EVC Games, studio fondé en 2017 à Seattle et composé d’anciens salariés de studios AAA et d’indés aguerris, s’est allié avec l’éditeur Versus Evil, connu entre autres pour avoir édité Pillars of Eternity II ou encore The Banner Saga, pour nous présenter Wintermoor Tactics Club, un jeu mélangeant visual novel et RPG tactique et se déroulant dans un prestigieux internat dans les années 80.
En apparence, tout se passait bien à l’académie Wintermoor, école prestigieuse où les élèves partageaient leur temps entre cours et activités de club. Jusqu’au moment où le principal a annoncé qu’il partait à la recherche du club ultime pour une raison mystérieuse et que pour ça, chaque club allait devoir s’affronter dans des batailles de boules de neige. Cependant, la défaite serait cher payée : chaque club perdant serait dissous et leurs membres dans l’impossibilité de se réunir entre eux à nouveau. C’en est trop pour Alicia, notre protagoniste. En plus de vivre chaque jour sous la pression de son syndrome de l’imposteur, elle risque de perdre l’un de ces rares échappatoires, son club de C&C, un jeu de rôle tactique où elle incarne Anjaya, une mage surpuissante. Tout semble perdu pour notre petite bande de nerds, plus habituée à lire des livres de règles qu’à participer à des compétions dans des activités physiques. Enfin, jusqu’à qu’ils se rendent compte que finalement, C&C et les batailles de boules de neige, ce n’est pas si différent que ça…
Une simplicité apparente…
Le titre est découpé en deux phases : une phase un peu roman graphique, où l’on explore différents bâtiments de l’école et où l’on parle aux élèves afin de récupérer des quêtes secondaires, et une autre avec un gameplay tactique, où l’on incarne les personnages d’Alicia, Colin et Jacob, les membres de notre Tactics Club. Il s’agira à chaque chapitre de faire le tour de l’école pour discuter un peu avec tout le monde, de faire un bout de campagne C&C et d’enfin faire la bataille de boules de neige qui marque la fin des chapitres. Pour ceux qui ne sont pas familiers des jeux tactiques, pas d’inquiétude : le titre reste très simple et accessible, se contentant de la base de la base pour pouvoir être pris en main rapidement. Il inclut quelques éléments de personnalisation, avec des objets que l’on peut récupérer, qui donnent différents bonus aux stats et aux capacités, mais rien de bien transcendant. Vous ne trouverez pas ici la profondeur d’un Fire Emblem par exemple, une option permettant même aux plus débutants d’entre nous de réussir à coup sûr chaque combat, en empêchant nos héros de voir leurs points de vie tomber à zéro.
Certains pourront être déçus à la vue de ces lignes, surtout dans un jeu qui contient « Tactics » dans son titre. Mais si le gameplay ne m’a effectivement absolument pas marquée, étant plus habituée à des difficultés plus élevées, ça ne m’a pas spécialement dérangé pour une raison simple : cette facilité de gameplay est cohérente avec le sujet du titre. En effet, après avoir défait d’autres clubs, vous allez récupérer un de leurs membres pour l’intégrer au vôtre. Qui dit intégration à un club de jeu de rôle dit création de personnage et backstory, ce qui est le domaine d’Alicia. Pour cela, elle sera aidée par des amis des nouveaux arrivants, qui lui feront comprendre les problèmes de chacun et leurs défauts à leur faire remarquer subtilement. On se retrouve donc dans le dortoir d’Alicia, à essayer de monter une petite aventure personnalisée pour chacun, afin de les aider à trouver leur place dans l’école maintenant que leur club n’existe plus. Ce qui veut aussi dire que parfois, les joueurs sont débutants et ne s’intéressent pas spécialement aux règles, tout dans leur enthousiasme de la découverte, ce qui ennuiera fortement votre ami Colin, spécialiste du jeu de rôle très à cheval sur les règles.
… contrebalancée par des messages bien plus profonds
Le titre aborde un souci que l’on retrouve également dans le jeu vidéo, le gatekeeping. Colin est un jeune nerd qui a longtemps été moqué pour ses activités, voire même harcelé au sein de Wintermoor. Il s’est donc lancé à coeur ouvert dans C&C, se formant son petit groupe safe de gens partageant la même passion que lui. Alors quand Alicia, pleine de bonne volonté, essaie d’intégrer de nouvelles personnes pour les aider à se connaître, il devient défensif, il insiste de plus en plus sur les règles incompréhensibles pour justifier sa position et devenir à son tour tout ce qui l’a fait souffrir : quelqu’un qui exclut les autres et les prend de haut parce qu’ils ne sont pas comme lui. C’est le même phénomène que l’on retrouve dans le jeu vidéo, où une partie des joueurs est prête à exclure tous les autres sur des critères fantaisistes comme la sacro-sainte « vision des développeurs » pour empêcher des options d’accessibilité qui permettrait à un public plus large d’avoir accès à leur passe-temps favori. Je ne sais pas si c’était voulu mais je trouve cohérent que Wintermoor Tactics Club permette au plus grand nombre d’accéder à leur titre avec ce genre de message.
Mais tout n’est pas jeu de rôle et batailles de boules de neige : derrière cet emballage innocent d’école prestigieuse et de soucis d’adolescents, se cachent de vraies questions sur le fait de faire d’une passion une identité à part entière et la pression sociale du groupe, où des gens plus timides sont totalement écrasés par les autres, sans le vouloir, et qui finissent par devenir des individus à part entière en se libérant de ce carcan. C’est exactement ce qu’illustre Alicia quand elle recrute de nouvelles personnes : elle n’essaie pas de faire en sorte qu’ils remplacent leur groupe social et leur passion par d’autres, juste qu’ils s’ouvrent aux autres et qu’ils apprennent à découvrir la véritable personnalité qui se cache derrière le passionné de cheval, la mystique enthousiaste ou encore la gothique/punk agressive. Notre protagoniste a elle-même son lot de problèmes personnels qui seront abordés tout au long des chapitres, sous la forme de cauchemars où elle imagine son entourage lui reprocher chaque petite imperfection. Son syndrome de l’imposteur, qui vient en partie du fait d’être l’une des rares jeunes filles noires de l’établissement, son angoisse permanente qui lui fait douter de chacune de ses actions… Wintermoor Tactics Club arrive à aborder tous ces sujets avec beaucoup de tendresse et de tact, sans perdre de vue son ambiance bon enfant, même s’ils parleront sûrement plus à un(e) adolescent(e) qui est en train de les vivre. Cependant, je me dois tout de même reprocher une chose au titre : même si elle illustre assez bien ce que je décrivais au-dessus sur la pression du groupe, je dois avouer avoir été un peu déçue par la tournure paranormale que prend le jeu a un moment, que je trouve non-nécessaire et amoindrissant un peu le message global. Mais c’est vraiment un détail pour un jeu qui a réussi à trouver la balance entre messages sérieux et feelgood et gameplay simple et personnages très bien écrits.
Wintermoor Tactics Club a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Entre la simplicité du gameplay et les thèmes abordés, je dois avouer ne pas avoir vraiment trouvé quelque chose pour moi dans Wintermoor Tactics Club. Cependant, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde grâce à une qualité d’écriture et un sens de l’humour bien supérieurs à la plupart des titres de ce genre. J’aurais plutôt tendance à diriger un(e) jeune ado vers ce jeu, qui sera plus concerné(e) que moi par ces sujets, à un détail près : le jeu n’est pas disponible en français et ne le sera pas dans l’immédiat. Mais si vous voulez juste passer un moment tranquille avec des personnages attachants et un gameplay sans prise de tête, Wintermoor Tactics Club remplira très bien cet office.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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