J’ai deux questions. La première s’adresse à Chibig, éditeur et développeur de Summer in Mara : pourquoi, POURQUOI, ne peut-on pas câliner les petits lapins ? Durant la trentaine d’heures qu’a duré l’aventure, j’ai caressé des doggos, des moutons, des petits poussins, des écureuils mutants, des souris, des goélands, des cochons et même, bon sang, des immenses crabes chelous. Mais impossible de patouner ces petits lapins qui gambadent sur l’île de Qälis. Pourquoi, Chibig, pourquoi ? Que vous ont-ils fait de si terrible ? Au diable les mises à jour de confort, les patchs correctifs de bugs, les améliorations de l’interface, le seul apport qui compte actuellement, c’est les caresses de petits lapins. La seconde question est pour moi, et je ne suis pas complètement certain de pouvoir y apporter une réponse satisfaisante avant la fin de ce texte : comment ai-je pu passer un aussi bon moment devant un jeu flingué sur autant d’aspects ?
Rectification : je n’ai pas juste passé un bon moment, j’ai passé un excellent moment sur Summer in Mara. Pour vous donner une idée, le jour où je l’ai lancé, j’y ai joué deux heures, je suis allé travailler, puis j’y ai rejoué quatre heures d’affilé à mon retour, et seule la conférence nocturne d’EA et la perspective de bitcher avec les copains et copines de TPP – puis la fatigue – ont réussi à me faire décrocher, pour m’y faire retourner avec la même assiduité le lendemain matin et les jours suivants, jusqu’à atteindre la fin de la campagne et des quêtes annexes. Damn, comme l’a si bien dit ce grand intellectuel. Mais alors on y fait quoi, dans Summer in Mara, pour que ce soit si accrocheur ? Hé bien, euh… Pas grand chose. Ma moue dubitative devant un tutoriel franchement laborieux a pourtant été mouchée une fois passée la magnifique cinématique d’intro et le lancement du vrai jeu, une fois le bateau débloqué et la possibilité de courir partout sur les autres îles pour parler aux quelques personnages qui les peuplent. Et c’est là le premier atout marquant de Summer in Mara.
Été indien vaut mieux que deux tu l’auras
Le titre nous met dans la peau de Koa, jeune humaine – par jeune je veux dire une gosse d’à peine 12 ans – à qui la grand-mère adoptive tout récemment décédée a légué son île, son bateau et la lourde tâche de gardienne de Mara. Un climat qui aurait pu être facilement pesant, mais ce point de départ est vite contrebalancé par l’insouciance et la joie de vivre de Koa, qui loin de se lamenter sur son sort – ce qui bien entendu aurait été tout aussi légitime – va passer le reste de l’aventure à courir dans tous les sens en riant. Et en balançant quelques punchlines un peu vénères contre, au choix, le capitalisme, les banques, la bourgeoisie, les traditions, le patriarcat. Oh. Des thèmes qui me parlent, donc. Un pirate demande à Koa de lui préparer un sandwich ? Celle-ci s’exécute, lui ramène son repas… et le mange sous ses yeux en lui disant de se débrouiller. Un aristocrate lui fait un cadeau, elle part le jeter à la poubelle ; ses modèles sont exclusivement féminins ; elle se fiche éperdument autant de ses finances que de ses bonnes manières et part en croisade contre la bourgeoisie, le banquier de la ville et surtout contre les Élites, race extraterrestre hautaine et menaçant l’écosystème de Mara.
Extraterrestre, oui , car plusieurs espèces cohabitent sur Mara, des simples humains comme Koa, les trois mégères du marché ou Akaji la forgeronne, aux Qüidos – sortes de grosses grenouilles humanoïdes -, en passant par les Chamins (je vous laisse deviner de quel animal il s’agit), aux Anks de la planète Ankora – et sur laquelle Mün, personnage secondaire de Summer in Mara, a déjà vécu quelques aventures – ou ces fameux Élites, avides de technologie et prêts à tout pour terraformer Mara selon leurs goûts et exploiter ses ressources – ok Avatar. Des peuples plus ou moins hostiles les uns envers les autres, et dont nombre de quêtes viseront à arrondir les angles, pour que tout le monde ou presque puisse vivre en harmonie. Toutes ces bestioles ont cependant un bon point commun : celui de percevoir Koa comme la gamine qu’elle est, et d’interagir avec elle en circonstances. Dialogues visant à lui apprendre les bonnes manières, objets de quêtes flous car on ne va pas tout expliquer à une enfant, condescendance, remarques sur son âge et inexpérience : tout est là pour rappeler à Koa qu’elle n’est qu’une môme, et ce jusque dans quelques petits détails bien vus, comme le fait que notre personnage lève systématiquement la tête pour parler à quelqu’un d’autre.
(500) Gauges of Summer
Oui mais alors, tu vas arrêter de tourner autour du pot, on y fait quoi dans ce fichu jeu, tu nous parles de quêtes depuis tout à l’heure, elle glande quoi Koa à part se faire mépriser par la moitié de l’archipel et courir comme une dératée ? Hé bien elle remplit des jauges. Voilà. Non, bon, ne soyons pas complètement de mauvaise foi, c’est – un peu – plus que ça. À quelques mini-jeux près – vraiment très très simplistes, on sent que c’est un jeu prévu pour être accessible aux plus jeunes, et c’est tout à son honneur – de type pêche, courses de bateaux ou plongée sous-marine, les activités de Koa vont se résumer à faire des allers-retours constants entre les différents PNJ et son île, pour leur rapporter tout ce qu’ils demandent. Machin veut 5 salades, 3 lingots de métal et un poisson, alors Koa va planter, miner, pêcher pour remplir la jauge, ramener tout ça à l’instigateur de la quête, puis repartir en courant pour remplir une nouvelle jauge, et ce jusqu’à la fin de l’aventure, qui s’achève une fois toutes les jauges de l’ensemble des PNJ remplies – n’offrant ainsi qu’un post-game très vide.
Dit comme ça, le titre peut sembler infiniment laborieux et répétitif – et il l’est, répétitif, dans ses mécaniques du moins – mais la vérité, c’est que je n’ai pas vu le temps passer. Chaque quête réussie nous offre une nouvelle recette, un nouvel outil, des champs supplémentaires, des cabanes pour accueillir des animaux – bon sang, quelle ménagerie, en fin de partie il finissait par être compliqué de travailler aux champs, tant il y avait de poussins à circuler – des îles à visiter : les récompenses sont constantes et poussent sans cesse à vouloir progresser, que ce soit pour obtenir cette nouvelle hache ou binette, ou juste voir son île s’embellir. Pour peu que l’on soit sensible à cette technique de la carotte, Summer in Mara est un modèle d’efficacité dans lequel je me suis engouffré sans la moindre retenue. Tout m’a donné envie de continuer, toutes ces jauges qui augmentent, c’est fantastique et oh, encore un peu et j’aurai une nouvelle pelle, qui me permettra de dégager un champ de plus et ah, ce marteau va me permettre de débloquer la mine qui m’offrira plus de métaux, et eux me permettront d’accueillir des petits moutons sur mon île, qui produiront du lait et … Vous avez saisi.
La Koa culture
C’est comme ça qu’on passe 6 heures par jour sur un jeu, d’autant plus quand – malgré quelques bugs, mais à force on le sait, qu’à leur sortie les jeux sont encore un peu pétés – le titre offre un confort de jeu assez incroyable, privilégiant largement la praticité à la crédibilité. La physique du jeu est complètement flinguée – ce qui, en plus de son monde pas très rempli en personnages et interactions, lui donne un méchant aspect d’early access -, mais flinguée dans le bon sens, puisqu’elle permet des déplacements extrêmement rapides et simples sur tous les terrains et toutes inclinaisons de pentes. Le sachet de sucre de madame Michou n’attend pas, et les guiboles de Koa sont probablement en acier trempé. Il en sera de même pour ce bateau qui ignore toute notion de vent, marées ou courants, tut tut, pas le temps de galérer à manœuvrer, Awenn le cuisinier a demandé des ananas ; ou cet inventaire infini – prends ça, Animal Crossing. Toutes les jauges se remplissent à vitesse grand V, qu’on nous demande de la thune, des matériaux ou de la bouffe et la progression n’est ainsi jamais laborieuse – même si j’ai senti le rythme s’essouffler sur la fin, j’imagine que toutes les bonnes choses en ont une. Très vite, d’ailleurs, le jeu nous fait comprendre que pour toutes les quêtes, il est possible de soit acheter les matériaux nécessaires, soit les fabriquer, trouver, cultiver ou miner. En gros : vous pouvez décider de jouer le jeu et profiter de la vie sur Mara, ou tout acheter tout le temps. En pratique, j’ai fait un peu les deux, selon le niveau de galère de récupération des objets et tout s’est très bien passé.
Si les jauges ne sont pas votre truc, attendez encore un poil avant de complètement vous détourner de Summer in Mara. Même bien fait, même sans prise de tête, même dans un contexte tout chill et enfantin, la perspective de remplir des jauges dans le simple but d’en remplir encore d’autres n’est effectivement pas bien vendeur. Heureusement, Summer in Mara propose un autre type de récompense, et c’est son scénario. Enfin, non. Son scénario, il est plutôt commun, très dilué, avant de se dépêcher de conclure quand toutes les jauges touchent à leur fin. En revanche, durant sa trentaine d’heures, Summer in Mara propose tout un tas de tranches de vies, auxquelles Koa participe, comme cette histoire des deux cuisiniers rivaux qu’elle tente de réconcilier et faire collaborer, ou assiste juste, comme ce touchant passage de préparatifs d’anniversaire de mariage des deux marchands Noho et Caleb, la construction du golem géant de la forgeronne Akaji ou les étapes du deuil de la famille de Napopo, l’amie de Koa. Des personnages variés, drôles, touchants, attachants et/ou agaçants, des lignes de dialogues très bien senties – malgré quelques ratés dans la traduction, qui fait parfois dire l’inverse aux textes, oups – et une multitude de scénettes marquantes, c’est ça, surtout, ce qui m’a fait rester jusqu’au bout. Peu importe cet aspect de jeu pas fini et un peu vide, peu importe cette boucle de gameplay simpliste et répétitive, son manque d’interactions et ses jauges abrutissantes : Summer in Mara est un condensé d’historiettes, même pas passionnantes, seulement jolies, rigolotes ou émouvantes. Et ça fait du bien, parfois.
Summer in Mara a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Nintendo Switch et prévu pour plus tard sur PS4 et Xbox One.
Comment ai-je pu passer un si bon moment sur un jeu aux mécaniques et à la technique si limitées, donc ? Par passion pour les jauges qui se remplissent et pour la collectionite, déjà, mais surtout pour cette atmosphère mignonne et paisible, pour le plaisir de voir son île se développer et apparaître champs, structures et animaux, pour ces musiques variées et entrainantes, pour la qualité de son écriture, pour ces personnages hauts en couleur et au centre d’une multitude de scénettes et de tranches de vies, toutes plus agréables à découvrir les unes que les autres. Achever Summer in Mara, c’est comme arriver à la fin d’un feuilleton, ça avait un côté un peu rébarbatif et vain tout en étant parfaitement addictif, mais à la seconde où l’aventure s’est terminée, ses protagonistes et intrigues me manquaient déjà.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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