L’éditeur FuRyu, très actif au Japon, accentue sa présence en Occident avec le portage PC, PS4 et Switch d’un jeu sorti sur Vita en 2017. Fignolé pour l’occasion, The Caligula Effect : Overdose invite à répéter nos chorés, enfiler nos plus beaux costumes psychosomatiques et plonger dans un réseau internet pensé comme subconscient général.
Ah, Japon ! Partagé « entre tradition et modernité », ou l’expression la plus stérile jamais inventée, tu en oses, des choses. Ce qu’on pourrait appeler de franches contradictions, tu en fais ta marque de fabrique : par exemple, mettre le patron d’un groupe automobile international au pain sec et à l’eau, c’est pas chez nous qu’on verrait ça. De notre Europe, tu sembles être le lieu de tous les possibles, où peuvent s’entrechoquer les extrêmes les plus colorés. Il n’y a que chez toi où l’on aurait pu trouver un RPG comme The Caligula Effect : Overdose, aux envies profondes si violentes et à l’apathie extérieure si manifeste.
μ, the doll is mine
Deux virtual idols, μ (à prononcer « miou ») et Aria, constatant qu’une partie de leur public fait de chair et d’os est malheureuse, décident de construire un monde virtuel (ou cyber-digital, pour les plus lettrés d’entre nous). Une oasis appelée Mobius, où chacun.e est mis.e dans la peau d’un avatar lycéen, libéré.e des problèmes du monde réel. Un jour de rentrée, un jeune homme/une jeune femme va toutefois prendre conscience de l’étrangeté de ce qui l’entoure, à commencer par ces individus au corps déformé et agité de glitchs. Il/elle ne tarde pas à rejoindre un groupe de pairs, le Go-Home Club, dont les membres cherchent à quitter Mobius par tous les moyens. Pour ce faire, ils se lancent à la recherche des Ostinato Musicians, seuls moyens de se rapprocher de μ.
Un lycée, de jeunes personnes convoquant une sorte de pouvoir intérieur pour se battre, des donjons à la fois réels et immatériels… Ça en rappelle, des choses, non ? Du côté de la série Persona, notamment. D’autant que Tadashi Satomi, le scénariste de Caligula, était la plume derrière Persona premier du nom et du diptyque Persona 2 : Innocent Sin/Eternal Punishment. Beaucoup de points communs qui nous font trémousser d’avance au son d’une pop débridée. Pourtant, comparé au Go-Home Club qui découvre être coincé depuis plus longtemps qu’il ne le pensait dans cette boule à neige faite de lignes de code, on met très vite le doigt sur les accrocs du jeu. Et de comprendre qu’il faut revoir nos espérances à la baisse. Comme pour les écouteurs, ne jamais monter trop haut le volume sous peine de finir sourd.
Hatsune Mille coups
D’habitude, les métaphores filées, c’est pas notre truc – on va d’ailleurs arrêter de suite. Si on s’est pour une fois laissé tenter, c’est que le jeu d’Aquria, développeur du titre de base sorti sur Vita en 2017 et porté sur PS4 par Historia, a pour lui un drôle d’écho, assez bien tombé et finement réfléchi, entre les différents éléments qui le composent et les deux grandes thématiques qu’il fait siennes, à savoir le fracas des émotions intimes sous-jacentes et le vocaloid.
Plus une technique (en fait une banque de sons organisables et modifiables à souhait) qu’un genre, le vocaloid a la particularité de donner le rôle principal aux compositeurs. Ils sont maîtres de chaque fluctuation musicale des morceaux, interprétation comprise, et ce par le biais d’une figure commune qu’est la virtuadoll. Les thèmes, un pour chaque membre des Ostinato Musicians, les compositeurs derrière les chansons de μ, et ceux plus rarement liés à des situations données, se devaient de retranscrire l’état d’esprit, souvent torturé, qui les a vu naître. C’est pour ainsi dire chose faite : rarement nous aura été donnée l’occasion d’entendre une bande originale aussi décomplexée, parfois même absurdement stupide d’énergie dégagée. Tout le cheesy du monde ne saurait atteindre la perfection de musique d’ascenseur entendue en salle secrète du Go-Home Club, et le contraste né du bourrin primaire, qui fait s’agiter frénétiquement et par à-coups la tête à l’écoute du thème de Lucid, couplé à l’embarras secret qui nous retient de se fracasser contre un mur, est délectable. On n’aurait d’ailleurs pas dit non à un karaoké avec les chansons sous-titrées en anglais, histoire de mieux apprécier les paroles qu’on imagine en lien avec l’auteur. C’est en combat que les tracks atteignent leur état final avec l’arrivée des voix, coïncidant au moment où le joueur/la joueuse devient lui/elle aussi compositeur/compositrice, mais d’une autre forme de mélodie : celle des balles qui fusent, des coups qui portent et des cris en guise de point d’orgue.
On exagère à peine : les affrontements se basent sur la mise en place d’une séquence de combat en semi temps réel. Chaque combattant voit ses actions associées à une ligne (une mesure – attendez, ce n’est pas terminé) qu’il va pouvoir remplir par 3 actions au maximum. Ces actions s’enchaînent plus ou moins rapidement selon le style du personnage (10 styles pour 20 protagonistes), et il s’agit de créer un enchaînement le plus fluide possible, positionnement, timing et pourcentage de réussite compris, pour éviter qu’une attaque ennemie vienne l’annuler. La complexité va venir de la coordination des attaques de l’équipe, jusqu’à 4 individus, pour que la composition de la séquence (sur ce qui n’est rien de moins qu’un séquenceur) fasse se répondre et s’enchaîner les combos. Il y a quelque chose d’extrêmement satisfaisant à voir une action minutieusement préparée pendant de nombreuses minutes se dérouler sans accroc sur quelques secondes. Pour arriver à nos fins, libre à nous de tester les effets de chaque action avant de la valider. On peut s’assurer que telle technique va bien casser la garde de l’adversaire et l’envoyer en l’air, le laissant vulnérable à un tir dont les dégâts sont alors augmentés. Un peu de souplesse dans ce système complexe n’aurait toutefois pas été du luxe : devoir décider des mouvements d’un personnage l’un après l’autre freine sensiblement le potentiel stratégique des combos et l’impossibilité de bouger la caméra empêche parfois, dû aux effets, de voir quel ennemi on vise ou ce qu’il se passe à un endroit précis.
Les garçons, ces b…. molles
Comme dans chaque J-RPG qui se respecte, quand les personnages de Caligula ne se battent pas, ils causent. Des fois pour ne pas dire grand-chose, certes, mais c’est dans ces creux de dialogues qu’on trouve d’habitude l’étincelle qui fait notre attachement au groupe. L’échange est d’ailleurs au cœur du jeu. A son arrivée au sein du Go-Home Club, notre personnage va pouvoir utiliser une appli de conversation instantanée appelée Wire qui lui permettra de discuter avec les autres membres ainsi qu’avec chacun des PNJ à qui on aura pris le temps de demander des nouvelles. Une fois devenus bons amis, on a la possibilité de devenir réellement proches en accomplissant pour lui une quête liée à un traumatisme qui lui est particulier, ce qui permettra de débloquer une amélioration passive. C’aurait pu donner quelque chose de passionnant, vu que l’on nous vend la présence de 500 PNJ (on n’a pas pris la peine de compter, vous nous excuserez). Chaque étudiant fait en effet partie d’un ensemble tentaculaire, appelé Causality Link, qui le voit lié à une ou deux connaissances. Si certains se laissent approcher sans problème, il faudra le plus souvent connaître l’entourage d’un lycéen pour lui adresser la parole, et ce pour remonter jusqu’aux élèves en vue ou les plus secrets.
Il n’y a, à l’application, rien de plus fastidieux. « Devenir bons amis » signifie en réalité parler à quelqu’un 3 fois, discussion à sens unique évidemment répétée ad nauseam, et la quête se réduit à aller chercher un objet ou rendre service à deux autres personnes. Les échanges, superficiels, n’ont pas un intérêt suffisant pour qu’on prenne le temps de s’y intéresser et ce n’est pas la possibilité d’enrôler n’importe lequel de ses « amis lvl. 3 » qui changera la donne. Le lien qu’on peut établir avec les membres du Go-Home Club est lui plus approfondi et donne lieu à de petits sketchs, étalés tout au long de l’aventure, lors desquels on apprendra à le/la connaître et découvrir ce qu’il se trame derrière les avatars jeunes et sveltes de Mobius. Si les situations satisfont la curiosité et nourrissent l’attachement qu’on peut avoir pour Kotono et les autres, le scénario principal et les dialogues ne brillent pas d’une finesse particulière. Il faut de plus faire avec une mise en scène datée comme jamais, qui laisse le gros du travail aux jolis artworks et au doublage. Assez bas du front pour les thématiques fortes que le jeu veut aborder (et maladroit au point de faire ponctuellement preuve de grossophobie), le fil tendu pour nous faire avancer repose à l’excès sur la poursuite des Ostinato Musicians et repousse toujours un peu plus les révélations attendues. L’intérêt se délie petit à petit, quand bien même les détails scénaristiques seraient dignes d’approfondissement, et il ne faut pas longtemps pour identifier à quoi incombe cette responsabilité : au moment de créer les donjons, les développeurs ont oublié de décocher la case « Répéter en boucle ».
Cette version Overdose se distingue par une refonte de l’interface, des rares cinématiques et des graphismes, sans que ça soit très joli pour autant, mais surtout par l’ajout d’un gros segment de scénario. Le protagoniste principal (qu’on peut désormais choisir féminin) est invité à intégrer le groupe des Ostinato Musicians – qui soutiennent ce monde comme un ostinato soutient son morceau – sous une autre identité, garantissant sa discrétion. Sous les traits de Lucid, on va inverser les rôles et tenter de comprendre ce qui motive ces sombres personnages à défendre Mobius coûte que coûte. En clair, ça se traduit par un retour dans les donjons visités auparavant avec le Go-Home Club le temps d’une mini-quête pendant laquelle on combat aux côtés de Sweet-P et compagnie. Les styles de combat font miroir à ceux des rebelles, seuls les sets de techniques sont remixés mais pas de quoi renouveler l’expérience malgré les 4 personnages ajoutés (et les 2 styles de combat qui vont avec). On a également la possibilité de choisir sa fin, et ce au son de quelques nouveaux morceaux bien vénères. Enfin, une fois le post-game atteint, il est possible de mixer son équipe entre les membres du Go-Home Club et les Ostinato Musicians, pour mettre une nouvelle dérouillée aux boss.
Ayana marre
C’est bien simple : ça fait longtemps qu’on n’avait pas autant râlé devant un jeu, au point de se forcer. Les couloirs dans les J-RPG, soyons honnêtes, c’est assez commun. Tout ce qu’on demande aux donjons dans ces cas-là, c’est de se faire courts et nous balancer un peu de poudre aux yeux avec des décors variés au minimum et des énigmes histoire de faire passer les allées et venues. Pas de ça ici. Chaque donjon, ancré dans sa thématique, déroule son tapis de couloirs bien à lui, agrémenté d’un nombre hallucinant de culs-de-sac où les coffres servent de carotte, le tout saupoudré d’ennemis à chaque coin pour tenter vainement d’insuffler du rythme. Pas la peine de compter sur l’habillage pour faire passer la pilule, les mêmes devantures de magasins, bibliothèques ou murs de pierre se déclinant sans peur et sans reproche jusqu’à plus soif. Les environnements se réservent bien l’exclusivité d’un objectif pour se démarquer des copains (des objets à rapporter, des questions auxquelles répondre), mais rien qui ne mène à autre chose que faire des allers-retours en se demandant à quoi on aurait pu occuper son temps à la place.
Le pire étant que ce level design fait ressortir tous les défauts de ce qu’on aimait jusque-là. L’intrigue, déjà étirée par son contenu sûrement trop important pour ce qu’elle a à proposer, s’en trouve plus distendue que possible. La musique, qui fluidifie le passage de l’exploration aux combats, tourne en boucle au point de rendre maboule, et l’effet de transe qu’on aurait y pu trouver tombe tout à fait à plat. Les combats, incessants, deviennent eux une tannée qu’on a tôt fait d’esquiver dès que possible. On remarque au passage qu’en mode normal, le jeu est assez facile, et qu’il suffit bien souvent de bourrer pour passer, aussi rapidement que faire se peut grâce au mode auto des combats qui nous déleste du choix des actions autres que celles du protagoniste. Et pas question de passer en mode difficile, sous peine de voir le temps dédié aux donjons se rallonger. Restent les affrontements de boss pour pimenter un peu les choses, un mauvais timing pouvant faire descendre les barres de vie à zéro en un instant. A cet indice de dangerosité, l’équipement, où les armures cèdent la place à des « humeurs », répond mollement, et on se rappellerait de l’actualiser toutes les 5h que ça serait encore amplement suffisant.
Le jeu a été testé sur PS4 Pro via un code fourni par l’éditeur.
The Caligula Effect : Overdose manie étonnamment bien l’auto-critique. Ou les excuses, on ne sait pas très bien, peut-être les deux. Chaque élément, même ces donjons infâmes ou les boucles musicales qui font tourner en bourrique, a une explication sensée dans le lore. Ce contre quoi les personnages eux-mêmes n’hésitent pas à râler. Rien de méta, mais plutôt un mariage de ses thèmes et choix de design mené presque jusqu’au bout. Est-ce pour le mieux ? Loin de là. Comme filmer l’ennui au cinéma ne signifie pas faire un film chiant, reporter les pertes de repères des personnages sur le joueur/la joueuse montre très (très) vite ses limites. Les bonnes idées sont recouvertes d’un limon dont on ne peut les extraire, comme la rage de vivre des personnages est noyée par un game design déliquescent. Quelques conseils pour la route : la Switch est sûrement conseillée pour jouer par petites sessions et ne pas se dégoûter ; si l’histoire vous intéresse, un anime est disponible sur les plateformes légales ; il y a sûrement un continent inconnu derrière le vocaloid auquel il serait dommage de ne pas s’abandonner. Go Live !
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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