Quelques années après le petit jeu de nettoyage de scènes de crime dans les années 70 Serial Cleaner, le studio Draw Distance lui offre une suite directe avec Serial Cleaners, qui transpose l'intrigue dans le New York des années 90. Votre objectif : faire disparaitre des preuves, des cadavres et des traînées de sang sans vous faire attraper.
Il me faut vous le dire d'emblée : Serial Cleaners est une de mes plus grosses déceptions de l'année. Tout pourrait fonctionner à merveille dans ce jeu. Ni trop long ni trop court, avec un level design bourré d'idées, un gameplay qui change subtilement entre les quatre nettoyeurs et une vraie audace dans la mise en scène de ses missions. Hélas, nous nous retrouvons là face à un jeu d'infiltration dont le challenge a été placé si bas qu'il ne s'agit même plus d'un jeu d'infiltration du tout. Vous pouvez être bruyant, violent, maladroit, peu importe, ça passe quand même presque à tous les coups. La faute à une absence de possibilité de régler la difficulté pour remonter un chouilla le challenge et surtout à une des IA les plus ratées de son genre. Le tout étant secondé par un scénario à l'emballage classieux, mais qui peine à nous impliquer un minimum et qui laisse un goût d'inachevé.
Du vinaigre blanc et du bicarbonate de soude
Nous sommes en 1999, à quelques heures du passage à l'an 2000. Bob a une entreprise de nettoyage d'un genre un peu particulier et contre une rondelette somme d'argent, il peut faire disparaitre une scène de crime. Preuves, cadavres, traces de sang : en deux temps, trois mouvements, son entreprise efface tout au nez et à la barbe de la police, de la mafia ou de qui vous voulez.
Alors que le millénaire vit son crépuscule, Bob et ses trois ̶s̶t̶é̶r̶é̶o̶t̶y̶p̶e̶s̶ ̶a̶m̶b̶u̶l̶a̶n̶t̶s̶ charmants employés se remémorent les missions passées et le bon vieux temps. L'occasion de nous faire revivre, sous forme de chapitres thématiques, les hauts et les bas de la petite entreprise depuis sa fondation. Chaque mission, située entre le début des années 80 et la fin des années 90, sera ainsi l'occasion d'incarner un membre de l'équipe et de mettre à profit son style particulier. Bob peut glisser sur le sang en bousculant ses ennemis. Lati la graffeuse afro-américaine peut échapper à ses poursuivants en faisant du parkour. Psycho la brute serbe peut débiter les cadavres à la tronçonneuse et tabasser les flics et Vip3r la hackeuse asiatique peut pirater les alarmes et les ordinateurs. Et on dit que les scénarios de jeux vidéo sont immatures et clichés.
Cependant, il faut noter que Serial Cleaners revendique pleinement son côté passéiste et l'écriture kitschissime de ses personnages, avec des dialogues semblant tout droit sortis de versions suédées des films de Tarantino et de Guy Ritchie. Un hommage au cinéma d'action artsy des années 90 tellement prononcé qu'on lui pardonnerait presque de ne rien raconter de particulier, les films de ce courant misant bien plus sur le style, davantage que sur le fond. Et sur le style, Serial Cleaners s'en sort avec les honneurs. La mise en scène des missions est assez brillante, il y a des fulgurances graphiques à tous les étages, l'action est toujours lisible, le style graphique a une vraie patte bien à lui. Mention spéciale à la bande-son, farcie de petites boucles répétitives oscillant entre funk et techno nous plongeant complètement dans le stress nécessaire au nettoyage de scènes de crime surveillées de près par la police new-yorkaise. Mais c'est hélas du côté de l'exécution, plutôt que de l'emballage, que le bât blesse.
La justice est aveugle
Chaque mission de Serial Cleaners, à quelques interludes près, se compose selon le même schéma : un de nos quatre lascars est propulsé sur le lieu d'un massacre encore tout frais et arrive généralement juste avant ou juste après la police. Leur mission consiste à ramasser toutes les petites preuves compromettantes, à détruire celles qui ne peuvent pas être embarquées et à se débarrasser des corps encore présents par tous les moyens. Une fois tout ceci accompli, il faut passer l'aspirateur et enlever un maximum de traces de sang. Pas de sang, pas de corps, pas de preuves : pas de coupables. Le tout doit évidemment être accompli sans se faire griller par les plantons chargés de surveiller la scène, puisque vous n'avez à peu de choses près aucun moyen de vous défendre ou de résister à une arrestation. Du moins en théorie.
En pratique, c'est un poil différent. D'une part parce que le jeu vous donne presque TROP de moyens de vous en tirer à bon compte. Il y a des cachettes partout, vous courrez généralement plus vite que vos poursuivants, le jeu sauvegarde dès que vous atteignez le moindre objectif secondaire et Serial Cleaners est extrêmement permissif quand vous faites n'importe quoi. Il m'est par exemple arrivé de passer l'aspirateur à côté d'un cadavre à proximité de trois policiers relativement indifférents à ce que j'étais en train de faire, ayant simplement réussi à les éloigner de quelques mètres en allant leur faire examiner un juke-box. Autant pour le côté immersif de l'expérience ! Dans le même ordre d'idée, j'ai réussi à me tirer de situations supposément impossibles en me cachant sous un billard… Puis en ressortant de l'autre côté, sans que le policier à mes trousses n'imagine une seconde essayer de contourner l'obstacle. Idem pour ces moments passés à balancer des sacs mortuaires par-dessus des rambardes, directement dans la rue, sous le regard indifférent des passants et des passantes face à cette pluie macabre.
J'ajoute à cela que les « pouvoirs » de chaque nettoyeur sont vraiment trop puissants. Psycho peut assommer et cacher des flics en leur balançant les bouts de cadavres et ainsi « vider » un niveau de ses sentinelles les mieux placées, tandis que Lati peut poser des graffitis au sol qui sont de véritables aimants à poulets : une fois plantés devant ce saccage de mobilier urbain, nos amis en bleu se désintéressent complètement de la personne en train de trainer des morts juste derrière eux. Cela ne serait pas si grave si l'IA des gardes était tout de même un peu réactive, mais à ce stade, autant parler de BA pour Bêtise Artificielle. Les policiers et autres gardes ne réagissent qu'à peine quand ils voient qu'un cadavre a bougé, n'enquêtent jamais, cessent de vous poursuivre à la microseconde où vous n'êtes plus en ligne de mire, ne tendent pas de pièges… Bref, ils sont juste plantés là, à faire leur ronde et vous poursuivent mollement si vous passez juste sous leur nez. Idem pour les civils, qui ne pensent presque jamais à rameuter du renfort ou à appeler à l'aide, même s'ils vous voient trimbaler un sac de bras coupés encore dégoulinants.
En résulte un manque total de challenge qui empêche un peu d'apprécier le jeu à sa juste valeur : la quasi-absence d'obstacles et les possibilités trop grandes de les contourner quand ils existent rendent Serial Cleaners un peu ennuyeux. Il est trop souvent possible de « gagner » en fonçant dans le tas, en assommant trois ou quatre gugusses et en balançant vite fait les preuves et les cadavres dans ce qui s'apparente à un immense travail de sagouin, tout de même récompensé par la validation du niveau. Pire, il est possible d'obtenir les achievements récompensant un « niveau parfait » alors qu'on a franchement fait n'importe quoi : laisser trainer des morts dans le couloir, fait un vacarme de tous les diables, assommé des gens en leur balançant des bras coupés, etc. Il suffit de ne pas se faire repérer pour obtenir un score parfait, ce qui est rarement difficile si vous vous concentrez un minimum. Une approche qui dessert complètement la partie « infiltration » du jeu et le transforme en expérience trop cartoon pour son propre bien.
Serial Cleaners a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, sur Nintendo Switch et sur les consoles Xbox.
Quand on parle d'accessibilité ou de difficulté dans le jeu vidéo, il est souvent question de la nécessité (partagée par l'essentiel sinon la totalité de notre rédaction) de pouvoir adapter l'expérience aux problématiques de chaque joueur et joueuse. Mais c'est valable dans les deux sens. En proposant un jeu d'infiltration tellement permissif que ne pas s'infiltrer du tout et foncer dans le tas permet tout de même de rouler facilement sur toutes les missions du jeu, Serial Cleaners gâche un peu ses idées. Sa direction artistique remarquable et son level design plutôt malin méritaient mieux.
Les + | Les - |
- Chouette concept | - L'infiltration vraiment trop permissive |
- Des fulgurances dans la DA | - Nos personnages sont presque trop puissants |
- Level design assez inspiré | - Scénario bourré de stéréotypes |
- Bande-son immersive | - Quasi absence d'intelligence artificielle |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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