Développé et déjà auto-édité en 2013 par Teddy et Kenny Lee – sous le nom de Cellar Door Games -, Rogue Legacy premier du nom fait partie de la première grosse vague de roguelites, emboîtant le pas à Spelunky, son principal modèle, et le légendaire The Binding of Isaac d’Edmund McMillen. Une période où tout était encore à conceptualiser et designer en termes de mécaniques pour ce genre désormais très codifié et bourré de gimmicks, et sur lequel Rogue Legacy a forcément eu une grande influence.
Si le statut culte du titre de Cellar Door est indéniable, l’annonce d’une suite et le lancement de son early access en 2020 a cependant laissé perplexe quant à sa pertinence. Sept ans plus tard, que pouvait bien apporter ce papy du roguelite dans un paysage désormais surchargé et dont les titres mémorables se sont succédés année après année ? Les premiers retours de l’accès anticipé ont confirmé ces craintes, décrivant un titre certes plus joli et maniable que son prédécesseur, mais à l’intérêt et au contenu assez limités. Des critiques que la v1.0, sortie le 28 avril dernier, enterre définitivement : Rogue Legacy 2 n’est ni plus ni moins que le meilleur roguelite du moment et a moyen de conserver ce titre au moins jusqu’à la fin de l’année.
Toujours une affaire de famille
Le constat est presque méta : si Rogue Legacy 2 est aussi bon, aussi efficace et aussi en accord avec son temps et la génération actuelle de roguelites – mais aussi de jeux d’action -, c’est avant tout une histoire d’héritage. Un héritage personnel, bien sûr, puisqu’on y retrouve tout ce qui fonctionnait et faisait la particularité du premier opus. Le système d’héritiers et de descendance, déjà, au cœur même du concept de Rogue Legacy : chaque nouvelle run nous fait incarner le ou la descendant·e du personnage de la run précédente, une mécanique dont découle tout le reste du gameplay.
Chaque nouveau personnage aura une classe différente du précédent – ça pourra être un chevalier, un archer, un magicien, un lancier-dragon, etc – et un ou plusieurs traits de personnalité, physique ou mental. Ces traits pouvant s’avérer positifs (amélioration des coups critiques, gain d’or augmenté, etc), négatifs (visibilité réduite, impossibilité de se soigner) et souvent neutres, voire stupides (votre personnage pète, a la peau bleue ou laisse traîner de la fumée colorée derrière lui), chaque partie est fondamentalement différente de la précédente, le nombre de classes augmentant largement au fil du jeu et le nombre de traits étant colossal.
De ce point de vue, Rogue Legacy 2 n’innove pas énormément et reprend presque à l’identique la formule de son aîné, et pour cause : elle était déjà complètement maîtrisée en 2013, alors une refonte de ce système risquait plus de tout casser qu’autre chose. Le contenu est cependant très, très largement enrichi, et la quantité de nouvelles classes et de nouveaux traits est admirable et permet une variété de combinaisons assez incroyable. Je regrette personnellement les choix de gameplay concernant les personnages à distance – archers, flingueurs, magiciens -, me les rendant quasi injouables, mais c’est une appréciation personnelle, et la possibilité de presque toujours pouvoir se rabattre sur un perso au corps à corps – et de pouvoir abandonner immédiatement une génération dans le cas contraire – permet de juste ignorer les classes déplaisantes et de se rabattre sur les autres.
Si les innovations autour de ce système ne le révolutionnent aucunement, il faut quand même reconnaître qu’elles constituent une sacrée amélioration de la qualité de vie et de l’équilibrage. On notera cette très bonne idée de bonus d’or pour les traits physiques les plus contraignants – plus la caractéristique représente un malus et plus son pourcentage de gain de thune sera élevé – et le fait que chaque partie effectuée avec une classe la fasse monter de rang, octroyant à ce type de personnage des bonus de manière définitive : plus vous jouez une classe et plus elle sera puissante.
Dans la famille Rogue, je demande le fils
C’est d’ailleurs la très bonne application du concept d’héritage que l’on retrouve dans Rogue Legacy 2 : à la fin de chaque partie, il sera possible d’investir dans certaines parties du château familial, débloquant des bonus persistants (plus de force, de dextérité, de santé, etc), mais aussi de nouvelles classes ou de nouveaux PNJ pour le hub (chez qui il sera possible d’acheter de l’équipement de manière définitive également). Cette mécanique est grosso modo ce qui permet au titre de se tenir aussi bien. Déjà car aucune partie ne sert « à rien », dans le sens où chaque run rapportera quelque chose, que ce soit l’argent suffisant à l’achat d’une amélioration, d’un équipement ou d’un bâtiment du château, un peu d’expérience pour augmenter le rang de sa classe ou, dans le meilleur des cas, faire progresser la quête principale. Cette quête est plutôt simple et fait pratiquement office de prétexte à retourner dans le donjon et se taper avec la faune locale, puisqu’elle consiste à dégommer six boss afin d’ouvrir la porte dorée derrière laquelle se trouve le boss final.
Comme son prédécesseur, Rogue Legacy 2 a le bon goût de nous faire vaincre chaque boss une fois seulement : contrairement à la majorité des roguelites, les boss restent morts et chaque nouvelle run pourra se concentrer sur un seul d’entre eux, sur la recherche de leur arène ou juste du farm pour débloquer de nouvelles améliorations. Car si encore une fois, la formule reste inchangée côté structure, des innovations franchement intéressantes et bienvenues sont de la partie. On saluera tout particulièrement la possibilité de débloquer de manière définitive l’accès aux téléporteurs situés aux points stratégiques de chaque zone.
Ainsi, même si le donjon est généré de manière procédurale à chaque nouvelle partie, il sera possible de se téléporter au début de chaque zone débloquée au préalable et ainsi s’épargner la traversée et l’exploration de la première. De même, on appréciera énormément l’ajout d’exploration et de puzzles afin d’accéder aux boss : il ne s’agit plus de seulement trouver et traverser les nouvelles zones pour les castagner, il faut désormais remplir certaines conditions pour ouvrir la porte de l’arène, ces conditions allant de la collecte d’objets à l’obtention de nouveaux pouvoirs – et elles n’ont à être remplies qu’une seule fois, prend des notes Isaac: Repentance.
Mais si je parle d’héritage, c’est car Cellar Door n’est pas resté à se regarder le nombril et a largement appris de ses petits camarades. Difficile d’ignorer, en voyant ces phases de plateforme, d’exploration, en voyant ces nouveaux pouvoirs et en se retrouvant face à une telle structure de metroidvania, les progrès et codes mis en place par la scène indé ces dix dernières années. Sans pour autant faire de comparaisons, on voit, dans le level design, dans certaines mécaniques, dans certains traits, que l’équipe derrière Rogue Legacy 2 a touché à Hollow Knight, à Dead Cells, à Celeste, en a pris des notes et a digéré le tout. En résulte un titre déjà largement plus agréable à manier que son prédécesseur, beaucoup plus varié en termes de situations, de level design et de biomes, mais aussi largement plus difficile.
Ce progrès dans la maniabilité et le game feel permet en effet à Cellar Door de proposer des séquences de précision, de plateforme masocore ou de bullet hell que Rogue Legacy n’aurait jamais pu s’autoriser, avec ses personnages raides et leur panoplie de mouvements limitée. Mais comme son prédécesseur, Rogue Legacy 2 n’est jamais insurmontable : s’il est dur, bien plus dur que son aïeul, la parfaite courbe de progression qu’implique son système d’héritage fait que la pilule passe toute seule, et l’on se retrouve à enchaîner les parties, les boss et les obstacles sans même s’en rendre compte, jusqu’à envisager de se lancer dans les généreux – et hardcores – NG+. Je ne pourrais faire de plus beau compliment à un roguelite.
Rogue Legacy 2 a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Comme tant d’autres mauvaises langues, j’ai douté de la pertinence d’un nouveau Rogue Legacy en 2022 et de ce qu’il pouvait bien apporter de frais à un genre qui a grandi et s’est codifié durant 9 ans sans lui. Balayant toutes mes craintes d’un revers de l’épée, Rogue Legacy 2 se pose comme le roguelite le plus important du moment, en consolidant une formule déjà très efficace et en piochant dans le meilleur du jeu indé de cette dernière décennie.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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