzaine d’années de très nombreux épisodes et spin-of, au point de contenir un certain nombre de contradictions internes. Grâce à l’ajout de séquences totalement inédites, de chapitres bonus et de l’étoffement conséquent de certains personnages, à commencer par le fantasque Gôrô Majima, ce travail est accompli de manière spectaculaire, réussissant enfin à lier ensemble Yakuza Zero et Kiwami premier du nom, le crépusculaire Yakuza 6 et les épisodes 3 à 6 de l’ère PS3, dont le remaster HD est d’ores et déjà en cours de réalisation au Japon. Un travail exemplaire, dont tout tâcheron dévolu au remaster de quoi que ce soit devrait prendre de la graine.
Le terrain de jeu absolu de la série
Comme dans la plupart des autres jeux de la saga, Yakuza Kiwami 2 se traverse en ligne droite en une dizaine d’heures, dont sept de cinématiques. Mais tout ce qui fait le sel de cet incongru croisement entre Shenmue et GTA qui constitue l’ADN des Ryu ga Gotoku, c’est la quantité époustouflante d’activités annexes proposés au joueur, et plus ou moins liées à la trame principale.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cet épisode constitue le pot pourri ultime en la matière : à peu près toutes les activités proposées depuis Yakuza 0 sont là, et un certain nombre d’entre elles pourraient quasiment être des jeux vendus à part entière, et certaines proposent des évolutions scénarisées qui, dans n’importe quelle autre saga, seraient vendues sous forme de DLC.
Le jeu de baston en Colisée ? Il est de retour, et il a encore été développé avec de nouvelles arènes et d’improbables caméos de combattants déjà connus. Le mini-jeu de stratégie de création de clan ? Non seulement il est revenu, mais son gameplay est désormais mâtiné de tower défense et introduit un nouvel arc scénaristique (à pleurer de rire) pour Majima. La gestion de cabaret d’hôtesse ? check, mélangé avec un jeu de drague encore plus poussé que celui des jeux précédents. Et puis tout le reste : un mini jeu de videur de boîte de nuit, des fléchettes, des bornes d’arcade SEGA, un mini jeu de pipi (si, si), un autre de visionnage de vidéos sexy, une quête basée sur le troc d’objets farfelus, du golf, du shogi, du poker, du blackjack, du mahjong, des jeux dont vous ne soupçonnez même pas l’existence : non seulement Yakuza Kiwami 2 est une sorte de jeu total qui peut vous proposer une bonne soixantaine d’heures sans vous ennuyer, mais chaque activité est livrée avec une trame scénaristique plus ou moins dense, mais toujours bien présente, allant des jumelles championnes de fléchettes au championnat du monde du meilleur cabaret.
D’une certaine manière, les substories et les activités annexes de cet épisode sont globalement moins folles que celles des épisodes 0 et 6. Cette fois-ci, pas d’extraterrestres, de voyageurs temporels, de robots voleurs d’alliances, d’échanges de corps ou de pêche sous-marine au calamar géant. Plus posées tout en restant souvent très drôles, les quêtes annexes se prêtent mieux à l’ambiance d’une trame principale plutôt sombre (les personnages y sont plus volontiers blessés ou tués). Elles constituent, en fait, la synthèse parfaite entre la folie furieuse des expérimentations de Yakuza 6 et le minimalisme de celles de Yakuza Kiwami premier du nom, où la moitié d’entre elles consistaient juste à envoyer des débiles vous taper dessus sans raison. Et à quelques broutilles près, cette fois-ci tout fonctionne à merveille.
Un gameplay qui a tiré (presque) tous les enseignements nécessaires.
On sent que la maîtrise du studio est désormais totale sur le Dragon Engine comme sur le game design général du jeu. Les combats, qui restent le cœur du gameplay de Yakuza Kiwami 2, sont à la fois fluides, variés, équilibrés et jamais redondants au fur et à mesure que Kiryu gagne en expérience. Moins nombreux que dans l’épisode précédent, ils sont aussi moins ardus, les pics de difficulté étant réservés à des épreuves spéciales (boss facultatifs, Colisée…). Le titre est globalement moins frustrant, et ne recourt quasiment plus jamais à des pics de difficulté artificielle de type « personnage-avec-quinze-barres-de-vies » pour forcer le joueur à grinder. L’expérience s’acquiert d’ailleurs assez facilement et naturellement au cours de la quête et seules les compétences les plus poussées nécessitent un peu de farming.
Seuls quelques petits détails restent encore et toujours un peu imprécis : bugs de collision ici ou là, QTE qui ont tendance à ne pas fonctionner correctement, ou temps de latence inexplicable sur certaines actions contextuelles. Mais en trente ou quarante heures, je ne me suis agacé qu’une ou deux fois tant ces problèmes ont diminué jeu après jeu. Et je n’ai jamais rencontré le moindre bug bloquant, aucune quête ne s’est révélée être une impasse, et la traduction s’est toujours efforcée de rendre claire et compréhensible les moments les plus irrémédiablement japonais du jeu.
Si mon emphase presque irrationnelle pour une série que j’ai découverte assez tard (un beau jour de soldes sur le PSN pour Yakuza Zero il y a un an et demi) ne me semble pas imméritée, il faut cependant garder à l’esprit que cet épisode garde, comme les autres, des caractéristiques qui sont susceptibles de vous tenir éloignés du « fun » si jamais ce n’est pas votre tasse de thé : les combats demeurent nombreux, l’open world est tout petit (Sega misant sur la densité plutôt que sur les grands espaces) et le jeu reste extrêmement bavard et ancré dans la réalité du Japon des années 2000. Particulièrement avec cet épisode synthétique qui est tout sauf une bonne porte d’entrée à la saga, renseignez vous avant de passer à la caisse, ça reste un type de jeu qui n’est pas taillé pour plaire à tout le monde, ne serait-ce que par ses cinématiques grandiloquentes qui peuvent durer parfois plusieurs dizaines de minutes d’engueulades de vieux messieurs burinés s’accusant de trahisons sur fond de guerre de gangs particulièrement tortueuse.
Quels territoires à conquérir à présent pour le Yakuza Studio ?
Avec Yakuza Kiwami 2, Sega semble refermer la saga de Kiryu : reste à effectuer les portages de Yakuza 3, 4 et 5 et, probablement ultérieurement, des spin-of de type Dead Souls et autre Yakuza Ishin dont l’intrigue était transposée au XIXè siècle (il reste inédit en Occident). Puis à publier l’ensemble sur PC, ce qui ne posera aucun souci, Sega étant de plus en plus systématiquement présent sur Steam et compagnie.
En réalité, entre le développement de spin-of de type « Hokuto ga Gotoku », l’arrivée de Yakuza Online, et l’annonce récente de Judge Eyes (nom provisoire), le Yakuza Studio est déjà pleinement dans un « après » qui semble entièrement aller dans la direction déjà entreprise : partir d’acquis très maîtrisés, garder ce qui fonctionne, s’ouvrir petit à petit à un public de plus en plus large, et continuer ce cycle vertueux.
Des freins demeurent cependant au fait que les jeux du Yakuza Studio se hissent au rang des plus connus des open world et deviennent véritablement les « GTA japonais » (ajoutez de nombreux guillemets, tant l’approche des deux séries autour du même concept est radicalement différente). Contrairement à la plupart de ses concurrents, Yakuza Kiwami 2, comme les titres précédents, ne bénéficie pas encore de traduction autre qu’en anglais, ce qui s’explique par des scripts pouvant dépasser un million de kanji par jeu, présente des fonctionnalités online pour le moins minimaliste et des campagnes marketing qui demeurent modestes au regard des mastodontes de la production. De plus, le décalage toujours très important entre les sorties des versions PS4 et les versions PC ne sont une bonne nouvelle que pour Sony, accroché de manière très compréhensible à ces dernières grosses exclusivités, même temporaires. Yakuza reste à ce jour l’une des rares saga de ce type dont on ne peut pas encore crier dans une vuvuzela infernale « MAIS SUR SWITCH ».
Il me semble néanmoins que Sega commence à comprendre l’importance déterminante du Yakuza Studio dans sa stratégie commerciale. Le traitement royal réservé à ce remake de Yakuza 2, les conférences données de manière de plus en plus fréquente sur les différents projets de la franchise et la diversification des titres annoncés sans pour autant se perdre dans le n’importe quoi comme peut le faire Bandai Namco et ses dizaines de mûso produits et photocopiés à la chaîne sans que presque plus rien ne parvienne à se démarquer de la bouillie globale : tout cela constitue autant de signaux positifs. Le chapitre de Kiryu se referme petit à petit, mais le livre des Open World à la Sega semble loin d’être achevé.
Yakuza 2 était à la fois un excellent beat them all et une vraie proposition en terme d’open world revu et corrigé par le jeu vidéo japonais. Yakuza Kiwami 2, son remake, est un tour de force impressionnant : réécriture et mise en cohérence de la saga, maîtrise totale de ses contenus et de son moteur de jeu, bien écrit, bien doublé, tour à tour drôle, tragique et sensible, le titre de Sega est à la fois l’aboutissement d’un projet très ambitieux entamé avec l’épisode « origins » Yakuza Zero et la promesse de lendemains qui chantent pour les futures créations de Ryû ga Gotoku Studio. Vivement Judge Eyes !
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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