Parmi le vaste panel de jeux "Lovecraft", on croit tout connaître, et BIM : un city-builder. Reste à savoir si l'idée intrigante qu'est Worshippers of Cthulhu, proposée par le studio Crazy Goat Games, a plus à offrir qu'un énième machin basé vaguement sur l'univers des récits de Howard Phillips Lovecraft.
Il y a des phrases que personne ne prononcera jamais en parlant de jeu vidéo. Comme "Nintendo a prévu une promo de ses meilleurs jeux". Ou "À mon avis, un nouvel Half-Life n’intéressera personne". Ou surtout "Super original, un jeu qui va chercher son inspiration dans les travaux de Lovecraft". Mais comme je suis un peu monomaniaque, et que je commence à avoir une belle brouette de jeux estampillés Lovecraft en réserve, il me fallait poser les yeux sur Worshippers of Cthulhu. D’autant que, mine de rien, l’idée de faire un city-builder a le mérite de le faire sortir du lot.
Petit passage par la carte de visite quand même : le jeu est disponible depuis le 21 octobre dernier, mais est encore en early access. Il est développé par Crazy Goat Games, dont la dernière création en date est Republic of Pirates, un city-builder type Anno, dont l’univers se situe en plein âge d’or de la piraterie caribéenne. En comparant les avis sur ce titre et mon ressenti global sur Worshippers of Cthulhu, il me parait évident qu’on est sur des bases similaires. Republic of Pirates ayant été bien reçu, il était en effet logique d’en garder les points forts tout en adaptant la recette à la sauce Lovecraft. On joue le leader d’un culte qui, constatant que le monde est en perdition et l’humanité condamnée à n’être qu’une infime poussière dans l’univers, cherche à invoquer Cthulhu parce qu’après tout, on n'a pas essayé, peut-être qu’il va faire des trucs bien, on ne sait pas. Pour cela, à nous de construire la ville la plus prospère, garantissant des adeptes prêts à tout pour servir l’entité cosmique (enfin plutôt sous-marine) la plus connue du game.
Ta cité sans nom
Ça faisait un moment que je n’avais pas touché à un city-builder et à part Frostpunk et Cities: Skylines (un mod politique pour que ça devienne intéressant, pitié), je suis plutôt resté vieille école type Caesar III et Le Maître de l'Olympe : Zeus. Si je vous dis ça, c'est pas pour vous faire mon historique personnel, mais pour vous rassurer tout de suite : si vous êtes dans le même cas que moi, vous n’aurez pas trop de souci à vous mettre à Worshippers of Cthulhu. D’une part parce qu’il possède un tutoriel clair, progressif, et agrémenté de petits clips vidéos, comme ça se fait pas mal désormais, afin de détailler ce qui se passe, ce qu’il faut accomplir et que vous avez à tout moment la possibilité d’aller revisionner.
D’autre part, parce qu’il se fonde sur ce qui marche dans les autres jeux, en particulier les Anno. De la récolte de ressources élémentaires, utilisables pour fabriquer des éléments transformés, et la collecte de ressources plus spécialisées pour des bâtiments ou des besoins précis. Pour cela, il faut affecter nos adeptes à ces tâches. Ceux-ci arrivent par vagues, et la première chose à faire, c’est de leur construire des logements. Une fois cela fait, on leur assigne manuellement des lieux de travail, dans l’idéal selon leur spécialisation puisque chaque habitant est spécialisé dans un domaine précis. Ces derniers génèrent la monnaie principale du jeu, la foi.
On peut également les faire passer au rang supérieur s’ils reçoivent ce dont ils ont besoin, ce qui est d’ailleurs obligatoire pour qu’ils puissent travailler dans certains bâtiments, en général pour tout ce qui est ressources de confort. Des éléments qu'on va pouvoir débloquer en dépensant des faveurs ésotériques (obtenues notamment en donnant des offrandes à Cthulhu, car il aime bien les petites effigies bien taillées). Jean-Michel est spécialisé en récolte de maïs, Brenda en élevage de palourdes, et Eustache en taillage de pierres, pour tout ça, pas de souci, mais pour être boucher, là, ça va demander de passer au rang supérieur. Par contre, pour offrir leur sang, subir des scarifications ou se faire cramer en sacrifice, là, pas de limite. Eh bien oui, Worshippers of Cthulhu a quand même quelques petites spécificités.
Des sacrifices, j’en ai déjà fait
Pour ce qui est du sang, il faudra affecter des habitants à la tâche, car il s’agit d’une ressource comme une autre (si ce n’est qu'elle est dédiée surtout aux rituels et autres nécessités d’invocation). Pour les scarifications, elles permettent de re-spécialiser un habitant. Par exemple, un habitant spécialisé bucheron, dont on a besoin de la maîtrise en confection de vêtements, on le sélectionne, on lui grave ensuite sur la peau le symbole qui convient parmi une liste, et si c’est réussi, c’est bon, il change de spécialisation. C’est visuellement un peu dérangeant de devoir scarifier quelqu’un, et ça aurait été intéressant de pouvoir éviter de le voir à chaque fois.
Aussi, on a l'occasion de participer directement à des rituels sacrificiels. On choisit trois heureux élus, on passe en vue 3ᵉ personne dans la Salle des Cérémonies, et on s'avance pour tout simplement cramer les gens retenus. Selon l'ordre et le type de flammes, on obtient ensuite des bonus différents. Toujours à propos des sacrifices, ils sont également nécessaires pour les rituels d’invocation des horreurs qui vont servir d’armée. Allez pas imaginer non plus une armée de monstres façon RTS, mais on pourra en avoir quelques-unes en même temps afin de repousser des habitants d’autres îles un peu trop belliqueux (ou au contraire, les chasser de leurs îles pour en faire la conquête).
Des sacrifices, Worshippers of Cthulhu en a fait aussi sur un point technique : les graphismes. Ça ne pique pas les yeux non plus, mais avec le côté terne global, ambiance lugubre et malsaine oblige, on constate un rendu plutôt moyen. Ce n’est pas le cœur du jeu et de toute façon, on est plus pris par la gestion de nos ressources et de nos habitants, mais on sent qu’on est assez éloigné de la concurrence. Côté sonore, c'est pas mal, on n'est pas au niveau d’une BO de Frostpunk, mais ça fait le boulot. On sent quand même que les développeurs ont géré au mieux pour baigner leur titre au milieu des éléments les plus célèbres de l'imaginaire Lovecraftien, tout en évitant l'écueil de l'avalanche de tentacules. En témoignent des choix narratifs qui apparaissent à la manière de ce qu'on a dans Frostpunk. Cependant, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il y avait une voie possible pour aller chercher un city-builder original, y compris dans ses mécaniques de base, à la manière de ce qu'ont pu faire Terra Nil ou Timberborn.
F’tagnctually
Arrive quand même le moment où je pinaille. Parce qu’on sait toutes et tous que l'œuvre de Lovecraft est difficilement adaptable en jeu vidéo. En fait, pour s’en approcher, ça passe le plus souvent par des jeux ultra-narratifs, au gameplay minimal et qui fatalement tendent à revenir à de l’écriture, flirtant avec de la paraphrase ou de la copie. Ça oblige les développeurs qui ne veulent pas passer par ça à casser l’idéal d’adaptation pure, et ça peut donner lieu à des trucs assez bizarres, y compris ici.
Premier exemple, à partir d’un certain moment, on débloque la jauge de patience de Cthulhu. Il s'agit d'une sorte de timer qui vous fait perdre la partie une fois arrivée à son terme (elle est désactivable en permanence si on le souhaite). Or pour satisfaire Cthulhu ici, il faut… des steaks et de la bière de maïs. Oui, c’est parfaitement logique dans le tutoriel pour expliquer la mécanique de progression des habitants et le besoin de ressources de confort, mais niveau cohérence lovecraftienne, ça donne juste l’impression que Cthulhu nous presse à faire son barbecue pendant qu’il regarde du football (américain, bien entendu).
Second exemple, la gestion des conquêtes. Comme je le disais plus haut, on ne possède pas d’armée à proprement parler. Il faut contrôler des horreurs invoquées, des monstres qui servent à s’étendre sur d’autres îles en attaquant les défenses de celles-ci (des bateaux, des tours, et parfois également des créatures) et permettant ainsi leur colonisation. Or, j’aurais trouvé ça plus cohérent d’envoyer notre propre armada de fanatiques, puisque s’il y a bien une chose à retenir de ce qu’a écrit Lovecraft, c’est que les monstres et divinités cosmiques et marines sont par nature au-delà de tout contrôle humain. Heureusement, ça reste compensé par le côté assez secondaire de cet aspect, et par la nécessité de passer par des sacrifices pour ces invocations. Et même si elles peuvent étrangement être vaincues par des bateaux (pas ouf ça), retenons surtout qu'elles finissent au bout d’un certain temps par disparaître, rendant leur utilisation éphémère.
Worshippers of Cthulhu a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
En somme, une early access prometteuse qui se base sur les mécaniques classiques du genre, tout en apportant certaines de son propre cru. Un exercice déjà réussi avec Republic of Pirates, qui se concrétise ici puisque Worshippers of Cthulhu parvient à ne pas poser un simple "filtre Lovecraft". Il y avait matière à vraiment sortir des schémas habituels, mais Crazy Goat Games a fait le choix de la sécurité. À noter leur suivi constant des retours de la communauté, toujours rassurant quand on s'investit dans un jeu en accès anticipé, et un calendrier qui prévoit pas mal d'ajouts de contenus avant la sortie finale.
Les + | Les - |
- Idée originale pour un jeu "Lovecraft" | - Graphismes un peu datés |
- Bonnes bases de city-builder | - Aurait mérité un gameplay vraiment différent |
- Du futur contenu promis... | - mais ça reste des promesses |
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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