Inspiré de la gestion de colonie glaciale et traumatisante de Frostpunk, War Hospital vous propose de gérer l'urgence et l'horreur d'un hôpital de campagne pendant la Première Guerre mondiale. Intéressant et original, le jeu de Brave Lamb Studio peine hélas à tenir la distance.
Nous sommes en 1916, dans la campagne française, et vous, major du service médical de l'armée britannique, vous retrouvez à la tête d'un poste de secours situé à quelques kilomètres du front. Installé dans un village en ruines, vous ne disposez que d'un seul médecin, de tentes à moitié éventrées et de vivres limités, apportés ponctuellement par ce qui reste de service ferroviaire. Vos possibilités d'embauche de brancardiers et d'infirmières sont maigres, votre morgue se remplit plus vite qu'elle ne se vide, et votre centre de rééducation se sertit lentement d'estropiés. Des malheureux que l'on va vous demander de renvoyer dans les tranchées dès que possible. Bien vite, des catastrophes s'enchaînent : un déraillement de train, une attaque de gaz moutarde, des sabotages. C'est stressant, et c'est fait pour. À mesure que votre personnel s'écroule d'épuisement, la blouse couverte de sang, on vous demande d'enchaîner les décisions abominables. Traiter un VIP protégé de votre hiérarchie avant un soldat vaillant ayant de meilleures chances de survie ? Instaurer un régime de quarts au risque de dégarnir certains postes d'urgence la nuit tandis que les équipes se reposent ? Démobiliser un soldat au bord de la rupture psychologique alors qu'une offensive meurtrière s'amorce ? Bien vite, cette délicieuse banalité de l'horreur, vous transformant en machine à décider du sort de dizaines de soldats quasiment anonymes, se brise sur la réalité de ce que propose en réalité War Hospital : une boucle de gameplay qui patine sur la longueur, et une campagne plombée par une Grosse Bertha de bugs compliquant, voire bloquant complètement votre progression.
Le chemin des drames
Il faut le concéder : pendant ses six ou sept premières heures, War Hospital fait parfaitement illusion pour illustrer son propos simple et efficace, à savoir en substance "Ach, la guerre, groß malheur !" Tout le propos du jeu consiste à alterner des périodes relativement calmes dans lesquelles vous avez le temps d'ordonner vos équipes, de prendre soin des patients et de stocker du matériel comme dans un hôpital presque normal, et des périodes de catastrophes où tout ceci devient un luxe illusoire.
Généralement, quelques minutes après une offensive ennemie, vous vous retrouvez avec six ou sept fois plus de patients que de médecins, et l'obligation de refuser de plus en plus de blessés. Un tri inévitable condamnant les cas les plus désespérés à une agonie certaine. Il est toujours possible de limiter la casse en organisant un meilleur temps de repos pour votre personnel, en développant des améliorations pour votre camp ou en effectuant des requêtes auprès du QG pour obtenir des ressources supplémentaires. Mais rien n'y fait : vous vous retrouvez toujours noyé sous le sang, les larmes, la sueur et une bonne dose de tripes.
De ce point de vue, c'est une réussite. De la même manière qu'Isonzo avait parfaitement su rendre le sentiment de boucherie à hauteur de troupier, War Hospital le fait à hauteur de soignant. Ici, il n'est plus question de serment d'Hippocrate, d'arriver à sauver tout le monde ou de prendre en compte la douleur des patients. On se retrouvera plus volontiers à choisir d'amputer un soldat sans réfléchir parce que ça va plus vite que de l'opérer correctement, dans l'espoir de libérer un lit ou deux. Le genre de décision que l'on prend de plus en plus froidement et mécaniquement au fil de la campagne, en finissant par ne même plus lire le profil ou le dossier médical du soldat.
War Hospital vous transforme en monstre froid dépourvu d'empathie qui finit par réduire des blessés à de simples unités de valeur : un bon combattant sera sauvé en priorité pour regarnir au plus vite les tranchées, tandis qu'un soldat définitivement brisé psychologiquement sera déchargé de ses fonctions pour être interné ailleurs. Où ? Pour y subir quoi ? Pas votre problème, la prochaine fournée de gueules cassées est déjà en chemin.
La Der des Derps
J'aurais aimé que War Hospital, en tant que jeu vidéo, soit aussi efficace qu'en tant que pamphlet pacifiste. Il souffre néanmoins de deux défauts majeurs, dont à mon sens un seul pourra être vraiment corrigé : l'état technique assez douteux dans lequel il est sorti il y a quelques jours.
Si on peut pardonner le fait que, dès le milieu de la campagne, ce jeu aux graphismes modernes se mette à ramer comme un pauvre diable et à faire hurler les ventilateurs d'un PC neuf haut de gamme, la pléthore de bugs qui accompagne ces performances médiocres est assez regrettable. Et par bugs, je ne parle pas de glitches d'affichage ou de texte qui s'affiche mal, mais bien de bons gros bugs qui tachent et qui vous conduisent mécaniquement au game over de manière systématique.
Brancardiers qui ne parviennent plus à transporter les blessés ; quêtes qui ne se valident pas, bien que les objectifs en soient remplis ; médecins qui ne tiennent pas compte des ordres de repos et s'écroulent au travail sans qu'on ne puisse rien y faire : on se bat presque autant contre ces vilains problèmes que contre les pénuries de boîtes de conserve. Mais admettons : les problèmes de framerate, les bugs, tout ceci témoigne d'un jeu bazardé bien trop vite sur le marché par son éditeur, mais des patchs pourront limiter la casse.
De guerre lasse
Plus difficile en revanche d'envisager de réparer en profondeur l'autre problème dont souffre War Hospital, à savoir sa boucle de gameplay extraordinairement répétitive. Particulièrement une fois que l'on a compris ce qu'il fallait faire pour ne jamais vraiment se retrouver en difficulté. Les objectifs de victoire consistent en général à ne pas voir le moral de la base tomber à zéro et à fournir assez de soldats aux tranchées pour résister en attendant les renforts.
Le problème, c'est que tout le reste n'importe pas beaucoup. Une fois que vous avez réussi à stocker de la nourriture et des médicaments et à vous assurer d'avoir assez de médecins pour "réparer" des soldats en flux continu, les autres aspects de la gestion de la base importent très, très peu. Les blessés graves ? Même pas la peine de les soigner, autant les mettre au rebut direct (ce qui limite la perte de moral lié à leur mort). Le repos des soignants ? Dès que vous avez une équipe de jour et une de nuit, il est 100% automatisable. Le moral ? Placez assez d'ingénieurs à la conserverie pour assurer des doubles rations et tout le monde ira à la mort en sifflotant. Le système de quêtes annexes via les éclaireurs ? Il a tendance à rendre le jeu encore moins tendu tant il vous octroie des ressources en surabondance.
Bien sûr, lors de votre premier essai, vous allez vous tromper, faire n'importe quoi, choisir les mauvaises technologies dans l'arbre de développement de la base. Mais lors du second, vous allez vraisemblablement développer les quelques points clés qui permettent d'accélérer la production, de réduire le temps d'opération, et vous contenter de regarder votre base ronronner (de moins en moins bien, à cause des bugs). Vos seules interventions deviendront alors des réglages à la marge. On assigne à tel soldat une mission secondaire. On tamponne telle ou telle fiche de manière de plus en plus mécanique. On commande des conserves et des pansements quand les stocks sont bas. Et c'est à peu près tout pendant des heures et des heures. C'est tout de même un peu chiche.
War Hospital a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
De toute évidence, War Hospital avait besoin de davantage de temps avant d'être vendu plein pot sur Steam. Au-delà de son discours efficace et de son tutoriel très intéressant, le titre ne tient jamais vraiment ses promesses. Assez ennuyeux, bugué jusqu'au trognon, il n'approfondit pas assez sa boucle de gameplay pour retenir l'attention. Une première grosse déception pour 2024 en ce qui me concerne, qui hélas est le reflet de la tendance observée depuis quelques années qu'ont certains éditeurs à saturer le marché de produits qui ne semblent pas tout à fait achevés.
Les + | Les - |
- Le propos sur la guerre est intéressant | - Des bugs qui rendent la campagne quasi injouable par moments |
- Contexte original pour un jeu de gestion | - Problèmes de performance ahurissants |
- La campagne a quelques moments plutôt surprenants... | - ... Qui demeurent trop rares, dans un ensemble très répétitif |
- La boucle de gameplay manque cruellement de profondeur |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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