The Chant est un survival horror tentant de transformer une retraite spirituelle New Age sur une île paradisiaque en pure expérience d'horreur physique et psychologique.
Nous tenons là le premier jeu du studio canadien Brass Token, fondé par des vétérans de l'industrie et édité par le label Prime Matter, le nouveau programme d'édition de PLAION. Un casting expérimenté donc, ce qui semble évident, manette en main, tant il s'agit d'un jeu qui semble avoir « digéré » une décennie de survival horror moderne. The Evil Within, Resident Evil VII, Amnesia ou encore Alan Wake paraissent ici se bousculer au portillon. Mais The Chant parvient à tirer son épingle du jeu grâce à sa direction artistique épouvantablement efficace et grâce à son approche résolument frontale du bullshit du développement personnel et de ses liens parfois tangibles avec le mouvement sectaire. Des qualités qui servent à faire passer la pilule d'un jeu par ailleurs bourré d'imperfections.
Le feu au culte
Le début de The Chant fait assez peur et pas dans le bon sens du terme : avec une mise en scène abrupte et minimaliste, le jeu nous met dans les baskets de Jess, qui décide de répondre à l'invitation d'une amie pour une retraite sur une île perdue dirigée par un leader spirituel de « l'énergie prismatique ». Oui, vous détestez déjà ce type. Les deux jeunes femmes ont un traumatisme commun à surmonter et pensent retrouver ici un semblant de paix et d'harmonie. Un séjour moins paradisiaque que prévu qui bascule de manière quasi instantanée dans l'horreur, bien entendu. Balancé à la truelle sans saveur ni mise en scène, le contexte du jeu nous donne initialement l'impression de bâcler complètement ses effets. Aucun personnage (héroïne comprise) n'est véritablement présenté, la mythologie de l'île semble distillée au petit bonheur la chance et on se retrouve trop vite à balancer du sel et de la sauge sur des démons qui se pointent comme ils entreraient au bar commander un demi.
Par bonheur, ce début catastrophique s'arrange un peu, une fois la phase de tutoriel terminé. On se retrouve donc dans un jeu à la troisième personne des plus classiques dans le genre, à parcourir une île structurée de manière très rigide et linéaire, mais plongée dans une ambiance qui prend petit à petit de la profondeur. Si le gameplay du jeu est franchement sans grand intérêt, on appréciera tout de même sa manière de structurer la santé de l'héroïne en plusieurs jauges qu'il convient de ménager tour à tour. La santé physique parle d'elle-même : si vous n'en avez plus, vous mourrez. La santé mentale, elle, vous plongera dans des crises de panique si elle baisse trop, vous laissant sans défense face aux menaces alentour. La santé spirituelle, enfin, vous permet de balancer des coups spéciaux si elle est assez chargée, pouvant vous dépêtrer de situations compliquées. Un équilibre bien géré dans un jeu qui propose une excellente économie de la rareté : chaque ressource est distribuée avec une grande parcimonie, vous poussant à toujours devoir effectuer des choix tendus en manière de craft d'armes ou de soins appliqués aux blessures de la protagoniste.
On voit le bout de cette affaire (du moins, d'une des trois fins proposées) en moins d'une dizaine d'heures assez intenses et ne proposant pas vraiment de temps mort. Le choix d'un jeu court et linéaire, mais ne cédant jamais un pouce d'intensité pour faire artificiellement gonfler son contenu, effectué par Brass Token est pour le moins intéressant. Cela se fait au prix d'un contenu parfois un peu pauvre et prévisible et de confrontations un peu brouillonnes contre le bestiaire de l'île, mais cela permet à The Chant de s'attarder sur deux points qui retiennent mon attention : sa dimension purement horrifique et le regard qu'il porte sur son contexte sectaire.
Belle île en mort
Première surprise : une fois passée l'introduction assez ratée du jeu et dès qu'on a fait le deuil de l'idée que les personnages aient la moindre profondeur psychologique, The Chant déploie un univers graphique fascinant. Depuis le camp de base servant de refuge à la retraite spirituelle du gourou local se déploient les allées d'une île aux décors particulièrement dérangés et peuplés d'une faune (naturelle et surnaturelle) de plus en plus répugnante à mesure que l'on s'y enfonce.
The Chant fait le pari de faire rapidement s'enfoncer ses personnages dans des situations de plus en plus glauques qui virent très vite, et plus loin que d'autres jeux du genre, vers le pur body horror. Oubliez les « simples » mains coupées et les zombies un peu gluants des derniers Resident Evil, ici, on est là pour souffrir pour de bon. Visages brûlés sur des bougies, personnage digéré par des substances répugnantes, plantes aux énormes yeux glauques vous suivant du regard… Tout est fait dans chacun des six chapitres du jeu pour vous plonger dans un malaise visuel constant. Si tout n'est pas très subtil, on admirera tout de même occasionnellement un certain souci du détail, à l'image des tenues qui se couvrent de sang au fil de l'aventure, contrastant avec les tuniques proprettes de l'introduction.
Le bestiaire n'est pas en reste : si les créatures humanoïdes qui vous font face ne sont pas particulièrement perturbantes, les animaux et les plantes qui hantent l'île sont, eux, très réussis dans leur peinture d'un lieu définitivement hostile à l'homme. Une dimension qui pourra autant rebuter que séduire : The Chant s'adresse de manière évidente aux fans d'un certain cinéma gore à petit budget assez désuet, cherchant davantage à déranger et à repousser les limites qu'à faire peur. Si les chairs meurtries infligées par des créatures gluantes à des jeunes gens basculant lentement dans l'abîme de la folie ne sont pas votre came (et on vous comprend), le jeu vous laissera probablement indifférent, voire un poil écœuré.
La sauge d'une nuit d'été
Cette dimension d'horreur graphique fonctionnerait assurément assez mal dans un contexte plus familier aux jeux d'horreur : manoir, maison hantée, tunnels ou orphelinat. Ce qui fonctionne à merveille dans The Chant, à la manière de ce que pouvait produire un film comme Midsommar, c'est sa façon de mettre en scène un environnement soi-disant hospitalier et de le faire basculer dans la violence crasse. Jess est ainsi initialement plongée dans un monde de douceur et de retraite spirituelle : les membres de la Science Prismatique se soutiennent, vivent un quotidien méditatif et doux et récupèrent lentement des plaies infligées par la vie. La communauté idéale, dans un décor taillé pour un séminaire de bien-être.
En pratique, cependant, on se rend rapidement compte du côté extrêmement carton-pâte de tout cela : le gourou de la secte qui fuit et s'enferme au moindre problème, les installations qui s'avèrent être des préfabriqués particulièrement cheap, l'absence de toute infrastructure de survie bâtie par la communauté, etc. Face aux premières manifestations horrifiques, un personnage secondaire va simplement nous demander, sourire béat aux lèvres, de « méditer », comme si le problème venait de Jess et non pas des dangers extérieurs. Notre héroïne comprend rapidement la dimension frauduleuse de ce séminaire spirituel bidon qui s'avère totalement livré aux aléas d'une île ayant déjà « digéré » d'autres communautés par le passé : des naufragés, des mineurs de fond, etc.
The Chant se fait ainsi un malin plaisir à mettre en scène tous les artifices des médecines alternatives et de la philosophie du développement personnel pour les retourner en purs objets horrifiques. La méditation en bouclier brutal contre les attaques de créatures détruisant directement votre esprit, les plantes aromatiques comme armes contondantes pour repousser des liches, la lithothérapie comme manière d'ouvrir ou de refermer les bouches de l'enfer. Plus on avance dans les profondeurs du cauchemar, et plus le jeu nous crie que ce dont Jess a besoin, ce n'est pas tant de séances de méditation en pleine conscience sur une île privatisée pour de jeunes bourgeois en quête de sens que d'une thérapie en bonne et due forme et d'une conversation à cœur ouvert sur la thématique du deuil avec sa meilleure amie. Et dans un sens, ce message, certes asséné à grands coups de combats grotesques contre des créatures immondes, possède une dimension salutaire : vous n'avez pas besoin d'une secte pour prendre soin de vous.
The Chant a été testé sur PlayStation 5 via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PC et sur les consoles Xbox.
Si The Chant ne brille ni par son gameplay ni par sa narration expéditive, il n'en reste pas moins qu'il s'agit de l'un des jeux horrifiques les plus remarquables de l'année. Son contexte mettant à nu une communauté post-hippie en décrépitude et manipulant avec brutalité une poignée de personnages plongés dans un bon bain bien gore pourrait rebuter. Mais il s'agit, de mon point de vue, d'un bon bol d'air frais dont le genre du survival horror avait bien besoin. À défaut d'être un grand jeu, The Chant est une bonne surprise.
Les + | Les - |
- Direction artistique très travaillée | - Mise en scène assez ratée |
- Aucun temps mort | - Système de combat confus |
- Le contexte sectaire fonctionne bien | - Personnages pas toujours cohérents |
- Du gore sans concession qui plaira aux amateurs du genre | - Déroulé trop prévisible |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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